AlloCiné : En tant que productrice et scénariste, vous espérez évidemment toujours que vos séries séduiront le public. Mais est-ce que vous vous attendiez à un tel succès pour La Promesse sur TF1 ?
Anne Landois (productrice et créatrice de la série) : Évidemment, on espère tous que le succès sera au rendez-vous, car c’est quand même ce qu’on vise : que tout le travail qui a été fait rencontre son public. Mais ce n’est jamais assuré, et c’est vrai que le succès de La Promesse est assez incroyable. Nous sommes tous très contents. Ça faisait longtemps que je n’avais pas travaillé pour TF1, je ne savais pas si le public allait répondre présent. Notamment parce qu’il y a un paysage audiovisuel avec pas mal de concurrence. Il y avait pas mal d’inconnues dans cette équation. Mais le résultat prouve qu’on s’est tous trompé et on est ravi. Et c’est ça qui est bien dans ce métier : on ne sait jamais à quoi s’attendre. C’est un métier de grande incertitude, et un tel succès nous comble de joie.
C’est aussi la confirmation que la mise en ligne en avant-première sur Salto est complémentaire de la diffusion télé, alors qu’on aurait pu craindre que ce dispositif fasse baisser les audiences au moment de la diffusion sur TF1, ce qui n’est finalement pas le cas, loin de là…
Oui, c’est une très bonne nouvelle. Mais je me demande si la première diffusion sur Salto n’a pas plutôt provoqué un bouche-à-oreille phénoménal. Si ce n’est pas la première petite étincelle qui s’est ensuite répandue auprès de tout le monde. Je pense que cette avant-première nous a été très favorable. Il y a eu une très bonne presse dès la sortie sur Salto, et je pense que ça a été une façon d’encourager le public à aller voir ce qui se passait sur TF1.
La diffusion de La Promesse s’achève ce soir sur TF1 avec les deux derniers épisodes. Est-ce que vous saviez dès le départ qui était responsable de la mort de Charlotte Meyer ou est-ce que l’identité du coupable a évolué durant le processus d’écriture ?
L’identité du coupable n’a jamais évolué. Dans la proposition initiale présentée à TF1, même dans la note d’intention, c’était déjà ce coupable-là. Ce qui m’intéressait dans le traitement des disparitions d’enfants et des pervers sexuels comme notre Fouquet l’est, c’était de faire un pas de côté par rapport à cela à la fin. Je voulais raconter une histoire qui est celle de Serge Fouquet, et tout ce qu’il a pu faire d’horrible dans sa carrière de criminel. Mais je voulais aussi ouvrir sur quelque chose d’autre. Je voulais que ça prenne plus d’ampleur.
Finalement cette conclusion arrive comme une surprise, car pendant les premiers épisodes on se dit qu’on va simplement suivre l’enquête de Sarah pour faire tomber Fouquet et ses éventuels complices. On a l’impression que dès le départ la série ne nous cache pas l’identité du meurtrier, alors que la vérité est toute autre…
Exactement. Mais malgré tout, l’erreur de Pierre Castaing va également se répercuter sur Sarah, qui va elle aussi commettre l’erreur de croire que Fouquet est le meurtrier de Charlotte, ou en tout cas le responsable de sa disparition. Et à travers cette erreur-là, elle va quand même réussir à mettre fin à sa carrière criminelle et à trouver le véritable coupable. L’histoire de Fouquet sert aussi l’histoire principale et l’histoire de la disparition de Charlotte.
Un consultant policier m’a pas mal aidé durant le processus d’écriture, et j’avais une question unique : comment le dossier Charlotte Meyer éclaire-t-il le présent ? Je me tordais les méninges et à chaque fois il me répondait de façon très technique sur le travail de la police, sur ce que lui aurait fait ou pas fait, sur les erreurs qui auraient pu se produire en 1999 et qui auraient laissé des trous béants dans l’enquête. Tout ce travail de police c’était ma question permanente. Comment ce vieux dossier éclaire-t-il cette enquête au présent ? Cet aller-retour était complexe à créer, mais c’était tout l’intérêt de la narration.
Quelles thématiques aviez-vous envie d’aborder avec cette mini-série ? La culpabilité, notamment, qui semble ronger de nombreux personnages, dont le coupable qui va être révélé ce soir ?
Beaucoup de thématiques sont brassées dans cette série. Tout d’abord la transmission. La transmission de la culpabilité, oui, c’est certain, et aussi la transmission d’un secret enfoui. Et bien évidemment la réparation. J’avais vraiment en tête ces deux thématiques dès le départ. Une enquête qui a brisé une famille, et une génération après vient le moment de la réparation. Car vingt ans s’écoulent entre ces deux affaires, et je me suis toujours figurée que vingt ans c’est le temps d’une génération. Et souvent les générations qui suivent celles d’avant sont les générations de la réparation. Les enfants essaient toujours de réparer quelque chose de leur famille. C’est une idée qui m’agite depuis assez longtemps. Et cette réparation que va faire Sarah Castaing, à la fois avec sa famille et en lien avec les erreurs de son père, c’est ce qui porte le personnage de Sofia Essaïdi et motive toutes ses actions. Et elle ne pourra pas être satisfaite, et ne pourra pas vraiment commencer à vivre sa vie, tant que ce passé n’aura pas été lavé.
Y a-t-il une séquence en particulier dont vous êtes vraiment très fière ?
Il y en a plein. J’ai du mal à me souvenir de quelles scènes en particulier j’étais très fière au moment de l’écriture. On a mis beaucoup de temps à écrire cette mini-série. Facilement deux ans. Quand je relisais les scénarios, je me disais "Ça c’est vachement bien, cette scène est super", mais je ne sais plus trop lesquelles, ça a évolué avec le temps. Car avec l’incarnation des personnages, la mise en scène, la musique, il y a maintenant d’autres scènes magnifiques, très fortes, qui me marquent.
J’adore la scène de l’épisode 5, lorsque Sarah va voir la mère de Charlotte et qu’on voit comment cette femme brisée est toujours habitée par la disparition de son enfant. Et comment elle vit cela. Et lorsqu’elle dit "Je laisse toujours la porte ouverte au cas où elle rentrait à la maison", c’est vraiment quelque chose que j’ai pris dans les affaires de disparitions d’enfants. Je sais que les parents dont les enfants ont disparu depuis des années ont tous le même réflexe : ils laissent la porte ouverte. Et ils ne déménagent pas surtout. Ce qui est totalement irrationnel, car un enfant ne va pas revenir vingt ans plus tard. Ils attendent un enfant finalement, ils n’attendent pas un adulte. Il y a une part d’irrationnalité, mais c’est ce qui les fait tenir au présent. Et je trouvais ça très beau. Ça fait partie des scènes que je trouve magnifiques. Mais il y en plein. Et qui ont été sublimés par le jeu des acteurs bien sûr, et la mise en scène de Laure de Butler.
La fin de la série est bouclée. Mais Sofia Essaïdi a récemment laissé entendre qu’une saison 2 était tout de même en discussions. Qu’en est-il à ce jour ?
Sofia a surtout mis l’accent sur l’excellente entente qu’il y a eu entre nous tous. Ce succès relève d’une collaboration très efficace entre la chaîne, la production, la mise en scène, et les comédiens. Il s’est passé un petit miracle en fait. Toutes nos planètes ont été alignées, alors que ce n’était pas évident. On partait avec pas mal d’handicaps : une double temporalité, une jeune réalisatrice, une jeune comédienne, car Sofia reste tout de même une jeune comédienne et porte cette série à bout de bras. Le Covid aussi, le confinement qui a interrompu le tournage. On a eu à chaque étape des rythmiques à prendre, dont il fallait tenir compte. Mais ça s’est tellement bien passé qu’on se demande si on a vraiment envie d’arrêter l’aventure ici. Et on se pose la question de savoir si on va continuer à faire vivre le personnage de Sarah. Mais c’est un peu tôt pour le dire. Il faut qu’on y réfléchisse, et voir si c’est opportun de le faire. C’est vraiment en discussions. On sait qu’on a envie de faire quelque chose ensemble, mais quoi ? Pour l’instant on ne sait pas. Quelle forme cela prendra ? L’avenir nous le dira. Il faut voir aussi comment ça se termine et si le public est toujours au rendez-vous pour la dernière soirée.
En attendant une éventuelle saison 2 de La Promesse, avez-vous d’autres projets dont vous pouvez parler ?
Je suis en train d’écrire une série pour Canal+. On espère que ce sera tourné en 2021, mais le temps d’écriture est assez long. Mais c’est une nouvelle série qui, si elle fonctionne, serait amenée à devenir récurrente.
Ce sera à nouveau un polar ?
C’est plutôt une série judiciaire, mais je ne veux pas trop en parler car c’est une série un peu particulière. C’est encore un peu tôt pour en parler là aussi, comme La Promesse 2.
On parle aussi d’une possible suite d’Engrenages sur Canal+. Malgré votre départ avant la fin de l’aventure, puisque vous aviez passé la main à Marine Francou dès la saison 7, pourriez-vous être impliquée dans cette nouvelle mouture si elle voit le jour ?
Ah non, pas du tout. Engrenages, pour moi, c’est terminé, j’ai complètement tourné la page. Et ce serait compliqué pour moi de revenir sur Engrenages sans les acteurs de la série originale, car si j’ai bien compris c’est une suite qui reprend surtout la construction. Je n’en sais rien en fait, mais c’est ce que j’ai lu dans la presse, comme tout le monde. Pour moi ce serait un exercice un peu complexe, et puis de toute façon on ne me l’a pas proposé, donc non, il n’en est pas question. Je préfère repartir sur du neuf. J’aime bien le neuf (rires). C’est pour ça que je suis partie d’Engrenages, j’avais un peu envie de renouveler ce que j’écrivais. Et c’est pour ça que j’ai écrit La Promesse. Cette série c’est vraiment le trait d’union entre la fin d’Engrenages et de nouveaux projets. C’était très différent de ce que je faisais jusqu’à présent. Ce n’était pas une série récurrente. Et j’ai pu explorer à travers La Promesse tout ce que je n’avais pas pu faire sur Engrenages. Ça m’a fait un bien fou.
Propos recueillis par téléphone le 19 janvier 2021.