Arte diffuse ce soir un film rare de Patrice Leconte, Tandem, qui vient dans le même temps d'être réédité en DVD / Blu-ray. Tandem, porté par Jean Rochefort et Gérard Jugnot, prend la forme d'un road movie sur les routes de France. On y suit Rivetot (Jugnot) et Mortez (Rochefort), star de "la Langue au chat", jeu radiophonique. Cela fait des années que Rivetot les conduit sur la route de ville en ville dans un éternel break Ford, des années qu'ils prennent une chambre a deux lits dans des hôtels miteux, des années que Rivetot porte les valises, installe les micros, les câbles, sélectionne les candidats, chauffe la foule. Et quand Rivetot apprend que "la Langue au chat" va etre supprimée, il n'en dit mot à Mortez. Que faire?
Ce long métrage que Patrice Leconte présente comme son "premier film vraiment personnel (...), après avoir fait des films de genre, comédies ou polar", comme il l'indique dans le livre d'entretien J'arrête le cinéma, sorti chez Calmann-Lévy, en 2011 rencontre un bel écho auprès de la critique, montrant une autre facette du cinéaste, après de grands succès public comme Les Bronzés et Les Spécialistes notamment.
A l'époque, Tandem fait événement également car il marque les retrouvailles entre le cinéaste et Jean Rochefort, 12 ans après Les Vécés étaient fermés de l'intérieur. Si Leconte a beaucoup tourné avec le comédien (7 collaborations au total), il faut savoir que leur relation a été assez houleuse à ses débuts, et qu'en proposant le rôle principal de Tandem au comédien, il s'agissait aussi pour le cinéaste de tenter de régler un contentieux.
Tandem a connu une longue genèse, la première version du scénario ayant été écrite en 1981, 7 ans avant la sortie du film. Le projet initial, connu sous le nom "Chers amis bonjour" avait été imaginé pour la télévision, et non pour le cinéma, avec Roger Pierre dans le rôle principal. Lorsque le film a finalement été repensé pour le cinéma, ce choix d'acteur a été abandonné, et Rochefort privilégié pour "rassurer les investisseurs".
Outre faciliter le financement du film en choisissant Jean Rochefort, il s'agissait pour Patrice Leconte de retrouver un acteur avec qui la première collaboration s'était extrêmement mal passée, ce dont le cinéaste ne s'est jamais caché, disant que cela avait été "terrible". "(Rochefort) me prenait pour un incapable, haussait les épaules à chaque fois que je disais quelque chose. (...) (Il) montrait tellement d'impatience que je n'osais plus lui adresser la parole. C'était une épreuve de lui demander ceci ou cela. Un jour où je lui avais simplement indiqué ce qu'il devait faire (aller à la porte de la cellule), il m'avait dit "Patrice, ne me parle plus jamais, je suis anéanti d'avoir signé ce film". J'en ai encore des frissons. Il est allé trouver la Gaumont et leur a expliqué que j'étais totalement incapable, et, pour sauver le tournage, leur a proposé de mettre en scène lui même le film..." La relation s'est ensuite compliquée, Rochefort ayant en effet prêté main forte à la mise en scène, en écartant, de fait, Leconte des commandes du projet. Après un nouveau clash, Rochefort s'est renseigné pour savoir s'il était possible contractuellement de quitter le film, mais ce n'était pas possible. "J'ai continué et terminé le film avec un ennemi en permanence sur le plateau", confie Leconte.
Pourquoi avoir fait appel à Rochefort après une expérience si douloureuse ? "J'ai (...) pensé à lui parce qu'il y avait un contentieux, parce qu'il m'avait trop mal jugé et parce que je voulais refaire du cinéma avec lui pour que nous ayons enfin du plaisir à travailler ensemble". "La préparation de Tandem (...) a été dure", confie-t-il dans le livre J'arrête le cinéma. "Nous allions le voir à la campagne, et il était lui-même. Je veux dire qu'il ne déployait pas des trésors de charme pour me faire oublier nos différends."
Jean Rochefort s'est-il excusé après toutes ses années pour son comportement désagréable sur le tournage du premier long métrage de Patrice Leconte ? "Jamais", indique le cinéaste. "Tout ce qu'il a pu en dire avec le recul figure dans le bonus du DVD des Vécés, où il admet ne pas avoir été très sympa. C'est une pirouette, mais c'est là. Et je ne me suis jamais aussi bien entendu avec lui que sur Tandem." Et d'ajouter : "Sur Tandem, c'était merveilleux : il donnait beaucoup, autant dans des excès auxquels je ne m'attendais pas, que dans le mutisme bouleversant dans lequel il plongeait parfois. Ce qu'il fait dans ce film est incroyable d'extravagance maîtrisée et de folie".
Par la suite, il tournera avec ce dernier pas moins de cinq autres films: Le Mari de la coiffeuse (1990), Tango (1993), Ridicule (1996), Les Grands Ducs (1996) et L' Homme du train (2002).
*Toutes les citations sont extraites de J'arrête le cinéma, sorti chez Calmann-Lévy, en 2011