L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. Pour votre bien, consommez avec modération.
AlloCiné : Drunk semble être une lettre d’amour adressée à toutes ces choses que l’on ne peut désormais plus faire : se déplacer, se réunir, sortir…
Mads Mikkelsen : Oui, mais cela l'est devenu car ce n’était pas le but du film lorsque nous l’avons tourné. Tout était normal dans nos vies, rien de tout cela n’avait commencé. Donc nous n’avions pas prévu le confinement, et il y a eu un moment lorsque le montage était terminé et que nous avons découvert le film pendant le confinement où nous nous sommes demandés si ce que nous avons fait est toujours légal ou pas (rires). Les personnages s’embrassent, se touchent… C’est quelque chose d’hallucinant de se dire qu’il aura suffit d’une année pour s’habituer à être dans l'interdiction de faire tant de choses. C’est complètement fou ! Mais je n’ai pas ressenti la moindre pression, car je suis persuadé que les gens préfèrent voir un film comme Drunk plutôt qu’un film qui traite du coronavirus.
Thomas Vinterberg : Le film aborde d’une certaine façon la question du confinement avant le confinement. Notre pays (le Danemark, ndlr) est un pays très cadré et chaste sur la question de l’alcool, mais ses habitants ont des habitudes totalement désinhibés dans leur façon d’en consommer (rires). Donc peut-être que l’on pourrait dire que le film répond à une situation que l’on pourrait comparer avec celle du confinement.
Il semble y avoir un sous-texte politique dans le film, alors que de nombreuses références sont faites à des chefs d'état et à leur consommation d’alcool. Qu’avez-vous voulu dire par cela ?
Mads : C’est de toute évidence à Thomas de répondre à cette question mais je n’ai pas du tout pensé à cela au moment où nous avons tourné le film. Mon personnage fait remarquer à ses élèves que rien n’est ce que l’on pense être, en apparence on peut avoir l’air d’être très moral, sembler être très vertueux, mais cela ne veut pas dire qu'on l'est vraiment. Et à l’inverse, on peut apparaître comme quelqu’un plein de vices, mais être en réalité quelqu’un de très moral. Mais je pense que c’est juste une coïncidence, je ne sais pas Thomas si c’est ce que tu voulais dire à travers ton film…
Thomas : Oui c’est exactement cela. Le point de départ de ce film part d’une fascination pour tous les événemenets dans l’Histoire de l’humanité accomplis par des gens en état d’ébriété. En établissant le personnage de Mads comme étant un professeur d’Histoire, nous nous sommes donnés la possibilité de pouvoir évoquer tout cela. Cela ne rend donc pas le film politique, en réalité j’essaie même de le dévier de toute intention politique, pour qu’il soit simplement perçu comme un portrait d’homme.
L’étude norvégienne qui sert de point d’entrée au film existe-t-elle vraiment ?
Thomas : Oui elle existe, elle a été publiée il y a vingt ans. Son auteur continue de défendre sa thèse, mais j’imagine qu’il est fondamentalement polémique de dire que les gens deviennent plus courageux et créatifs lorsqu’ils boivent de l’alcool. Au fond, je ne sais pas s’il encourage les gens à boire de l’alcool, ou s’il les alerte sur les choses de la vie à côté desquelles ils passent. Je n’en sais rien, je ne lui ai pas posé la question. Nous avons déjeuné ensemble, c’était très intéressant, mais je n’ai pas pensé à lui poser la question.
Mads : Mais c’est intéressant, car de toute évidence c’est vrai. Qui peut contredire le fait que boire deux verres de vin provoque quelque chose en nous, et dans la plupart des cas, quelque chose de bénéfique.La question ne se pose pas pour huit verres d’alcool, mais deux verres d’alcool font des choses que zéro verre ne permet pas d’accomplir. Pourquoi chercher à savoir si c’est vrai ou non, et pourquoi cet essai met-il tant de gens en colère ? Est-ce parce que selon eux cela nous incite à consommer davantage d’alcool ? Non ce n’est pas le but de cette étude, et ce n’est pas non plus celui du film. Il est évident que l’on ne peut pas boire toute la journée sans subir des conséquences sur sa santé. Depuis des siècles, des artistes ont réussi à accomplir des exploits inouïs grâce au bénéfice de l’alcool. Donc pourquoi ne pas s’interroger s’il serait possible de faire la même chose sans l’alcool ?
Avez-vous consommé de l’alcool pour le tournage de certaines scènes ou le film s’est-il tourné complètement sobre ?
Mads : Nous avons beaucoup répété, nous avons filmé nos essais aux différents stades de l’ébriété…
Thomas : Donc il n’y a eu consommation d’alcool qu'au cours des répétitions…
Mads : Afin que nous puissions étudier les effets qu’a l’alcool sur le langage et les mouvements. Nous avons aussi regardé beaucoup de vidéos sur Youtube, il y a un cliché persistant sur les russes, mais en réalité il s’agissait effectivement d’une majorité de gens russes qui se sont filmés après avoir bu de l’alcool. Il est tout bonnement impossible de tourner pendant une journée complète si l’on boit de l’alcool, surtout qu’après le tournage, il faut prendre sa voiture pour rentrer chez soi…
Pensez-vous que le confinement a changé la perception que l’on se fait de votre film, et sera-t-il possible de le voir comme l’aviez imaginé lorsque la crise sera derrière nous ?
Thomas : Le jour même où nous avons terminé la post-production de ce film, le confinement a débuté au Danemark. Deux situations s’offraient alors à nous : la première est que le film aura légèrement l’air hors-sujet au moment où il sortira au cinéma, car des gens meurent du virus et le monde fait face à un grave danger ; la seconde est qu’à l’inverse, le film aura des effets bénéfiques pour ceux qui souffrent du manque de contact et regrettent la vie d’avant. Nous ne savons pas encore laquelle de ces situations va se concrétiser, au Danemark nous le savons déjà car les gens se ruent au cinéma pour voir et revoir le film et vont ensuite dans des bars pour boire des coups (rires). Pour ce qui est du reste du monde, nous ne le savons pas encore...
En Sélection officielle Cannes 2020, Drunk est à découvrir dès aujourd'hui au cinéma :