AlloCiné : Brutus vs César, c’est votre première vraie comédie après Nous trois ou rien et Mauvaises herbes. Pourquoi avant attendu si longtemps et pourquoi s’attaquer à l’histoire des romains et des gaulois ?
Kheiron : Quand tu es humoriste, que tu fais du stand-up et que tu passes au cinéma, on t’attend dans une comédie. Donc j’ai voulu surprendre et faire autre chose. Quand tu fais deux comédies dramatiques sur fond social qui parlent de divers sujets qu’on n'aborde pas forcément sur scène, on s’attend ensuite à une comédie plus traditionnelle. Et quand on te dit Brutus vs César, tu t’attends pas à ça. J’aime essayer de surprendre mon public. Et j’ai choisi ce sujet parce que j’avais envie de réhabiliter un traître célèbre de l’histoire. Je trouve l’époque intéressante pour pleins de raisons : cela peut permettre des anachronismes et de voyager un peu aussi.
C’est vrai que l’on oublie mais votre pseudo Kheiron est une référence à un personnage de la mythologie grecque.
Oui en effet. Chiron le centaure. On est en plein dans les croyances grecques qui ont été reprises par les Romains. C’est un personnage que j’affectionne particulièrement, il est juste, sage et c’est un éducateur. Il a initié Achille et Ulysse. Il est dans les sciences, la médecine et les arts. Un personnage très complexe et profond.
Maintenant que vous en êtes à votre troisième film, comment décririez-vous votre style, en tant que réalisateur ?
Je ne sais pas… ce n’est pas aux autres de décrire votre style en général ? Je pense qu’on fait les choses instinctivement. Si on avait essayé de me donner un style après deux premiers films, je viens de le casser avec Brutus vs César. Si on essaie le même exercice maintenant, je le "casserai" une nouvelle fois avec mon prochain long-métrage. Mon but est de ne pas être dans une case. Si on veut surprendre son public, il faut oser le désarçonner.
Il y a quelque chose qui m’a fait beaucoup rire dans le film, c’est le choix des musiques. Ça crée une sorte de décalage intéressant.
C’est un vrai parti pris. Il y a des moments très épiques, qu’on a joué à fond. On a aussi joué la carte de la comédie avec des musiques très modernes. Je voulais que dès le premier volet de Brutus vs César, on se dise que c’est un gros n’importe quoi et que ça peut aller dans tous les sens.
Le premier volet ?
J’aimerais beaucoup en faire une suite. Je sais que c’est pas intelligent d’un point de vue marketing de l’annoncer car si ça ne se fait pas, ça aurait voulu dire que le film n’a pas marché et que c’est un échec. Les gens ont peur de ça. Dans la vie on tombe et ce n’est pas grave. Le film a été écrit pour avoir une suite. Si le public s’empare du film et qu’il est plébiscité, Amazon m’en commandera un autre. Et si ce n’est pas le cas, il n’y en aura pas d’autres.
Donc ce sera éventuellement une saga sur Amazon ?
Le film devait sortir à la base au cinéma mais on est parti avec Amazon sur le premier. S’il y a une suite, je vais rester fidèle envers eux.
Une suite sur des traîtres célèbres par exemple ?
Ca va être une surprise ! Mais encore une fois ça va être surprenant.
Quand on voit un film historique, on se pose forcément la question de la fidélité à l’oeuvre. Est-ce que vous diriez que la comédie permet de passer outre ?
Oui, parce que sinon il n’y a pas de plus-value. Si tu changes le passé, juste pour changer le passé, ça peut être un peu traître justement. Il peut y avoir des motivations pas nobles derrière. Comme une volonté de réécrire l’histoire. Ce n’est pas toujours le cas mais ça peut être perçu comme tel. Alors que quand tu changes le passé pour avoir du rire, on te le pardonne parce qu’il n’y a pas de message derrière. On ne prône rien. On pardonne tout à l’humour. Et tant mieux d’ailleurs.
Dans le cas de Brutus vs César, ça a justement pu étonner le fait de voir des acteurs issus de minorité jouer des personnages historiques blancs. Vous, en tant que scénariste et réalisateur, est-ce que c’est un sujet qui vous a traversé l’esprit ?
C’est complètement volontaire. Ce n’est pas un hasard si en figurants, au Sénat, y’a des femmes, des noirs, des arabes, des asiatiques et des caucasiens. Ce n’est pas un hasard si la notion de sexe ou de genre n’est pas présente dans ce film. Il n’y a jamais eu de femmes qui se sont battues dans les légions romaines. Moi j’en ai. On a fait des armures spécialement pour laisser passer les poitrines. Ca nous a coûté plus d’argent de faire ces détails-là, de faire venir des cars de caucasiens ou d’asiatiques dans tels villages reculés du Maroc pour tourner le film. Ça aurait été plus facile de prendre des locaux. C’était une vraie volonté de ma part parce que j’ai envie de miser sur cette carte-là. Je mise sur le métissage, la diversité et je sais que les gens ont besoin de héros. De pouvoir s’identifier. Pendant des décennies on a eu des acteurs blancs pour tout jouer. Il est temps que ça change aussi.
Vaste sujet que la comédie. Vous avez dit récemment cette phrase sur les réseaux sociaux : "Vous avez le droit de décider de ce qui vous fait rire, pas de ce qui est drôle". Et justement j’ai lu dans une interview donnée à nos confrères de Première que vous vouliez à la base parler de Judas mais que vous vous êtes bridé pour des raisons évidentes.
Oui, j’avais créé une mini-série il y a quelques années qui s’appelle “Les Voisins du dessus”. Le concept c’est une colocation au Paradis. Y’a Jésus, Judas, Bouddha, Shiva, Parvati, Khadija la femme de Mohamed. Il n’apparaît pas et on disait pour la blague que c’était pour des "raisons de survie évidentes". Tous ces personnages cohabitaient en paix. Ils se vannaient les uns les autres. Aujourd’hui je pense que je ne pourrais pas le refaire. On a régressé sur le niveau général d’acceptation en humour. Ça aurait été me tirer une balle dans le pied que de partir sur Judas. Le but est d’être libre quand on écrit quelque chose. Si on sent qu’on ne peut pas aller sur un sujet, le but n’est pas d’y aller pour provoquer. Ça reste un divertissement familial. Mais je déplore le fait qu’on ne puisse pas rire de tout effectivement.
Il me semble que vous avez profité du confinement pour écrire votre prochain long-métrage.
Oui ! J’attends juste que Brutus vs César sorte pour commencer à démarcher auprès des partenaires, voir sous quel format et avec qui on va le faire.
La suite de la saga peut-être ?
Non ce sera complétement autre chose. Même artistiquement. Ca ne ressemble à rien de ce que j’ai fait jusqu’à présent.
Trois bonnes raisons de voir Brutus et César ?
Il y a une pléiade d’acteurs incroyables et brillants, ça fait plaisir de tous les voir ensemble à l’écran. Je pense sincèrement que le public va rire et passer un bon moment. Ça ressemble à rien de ce qui a été fait : soit on adore, soit on déteste. Je ne dis pas que c’est excellent et que vous allez adorer. Vous pouvez détester. Mais au moins, une proposition comme celle-là a le mérite d’exister.
Propos recueillis à Paris le 14 septembre.