Neil, vous avez déclaré que cette saison reflète les défis et douleurs de l’Amérique, pouvez-vous élaborer?
Neil Gaiman : American Gods est tiré d’un bouquin que j’ai écrit il y a plus de 20 ans. Et j’aimerais qu’aujourd’hui, avec l’adaptation en série, toutes les horreurs que j’ai évoquées soient derrière nous. Mais, bien sûr, ce n’est pas le cas et la situation dans laquelle nous nous trouvons est pire que tout ce que j’aurais pu imaginer. Regardez comment nous sommes en plein chaos, surtout aux Etats-Unis, avec les problèmes d’immigration, de racisme, de violence. C’est impensable d’en être arrivé là ! Oui tout ce que j’ai écrit, tous les personnages créés sont le visage de l’Amérique en 2020 ! Et cela s'applique d'autant plus pour cette année, avec tout ce que nous avons vécu : la pandémie, les violences policières, les mouvements Black Lives Matters et Me Too…
Plus que jamais cette série et cette saison reflètent les défis et les douleurs du peuple américain. Donc oui, c’est important pour moi d’avoir un personnage principal, Shadow, qui est noir et qui a un mal fou à vivre dans sa petite ville raciste du fin fond des Etats-Unis. Je pense que nous sommes dans un pays plus que jamais divisé, qu’il est difficile de croire en quoi que ce soit et que tout le monde a de plus en plus de mal à trouver sa place dans cette société déstabilisée. Cela n’a jamais été mon intention de prédire tout ce que nous vivons aujourd’hui mais force est de reconnaitre que j’avais abordé tous ces problèmes il y a vingt ans.
Ricky Whittle (Shadow) : Je partage le point de vue de Neil vu que moi aussi je suis un immigrant et que ma vision de l’Amérique a changé depuis que je m’y suis installé. J’ai peur en tout cas, à la vue des dernières élections, que nous ayons encore pour longtemps une Amérique fortement divisée.
Quel fut le personnage le plus fascinant à écrire pour cette nouvelle saison ?
Neil Gaiman : Shadow est celui qui m’a le plus fasciné pour cette troisième saison. Je pense que le personnage, qui est magnifiquement joué par Ricky Whittle, va enfin devenir un moteur actif de sa destinée. Dans les deux premières saisons il s’en est pris plein la figure mais tout ceci va changer avec ce nouveau chapitre. Son charme et sa force vont prendre le dessus et cette saison, il va voler la vedette à tous les autres. Ce fut un défi de faire de Shadow un véritable héros et la star de la série. Mais vous verrez, je crois que nous y sommes arrivés. J’aime également, cette saison, l’évolution du personnage de Bilquis jouée par Yetide Badaki. Elle n’en menait pas large dans les saisons précédentes mais cette fois-ci elle va s’imposer et on va l’entendre vraiment parler pour la première fois d’une manière plus forte et convaincante. Elle va comprendre qu’il y a des choses que nous pouvons apprendre des nouveaux dieux et que le monde n’est pas seulement réparti entre les “bons” et les “méchants”.
Et pour vous, Ricky et Yetide, avez-vous ressenti une grosse différence à jouer dans cette saison ?
Ricky Whittle : Cette saison me semble avoir été mieux conçue et mieux preparée que les précédentes. Je pense qu’ils ont donné plus de substance à mon personnage et ce fut un vrai plaisir de tourner cette saison. Mis à part le fait que j'ai été frigorifié en tournant à Toronto avec des températures en dessous de zéro ! Il faisait si froid que de temps en temps aucun son ne sortait de ma bouche ! Mais ces étendues de neige donnent un aspect plus poétique à la série. De plus, cette saison est un voyage intérieur pour chaque personnage. Chacun va vraiment découvrir ce qu’il veut faire de son existence. On sait maintenant que Shadow est un demi-dieu et que Wednesday est son père. Shadow est en cavale pour échapper à la police et au FBI, alors il tourne le dos aux dieux. Il n’aspire qu’à une chose : vivre une vie normale. Ce qui est évidemment impossible. Il va donc devoir confronter son père et trouver sa propre destinée.
Yetide Badaki (Balquis) : D’accord avec ce que vient de dire Ricky. L’horizon de Bilquis va aussi s’élargir. Elle va totalement embrasser l’étendue de ses pouvoirs et nous allons découvrir de quoi elle est vraiment capable au cours de cette saison. Ce qui est intéressant c’est que jusque là, elle avait presque oublié qui elle est véritablement…
Quels sont les nouveaux thèmes que vous abordez cette saison ?
Neil Gaiman: Quand j’ai déménagé aux Etats-Unis en 1992, je croyais avoir tout compris de l'Amérique grâce aux livres que j’avais lu et aux films que j’avais regardé. Et je me suis rendu très vite compte qu'en réalité je ne savais rien de ce pays. C’est un pays encore plus bizarre que mon imaginaire me l’avait laissé croire. Regardez par exemple ce rituel, pendant l’hiver dans ma petite ville du Wisconsin, où ils conduisent une vieille voiture sur un lac gelé pour parier sur le temps qu'il faudra pour que l’engin disparaisse au fond du lac quand la glace fondra. C’est assez hallucinant comme civilisation. En tout cas, pour moi, cela me parait fort étrange. C’est en observant toutes ces “bizarreries” américaines que l’idée d’écrire American Gods m’est venue. Je crois que cette saison est plus personnelle et plus intime. On va suivre Shadown dans cette petite ville du Wisconsin qui tente de s’intégrer à la vie locale.
Ricky Whittle : Cette saison évoque également le passé de Shadow et de ses ancêtres. Il va reconnecter avec sa culture et cela va lui donner encore plus de force intérieure. Cette saison montre aussi comment le pouvoir du “nous” est plus fort celui du “je”. La force de Shadow vient de sa lignée ancestrale puissante et c’est ce qui fait de lui un demi-dieu. C’est une saison qui montre que l’on doit tous mettre en commun nos forces et nos ressources pour surmonter les défis de la vie. C’est une leçon de vie qui rappelle que l’on peut apprendre des autres, que l’on peut évoluer. Ensemble nous pouvons faire face à toute attaque, même celle de Wednesday qui veut le pouvoir pour lui tout seul mais qui au final se retrouve complètement seul au monde.
Bruce Langley (Tech Boy) : Pour moi le thème principal est: “En quoi croyez-vous et est-ce si important ?” Chacun d’entre nous représente une des croyances que les gens ont dans le monde. Avec ce que nous vivons aujourd’hui, la question de la croyance est plus que jamais d’actualité.
Yetide Ramida : Plus que jamais cette saison prolonge le débat qui a pu avoir lieu dans notre quotidien sur les tensions raciales et sur la question de l’immigration. Peut-être que notre saison offre une vision de sortie de crise et des solutions à suivre pour aller au-delà de nos différences. Dans tous les cas, cette saison, et cette année 2020, nous forcent à nous regarder de plus près dans le miroir pour mieux comprendre qui nous sommes et comment nous pouvons surmonter les défis dressés devant nous. Puisque nous ne pouvons voyager à l’extèrieur, il nous faut voyager à l’intérieur de nous-même. Ainsi nous pourrons évoluer, grandir et changer le cours des évènements. Sur le plan personnel je dois avouer que de jouer Balquis m’a totalement ouvert les yeux sur qui je suis vraiment. Ainsi, j’ai annoncé cette année que je suis bisexuelle et j’embrasse totalement mon existence telle quelle, sans complexe. Je crois qu’ainsi, mon personnage inspire d’autres personnes à assumer leur veritable identité et leur permet d'avoir le courage de vivre leur vie pleinement avec honnêteté.
Comment les dieux d’American Gods réagiraient à la pandémie du Covid-19 ?
Neil Gaiman : Aux Etats-Unis, c’est actuellement le 11 Septembre tous les jours ! Plus de 3000 personnes meurent chaque jour, alors qu’en une seule journée, autant ont trouvé la mort lors des attentats du 11/09. Aujourd’hui les nouveaux dieux sont les dieux de Twitter et de Facebook et d’Instagram. Je crois que ces dieux tentent de donner un sens à tout ceci, en réunissant les gens laissés pour compte. Tout ceci ne me semble être qu'une forme de distraction. Si on ne fait pas trop attention, alors, sans doute, tout ceci disparaitra... Alors qui détiendra le pouvoir ? Il faut faire attention à ne pas donner le pouvoir à ceux qui contrôlent nos techonologies.
Bruce Langley : Je me demande s’il y a un dieu des “Fake News”... Allez savoir, on vit en tout cas une période surréaliste et notre série reflète un peu ce malaise existantialiste que nous traversons.
Ricky, quel pouvoir aimeriez-vous avoir si vous pouviez être un demi-dieu dans la vraie vie ?
Ricky : Vu les temps difficiles dans lesquels nous vivons j’aimerais avoir le pouvoir de Cupidon ! Il y a tellement de racisme, d’homophobie, de xénophobie que j’aimerais permettre aux gens de s'aimer. Qu’ils aillent au-delà de leurs differences pour mettre en commun leur humanité. Je vois tellement de rage et de colère que j’aimerais vraiment changer l’humeur des gens d’un coup de baguette magique. Je vois comment les médias sont divisés et versent dans la propagande idéologique pure et dangereuse. Il faut que les gens osent s’éduquer, qu'ils fassent leur propres recherches, voyagent, afin de comprendre que nous sommes tous assez similaires, avec les même envies et les mêmes soucis. Marre de tout ce chaos, de toute cette division. Il est temps que nous tombions tous amoureux. Fini le temps de la mort et vive le temps de l’amour !
