Les années 2000 ne resteront clairement pas dans les annales de la branche animation des studios Disney. Sans atteindre le niveau de la décennie 80, au cours de laquelle les producteurs ont envisagé de mettre la clé sous la porte pour mieux se tourner vers le petit écran, la firme est à la peine à l'aube du XXIe siècle. Si l'hilarant Kuzco met tout le monde d'accord, le public est davantage partagé face aux suites de grands classiques qui sortent directement en vidéo, à La Planète au trésor, Atlantide, Frère des ours ou encore Dinosaure, qui mêle décors réels et images de synthèse pour un résultat peu convaincant. Ou, en tout cas, pas assez pour faire face à la concurrence grandissante de Dreamworks ou Pixar, dont ils distribuent les longs métrages et qui manque de leur filer entre les doigts.
Dès 2003, il se murmure que Steve Jobs, alors PDG de Pixar, cherche un autre distributeur, et ses désaccords fréquents avec Michael Eisner, son équivalent chez Disney, ne font que compliquer les négociations. Les choses commencent à s'améliorer fin 2005, avec le départ du second et son remplacement par Bob Iger, pour finalement aboutir à un rachat de Pixar par Disney pour la somme de 7,4 milliards de dollars, et non un renouvellement de leur collaboration. Initiée le 24 janvier 2006, l'affaire est officiellement conclue le 5 mai, avec un changement de taille dans l'organigramme : réalisateur de Toy Story et figure de proue de la firme à la lampe, John Lasseter devient le directeur de la création des deux studios d'animation. Et il prend très vite des décisions importantes, comme l'arrêt des suites de classiques en vidéo.
S'il ne tourne pas totalement le dos à l'animation traditionnelle, il privilégie toutefois les images de synthèse, dont Pixar est devenu l'un des fers de lance. Son premier essai, Bienvenue chez les Robinson (2007), relèvera de l'anecdotique. Le suivant, Volt, séduit davantage grâce à son humour et sa vivacité. Et le troisième sera un triomphe en même temps que le film du renouveau pour ce qui a été rebaptisé Walt Disney Animation Studios. Pour le cinquantième long métrage de son Histoire, la firme décide de renouer avec ce qui a fait son succès : les adaptations de contes de fées. Avec ses 267 millions de dollars de recettes dans le monde entre 2009 et 2010, La Princesse et la grenouille a timidement ouvert le bal, malgré ses dessins en 2D, ses chansons et la présence des réalisateurs d'Aladdin et La Petite sirène, John Musker et Ron Clements, à la baguette. Mais le potentiel est là, et c'est un projet de longue date qui permettra d'en prendre la mesure.
UN DÉBUT DE RAIPONCE
Depuis le début des années 2000, la rumeur parle d'un intérêt du studio pour "Raiponce", le conte des frères Grimm, auteurs allemands du XVIIe et XIXe siècle auxquels il s'était déjà attaqué en adaptant Blanche-Neige et les Sept Nains. Un nom est très vite associé au long métrage : celui de Glen Keane, animateur légendaire à qui l'on doit notamment les personnages d'Ariel (La Petite Sirène), Aladdin, la Bête ou encore Pocahontas. Un garant de la magie disneyienne qui reste attaché au film alors que celui-ci peine à se concrétiser, et consent même à laisser de côté les crayons de l'animation traditionnelle, qui lui est si chère, au profit de la 3D. Une technologie qui a réussi à le séduire en lui assurant d'obtenir le rendu souhaité pour cette histoire de princesse aux très très longs cheveux enfermée dans une très haute tour par une sorcière, qui a bien failli connaître un traitement étonnant.
Selon la directrice de production Doeri Welch Greiner, la première version du scénario ressemblait à ce que nous avons vu en 2007 et en live action dans Il était une fois, avec une héroïne qui aurait été transformée en écureuil et remplacée par une jeune fille venue du monde réel, de manière à marcher sur les traces de Shrek dans sa façon de revisiter les contes de fées à grands renforts de second degré. Peu appréciée par les fans de Disney qui en ont entendu parler à l'époque, cette idée aurait été initiée par Michael Eisner avant de disparaître au moment de son départ. Conforté dans son poste par John Lasseter, et estimant qu'il ne fallait pas avoir honte de mettre en scène un conte ni se chercher d'excuses, Glen Keane se lance pour de bon dans ce qui doit être sa première réalisation, secondé par Dean Wellis… mais des soucis de santé le forcent à prendre du repos et passer la main à Byron Howard et Nathan Greno, respectivement co-réalisateur et animateur sur Volt.
Glen Keane ne quitte cependant pas le projet et, convaincu que celui-ci peut marquer le renaissance du studio en le faisant renouer avec son style d'antan, travaille en étroite collaboration avec les animateurs pour faire naître les personnages et les rendre vivants, expressifs. C'est notamment le cas de Raiponce, inspirée par sa propre fille Claire qu'il décrit comme aussi "enthousiaste et impétueuse" que l'héroïne, et représente un défi technique à elle seule avec cette immense chevelure qui s'apparente parfois à un protagoniste à part entière dans sa façon d'agir et de se mouvoir indépendamment du reste de son corps. Si son visage, son look et son allure ont d'abord été dessinés à la main, pour conserver cet esprit traditionnel, de nouveaux logiciels et techniques ont été nécessaires afin d'animer ces quelques 14 000 cheveux, à l'aide d'un système de tubes (147 au total), et faire en sorte que l'ensemble ne ressemble pas à un bloc mais bouge avec souplesse et naturel, tout en ayant du caractère.
Attendu comme le Disney de Noël 2010, avec une sortie américaine prévue le 24 novembre, Raiponce suscite néanmoins quelques inquiétudes lorsque le titre anglais, "Rapunzel", devient "Tangled" (que l'on peut traduire par "Emmêlés"). Comme une manière de laisser de côté l'aspect "conte de fées" et "princesse" pour viser un public plus large, et notamment les jeunes spectateurs masculins, afin de ne pas connaître la même semi-déception au box-office qu'avec La Princesse et la grenouille. Davantage centrée sur le bellâtre Flynn Rider que sur l'héroïne, avec une insistance sur l'humour qui rappelle plus Shrek que les classiques du studio, la première bande-annonce semble confirmer cette hypothèse que les réalisateurs démentent pendant la promotion, en expliquant que ce changement est dû au fait que les deux personnages principaux sont aussi importants l'un que l'autre, et les comparant à Buzz et Woody dans Toy Story. En France, la question ne se pose pas, et Raiponce sort sur nos écrans le 1er décembre, précédé d'une très bonne réputation.
RAIPONCE FAVORABLE
Avec 68,7 millions de dollars récoltés en cinq jours sur le sol américain, le long métrage débute sur la deuxième marche du podium derrière le premier volet d'Harry Potter et les Reliques de la Mort, sorti en même temps, mais affiche une meilleure moyenne par copie. Il terminera sa course avec 200 millions de billets verts engrangés outre-Atlantique et un total mondial de près de 600 millions, pour un budget de 260 (le plus élevé pour un opus animé du studio). En France, 4 millions de spectateurs se rendent dans les salles et en ressortent majoritairement enthousiasmés. Car au-delà des chiffres, c'est bien au niveau de sa qualité que Raiponce se révèle être un succès. Comme très souvent avec Disney, l'histoire de base, bien trop sombre, est quelque peu édulcorée pour convenir à un public familial. Mais l'essentiel est là, à savoir la princesse aux cheveux longs, ses parents qui apparaissent dans le prologue ou encore la sorcière. Sans oublier l'esprit Disney, qui s'exprime en trois dimensions et que Chicken Little, Volt ou Bienvenue chez les Robinson n'étaient pas parvenus à capturer.
Par bien des aspects, Raiponce rappelle Jasmine d'Aladdin, Ariel ou même Pocahontas, ce qui n'est pas un hasard quand on sait que les deux dernières sont nées sous le crayon de Glen Keane. Le prologue fait quant à lui écho à celui de La Belle et la Bête, il y a une scène romantique digne de celle sur la barque dans La Petite Sirène, tandis que la vivacité de l'action s'inscrit dans la lignée de Tarzan et que l'humour n'a rien à envier à celui de Kuzco. Ajoutez-y une méchante sorcière obsédée par la jeunesse éternelle, des sidekicks amusants (un cheval et un caméléon) ainsi qu'une poignée de chansons signée Alan Menken (pas toutes mémorables, il faut bien le reconnaître), et vous avez là tous les ingrédients d'un bon Disney. Et la preuve que, non seulement la recette n'a pas été perdue dans le studio, mais que ses têtes pensantes sont parvenus à la moderniser et l'adapter au XXIe siècle. Visuellement déjà, car on se sent immédiatement dans un monde familier avec des images de synthèse qui parviennent à capturer le style de l'animation traditionnelle avec un rendu proche de la perfection.
Pour un peu, on dirait que Disney fait du Pixar, et ça n'est sans doute pas faux. Car Raiponce est le fruit de l'alliance entre Glen Keane et John Lasseter, entre tradition et modernité. L'esprit du studio est toujours là et on retrouve bien le style de certains de ses classiques, mais quelques-uns de ses codes sont dépoussiérés et mis au goût du jour. A commencer par le caractère de son héroïne, bien plus vive, indépendante et facétieuse (en plus de savoir manier la poêle avec une efficacité redoutable), elle est une princesse qui rêve de liberté mais pas du prince charmant. Surtout que Flynn est un voleur certes drôle et intrépide, mais dont les élans héroïques sont souvent parasités, ce qui le rend plus humain et attachant, à l'image des brigands que les personnages rencontrent dans une taverne et qui cachent en réalité une grande sensibilité qui s'exprime dans la chanson "I've Got a Dream" ("J'ai un rêve"), bien plus réussie que les autres et qui résume ce qui guide chacun des protagonistes.
"Pour chaque éclat de rire, il faut une larme", avait déclaré John Lasseter aux deux réalisateurs, en citant Walt Disney. Et c'est dans l'émotion et sa façon de rendre ses personnages crédibles et immédiatement attachants (même, d'une certaine manière, la méchante Mère Gothel, dont on comprend les motivations) que Raiponce marque des points. Tout autant que dans sa manière de moderniser les classiques du studio, qui représentent presqu'un genre à eux seuls. Conçu en 2D pour être animé en 3D, avec un style visuel inspiré de celui du tableau "Les Hasards heureux de l'escarpolette" de Jean-Honoré Fragornard, il fait figure de petit miracle pour une société que l'on pensait moribonde, et préfigure l'oscarisé La Reine des Neiges (qui proposera des chansons plus marquantes. Presque trop pour certains parents qui ont dû la passer en boucle), Vaiana ou la future Raya.
Sans oublier Merida, héroïne de Rebelle de Pixar et qui partage avec l'héroïne de 2010 cette incroyable chevelure, véritable prouesse d'animation à elle seule. Des cheveux soyeux qui fêtent les dix ans de leur arrivée dans les salles mondiales (et que l'on a revus dans un court et un moyen métrage ainsi qu'une série, animée en 2D), et dont la solidité et la souplesse ont concouru au renouveau des studios d'animation Disney, qui ont renoué avec les sommets du box-office et leur qualité d'antan grâce à ce long métrage à la fois classique et moderne, drôle et tendre, et dont le capital sympathie et l'importance n'ont pas diminué au cours de la décennie.
"Raiponce" : des longs cheveux et des détails cachés