Qu'est ce qui vous a séduit lorsqu'on vous a proposé Cheyenne et Lola, produit par Lincoln TV avec qui vous aviez tourné la mini-série Au-delà des Murs en 2016 ?
Veerle Baetens : Directement, les personnages. Parce qu'ils ne sont pas communs, ils sont "larger than life". Ces dialogues, mais aussi cette histoire improbable, à la fois sérieuse et drôle, qui me font penser un peu aux frères Coen, et au film Fargo surtout. J'aimais bien ce mélange de drame social et de milieu marginal, un peu gangster... Et aussi, c'est la première fois que je lisais une histoire sur une bande de filles, dont mon personnage faisait partie. C'est marrant de constater en tant qu'actrice, le nombre de fois où on joue avec des hommes en bande, des "band of brothers", et presque jamais avec des bandes de filles.
Aviez-vous déjà vu des séries écrites par Virginie Brac, la créatrice de Cheyenne et Lola ?
Oui, par hasard. J'avais vu Les Beaux Mecs, qui était produit par Lincoln TV, et j'avais regardé ce qu'ils avaient fait quand j'ai joué dans Au-delà des murs. Virginie sait créer de beaux personnages. Elle a aussi écrit sur une saison d'Engrenages, c'était vraiment très bien.
Comment décririez-vous le personnage de Cheyenne ?
C'est une fille qui n'aime pas l'injustice, mais l'injustice lui tombe dessus à chaque fois. Elle reste très fidèle, elle se démmerde, et prend beaucoup de poids sur ses épaules. Elle se sent responsable très vite, et en même temps elle n'aime pas s'attacher aux gens justement à cause de ça, de ce sentiment de responsabilité qui lui attire des ennuis. C'est un peu la même chose que dans le film L'Impasse, avec Al Pacino. Elle veut s'en sortir mais elle n'y arrive pas, parce qu'il y a toujours une personne ou une situation qui va la tirer vers le bas. Elle veut arrêter toute cette vie-là, elle est dans la fuite.
Le duo est assez magnifique parce que sans Cheyenne, il n'y a pas Lola, et sans Lola il n'y a pas Cheyenne.
Pour le look de Cheyenne, vous vous êtes rasée le crâne. Etait-ce un choix personnel ?
Ce n'était pas dans le scénario; Eshref (Reybrouck, le réalisateur, ndlr), qui est flamand comme moi, m'a demandé ce que je n'avais pas encore essayé comme coiffure, car j'en change assez régulièrement dans mes rôles. Je trouve que chaque personnage doit avoir une apparence différente. Et il m'a dit "tu oserais faire ça ?" et j'ai dit "allez !" J'aime repousser mes limites toujours plus loin, c'est comme un concours ! (rires) Ce n'est pas le cas de tous les acteurs et actrices car ils ont peur pour leurs cheveux et je comprends, mais moi j'ai tellement changé que je sais qu'ils sont assez forts pour tenir le coup. Ce qui est beau avec Cheyenne, c'est qu'elle s'efforce de ne pas se cacher. Quand on sort de prison, on est déjà un peu caché aux yeux de la société. Et même si Cheyenne aime sa solitude, elle se dit qu'une nouvelle vie commence en sortant de détention. C'est pour cela qu'elle revient dans son camping-car dans le village où elle est née, car c'est pour elle le seul moyen de gagner de l'argent rapidement afin de fuir le plus vite possible. C'est ça, son but. Et c'est aussi une revanche sur son mec, à cause de qui elle a fini en prison. Elle dit au revoir à sa féminité en se rasant la tête, et en même temps ça la gêne un peu. C'est tellement fort comme image ! Mais elle ne l'aurait jamais fait si elle n'avait pas vécu ça.
La série possède une toile de fond très critique sur la précarité, les migrants, la lutte des classes...
Oui, sur la pauvreté, sur les gens qui tentent de se débrouiller... Forcément, on va arrêter Cheyenne parce qu'elle a déjà un casier judiciaire. Mais autour d'elle, des gens sont dans des situations encore plus dramatiques, des femmes migrantes contraintes de se prostituer par exemple.
Avez-vous eu une bonne alchimie dès le départ avec Charlotte Le Bon, qui incarne Lola ?
Je ne la connaissais pas avant. Elle est magnifique, rigolote, à l'opposé total de Cheyenne et de moi aussi, quelque part ! Elle a un vrai esprit créatif et artistique, mais nous sommes très différentes. Moi je suis plutôt quelqu'un qui va rester dans la tristesse, et elle elle va remonter, elle est très lumineuse. Le duo est assez magnifique parce que sans Cheyenne, il n'y a pas Lola, et sans Lola il n'y a pas Cheyenne. Ca ne peut pas, sinon c'est trop obscur. Au début, j'avais imaginé Cheyenne sur un ton plus humoristique, mais Eshref est plus allé vers le drame, et ça avait plus de sens.
Le personnage de Lola apporte un contraste très fort à cet univers très noir, justement.
Oui, et même physiquement ! Elle est longue, fine, blonde, lumineuse... Vraiment rien à voir avec moi qui suis petite, dure, avec les cheveux rasés. Du coup, ça marche ! Et justement je me suis dit au moment d'imaginer le look de Cheyenne que, face à une bombe comme elle, je devais créer un décalage.
Cheyenne et Lola est diffusée sur OCS depuis le 24 novembre et disponible en intégralité sur la plateforme OCS
Propos recueillis le 27 novembre 2019