AlloCiné : Madre est tiré de votre court-métrage du même nom, nommé aux Oscars, que vous avez réalisé en 2017. Pourquoi avez-vous décidé de revenir à cette histoire ?
Rodrigo Sorogoyen : Je voulais combler l'histoire d'Elena, le personnage de la mère, que l'on laisse à la fin du court-métrage à un moment totalement déterminant de sa vie.
Le film s'ouvre sur un plan-séquence filmé caméra à l'épaule, dans un style qui rappelle Que Dios Nos Perdone et El Reino. Mais Madre est bien plus dramatique et intimiste. Pourquoi ce changement de ton dans votre carrière ?
C'était un véritable défi pour moi et c'est justement quand il y en a un à relever que ça devient intéressant à mes yeux. Cela ajoute une motivation supplémentaire dans mon envie de réaliser un film. Il y avait aussi simplement la volonté de changer, de ne pas toujours faire la même chose.
Comment avez-vous écrit le personnage tortueux d'Elena, dont les actions peuvent paraître insensées ?
Je ne sais pas (rires). Mais ce qu'on voulait éviter à tout prix, c'était tout jugement sur elle. Et susciter l'empathie. On a beaucoup travaillé avec l'actrice Marta Nieto, qui était déjà l'héroïne du court-métrage, ce qui a facilité le travail. On avait la responsabilité de faire attention à ce qu'on était en train d'écrire. Pour vous donner un exemple, Isabel Peña [scénariste de Madre, NDLR] et moi avions un tableau sur lequel on écrivait des concepts, des phrases, des idées... Il y a un terme que l'on a rayé dès le début de l'écriture, c'était le mot "folle".
La relation entre Jean et Elena est très ambiguë et déroutante. Ne craignez-vous pas la réaction du public ?
Il est vrai qu'on était conscient du risque mais on tenait à raconter cette histoire. Nous avions peur mais nous avions aussi confiance en nous et en ce scénario. S'il y a une réaction chez les spectateurs ou les critiques, cela signifie que Madre les a fait réfléchir. La chose la plus importante était de faire attention à comment on racontait cette relation et non cette relation elle-même entre cette femme et cet adolescent.
Comment avez-vous choisi le jeune acteur qui incarne Jean ?
C'était une surprise incroyable de trouver Jules Porier. Nous l'avons rencontré lors d'un casting et avons su immédiatement que c'était lui. Mais c'était tellement tôt, rapide, dans le processus qu'on s'est dit qu'on devrait continuer à chercher, ce qui était absurde car c'était lui le bon.
Pouvez-vous nous parler de vos choix de mise en scène, notamment de l'usage du grand angle et de la caméra qui est sans cesse en mouvement ?
Ce sont des choix que j'ai faits pour raconter cette histoire du mieux possible. La caméra bouge seulement quand Jean apparaît dans le champ. Sinon elle est totalement fixe sur un trépied. C'est un choix qui a beaucoup de sens pour moi. Quant au grand angle, ça a été très important aussi car il montre les espaces et les paysages comme s'ils étaient immenses et majestueux. À l'inverse, il permet de donner l'impression que les personnages sont très petits, écrasés, ce qui en dit long sur leur état physique et mental.
Merci à Jean-Baptiste Pean.