AlloCiné : Comment êtes-vous entrés en contact avec le collectif à l'origine de la marche ?
Hakim Atoui et Baptiste Etchegaray : On a un ami qui faisait partie de l'association Saint-Denis Ville au Coeur, il nous a mis au courant du projet de la Marche très tôt, aux premiers jours de 2019. Un dimanche d'hiver pluvieux et froid on s'est dit : et si on suivait cette bande d'étudiants avec une caméra dès maintenant jusqu'au jour J, en juin ? Notre mise en contact avec eux a été très facile grâce à cet intermédiaire.
Combien de temps avez-vous suivi ce groupe ?
De février (les premières réunions, les premiers groupes de travail..) au 9 juin 2019, jour de la Marche. Mais on n'a commencé qu'à filmer en mars, une fois qu'ils nous avaient bien apprivoisé (et qu'on avait enfin acheté une caméra !).
La marche est également métaphorique du parcours de ces personnalités en pleine affirmation. Comme si ces militants apprenaient à devenir militants et adultes à travers cette expérience...
Oui, c'est vraiment ce qu'on a ressenti, et c'était encore plus vrai a posteriori. Quand on a projeté pour la première fois le film, en novembre 2019, au festival Chéries-Chéris à Paris, les quatre principaux protagonistes (Youssef, Yanis, Luca et Annabelle) étaient présents pour échanger avec le public. C'était impressionnant de voir comme ils avaient tous grandi, mûri, ils s'étaient énormément affirmés par rapport à la période où on les avait suivis. Ils étaient devenus de vrais adultes. C'est ce qui est très beau avec le documentaire : on capte un moment, une période, qui ne reviendra jamais. On a le sentiment d'avoir filmé une bande de jeunes étudiants au tout début de leur engagement, de leur citoyenneté, on a "immortalisé" leurs premiers coups de gueule, leurs premiers doutes, leurs premières réalisations, cette énergie qu'on a quand on a 20 ans et que tout est possible, tout est excessif, tout est déplaçable, rien n'est figé. On aime se dire qu'ils pourront revoir le film dans 10 ou 20 ans et qu'ils seront émus de revoir ces instants-là, si déterminants.
Votre film tire sa force des personnalités qui passent devant votre caméra. Il y a même de vrais personnages.
Un bon documentaire c'est d'abord de bons "personnages". On voulait éviter le piège du film "à sujet". Une première marche des fiertés en banlieue, c'est en soi un bon sujet, mais ça ne tient sur une heure que si c'est incarné, si on entre dans la vie des gens, si on partage des histoires humaines, des expériences. Bien que le sujet soit fort, et très en écho avec notre époque, il fallait s'éloigner le plus possible du discours et des idées pour se concentrer sur des profils, des jeunes d'aujourd'hui. On n'a pas été déçu en rencontrant Youssef, si flamboyant ! A la fois joyeux et en colère, archi politisé et en quête de légèreté, toujours prompt à faire une blague face caméra.. On a même été tenté de faire du film un portrait de lui, d'autant qu'il démarrait tout juste un processus de transition (Youssef se genre désormais au féminin) mais cela nous éloignait trop de notre sujet qui était la Marche. Et puis on avait envie de filmer une bande de potes, un collectif, avec un socle et des gens qui vont et viennent. Yanis le leader car le plus "politique", le plus pragmatique, Luca le rêveur rieur, Annabelle la néophyte qui se découvrait une âme militante au contact de ses amis etc.
A la vision du film, on est surpris par la bienveillance qui entoure le projet. Les organisateurs ne sont vraiment heurtés à aucune hostilité ?
On ne nous croit pas toujours mais nous n'avons jamais été témoins d'hostilité, notamment le jour de la Marche à Saint-Denis qui s'est déroulée dans une ambiance totalement bonenfante. Tant mieux pour eux car c'était leur objectif : montrer que c'était possible d'inscrire la lutte LGBTQI+ en banlieue, dans des territoires réputés difficiles, et ne pas la réserver aux quartiers embourgeoisés des centres-villes. Là-dessus, ils ont totalement réussi leur pari ! Il faut avouer que quand on s'est lancé dans ce projet, on n'était pas du tout certain que tout se passerait bien. En commençant à filmer on imaginait même une sorte de docu "à suspens" sur le thème "la marche des fiertés en banlieue aura-t-elle lieu ?". Et puis très vite on s'est rendu compte que ce n'était pas le sujet car évidemment la Marche aurait lieu tant leur enthousiasme était fort et partagé sur place. Plutôt que filmer des hostilités (que nous n'avons pas vues mais qui doivent sans nul doute s'exprimer là comme ailleurs) on a donc plutôt filmé des moments qui n'étaient pas forcément faciles pour eux : le stress d'une première radio en direct sur une grande station nationale, des séances de tractage dans l'indifférence générale, une conférence organisée devant une salle quasi vide.. C'est ça les vrais combats du militantisme (pour reprendre une expression de Youssef dans le film !), ces instants un peu durs où il ne faut pas se décourager, où il faut se serrer les coudes et continuer à y croire.
"Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait". Cette citation de Mark Twain pourrait servir de slogan à votre film...
Eux en tout cas n'envisageaient pas une seconde l'impossibilité de faire une marche des fiertés à Saint-Denis. Pour eux ça allait de soi et c'est ce qui nous a plu tout de suite.
Envisagez-vous de réaliser "La Deuxième marche" ?
Non, c'est vraiment la première fois qui nous intéressait. Leur première marche et notre premier documentaire !
Que deviennent toutes les personnes que l'on croise dans votre film ?
Elles continuent à s'engager au quotidien pour leur ville au sein de leur association Saint-Denis Ville au Coeur, à travers de nombreuses initiatives, des rencontres, des brocantes solidaires... En ce moment la petite bande travaille d'arrache-pied à l'organisation de la pride 2020 (qui devait avoir lieu en juin mais a été décalée à octobre en raison du covid). Et dans tout ça, nos quatre héros poursuivent leurs brillantes études en sciences politiques à Paris-8 ! Pour devenir les futurs chercheurs, élus, profs... dont nous avons bien besoin.
La bande-annonce de La Première marche :