Il a la particularité de concilier le cinéma dit "d'auteur" et le cinéma populaire. Réalisateur prolifique, François Ozon a su marquer le paysage cinématographique français avec un style personnel et des thèmes récurrents, comme la sexualité, la quête d'identité et la famille, tout en questionnant les mœurs de notre société.
Avec Grâce à Dieu, sorti en 2019, il revenait sur l'affaire de l'ancien prêtre Bernard Preynat, condamné pour ses agressions sexuelles sur des enfants pendant près de vingt ans. Poignant et d'utilité publique, le film parvenait à porter la parole des victimes en racontant les faits à travers leurs points de vue.
Dans Été 85, son nouveau et dix-neuvième long métrage, qui arbore le label Cannes 2020, le metteur en scène opère un virage à 180°. À la fois lumineux et macabre, doux et acide, ce teen movie est adapté du roman d'Aidan Chambers, La Danse du coucou, publié en 1982.
Trois ans plus tard, le réalisateur, alors âgé de dix-sept ans, se procure l'ouvrage, avant d'y vouer une véritable obsession. Il a donc fallu attendre trente-cinq ans pour découvrir, dès ce 14 juillet 2020 dans les salles, sa vision de cette romance pas tout à fait comme les autres. De ses références à sa perception de l'adolescence, en passant par l'évolution des représentations au cinéma, François Ozon se livre à AlloCiné.
AlloCiné : Ce film est adapté d'un roman que vous avez découvert durant votre adolescence, La Danse du coucou d'Aidan Chambers. Vous rêviez qu'un réalisateur ou une réalisatrice en fasse un film pour en être le spectateur. Finalement, trente-cinq après, c'est vous qui le réalisez. Est-ce que ce fantasme enfin devenu réalité résonne différemment de vos autres projets ?
François Ozon : C'est vrai que ce film est une expérience particulière. Quand j'ai lu le livre, en 1985, j'avais 17 ans, et j'étais encore un apprenti cinéaste, je faisais des courts métrages en Super 8. Dès que je l'ai lu, j'ai eu un tel coup de foudre que je m'étais dit : "J'adorerais raconter cette histoire dans un film, en faire mon premier long métrage." Mais à ce moment-là, j'étais encore étudiant, ça me semblait très hypothétique que je devienne réalisateur.
J'ai finalement laissé tomber l'idée, même si j'avais écrit une version de scénario, que j'essaye aujourd'hui de retrouver. J'imaginais qu'un réalisateur américain, comme John Hughes, ou même Rob Reiner ou Gus Van Sant, allait s'emparer de cette histoire pour en faire un film, mais ce n'est jamais arrivé. Après Grâce à Dieu, j'ai relu par hasard le roman et je me suis dit que le récit était quand même magnifique, qu'il y avait pleins de points communs avec mes autres films.
J'ai senti que c'était le bon moment, trente-cinq ans après, que cette histoire devienne un long métrage, d'autant plus que quand j'ai rencontré l'auteur, Aidan Chambers, il m'a confié que plusieurs réalisateurs avant moi avaient aussi essayé de le faire, sans jamais y arriver.
Été 85 est un film à deux visages, aussi solaire que grave, parfois même un peu morbide. Comment souhaitiez-vous jouer avec cette dualité ?
En relisant ce livre, j'ai été séduit par cette histoire très belle, idéalisée, qui correspondait à la vision d'Alex au début du récit. Par la suite, il se passe des choses plus sombres. C'est très représentatif de l'adolescence. C'est une période avec des moments de bonheur intense, mais aussi d'énormes souffrances.
Je pense que le personnage d'Alex traverse toutes ces gammes d'émotions : il va du plaisir au bonheur, en passant par l'idéalisation de l'amour, vers quelque chose de plus difficile et, en même temps, il y a une résilience, puisqu'à la fin, il s'en sort. Toute cette histoire l'a aidé à trouver sa vocation, à trouver sa place, et c'est ce qui me plaisait. Il y a un vrai parcours. C'est une sorte de roman d'apprentissage.
Lorsque l'adolescence arrive, on est lancé sur la scène du monde.
Dans votre filmographie, les adolescents sont souvent confrontés à leur part d'ombre. Il y a les adolescents meurtriers dans Les Amants criminels, l'adolescent voyeur dans Dans la maison, ou encore une jeune fille piégée dans la prostitution dans Jeune & Jolie. Quel rapport entretenez-vous avec l'adolescence ?
Elle marque les premières confrontations à la réalité du monde. Pendant l’enfance, on est préservé, protégé par nos parents, même si ce n'est pas toujours le cas. Lorsque l'adolescence arrive, on est lancé sur la scène du monde. On est confronté à des événements d'une extrême violence.
Forcément, pendant l'enfance, on nous lit des contes de fées avec un prince charmant, une princesse charmante. Mais quand on rencontre l'amour pour la première fois, on se rend compte que ce n'est peut-être pas si charmant que ça. Il y a l'envers du décor. C'est cette confrontation que tous les adolescents vivent face au réel, qui est intéressante à filmer, que ce soit dans Jeune & Jolie ou Dans la maison.
Ce sont des personnages qui se retrouvent face à la cruauté d'un nouvel environnement et on veut savoir comment ils vont s'en sortir, comment ils vont trouver un moyen pour survivre.
On note de nombreuses références cinématographiques dans Été 85 : La Boum, My Own Private Idaho de Gus Van Sant...
J'ai repensé aux films que j'avais vu durant ma jeunesse, des films des années quatre-vingt. Forcément, il y a La Boum, que j'ai vu comme tous les enfants et adolescents de l'époque. Après, il y avait ces films américains comme Stand by Me, qui est adapté d'une nouvelle de Stephen King. On retrouve cette même idée de la mort.
ll y a également quelques petits clins d’œil à un de mes courts métrages, par exemple Une robe d'été. J'ai compris, en relisant le livre, à quel point il avait infusé en moi. Dans la chambre de David, il y a ce poster de Soudain l'été dernier de Joseph L. Mankiewicz, adapté de la pièce de Tennesse Williams.
J'y ai pensé surtout par rapport au personnage de la mère, jouée par Katharine Hepburn, qui est une mère très incestueuse, très proche de son fils et qui pouvait faire penser au personnage de la mère de David, qui a aussi une relation très particulière avec les copains de son garçon.
Le film parvient parfaitement à capturer l'ambiance de l'été, comme Bonjour Tristesse, Les Roseaux sauvages, ou plus récemment Call Me By Your Name. La comparaison avec ce dernier vous a-t-elle posé problème ?
Non, je ne me suis pas du tout posé la question de comparaison avec d'autres films. Je pense que la structure de cette histoire était tellement particulière et très différente des autres films d'apprentissage, qui sont beaucoup plus linéaires. J'ai aimé que cette histoire soit construite comme un puzzle.
Il y a plusieurs niveaux de réalité, plusieurs temporalités. C'était intéressant à construire. D'ailleurs, au début, j'ai essayé de tout remettre dans l'ordre, mais j'ai réalisé que, ce qui était intéressant, c'était de retrouver la construction du livre. Elle crée une forme de suspense et oblige le spectateur à se poser des questions, à imaginer des choses.
Comment s'est passé la dynamique entre Benjamin Voisin et Félix Lefebvre ? Vous disiez sentir une plus grande ouverture d'esprit chez la nouvelle génération d'acteurs…
J'ai souvent travaillé avec des comédiens pour qui c'était un problème de jouer un rôle homosexuel. Là, en rencontrant tous les acteurs du film, je me suis rendu compte que ce n'était absolument plus un sujet, c'était même un défi. Et puis, je leur ai posé la question, à Benjamin et à Félix. Dès le début, j'ai senti que ça n'allait pas être une contrainte.
Pour moi, les années quatre-vingt sont surtout liées à la découverte du sida.
Vous avez toujours parlé ouvertement de l'homosexualité et de la transidentité dans votre cinéma. Que pensez-vous, en tant que réalisateur et scénariste, de cette évolution dans la visibilité et la représentation de ces thématiques sur nos écrans ?
Quand j'étais adolescent, la découverte de ce livre a été d'autant plus un choc que la représentation de l'homosexualité était extrêmement négative, très douloureuse. Les films qu'on voyait présentaient l'homosexualité comme un lourd problème et ses nombreux désastres. Ici, au final, on s'en moque que ce soit deux garçons. Cela pourrait être un garçon et une fille.
Il y a quelque chose d'universel dans cette histoire d'amour et je pense que les filles et les garçons peuvent s'identifier de la même manière aux deux personnages. C'est pour ça que les adolescents d'aujourd'hui, qui ont l'habitude d'avoir plus une représentation plus positive, notamment les jeunes gays, vont pouvoir s'identifier aussi à cette histoire. Dans ma carrière, je n'ai jamais fait de différence entre les sexes.
Souvent, je me dis que mes personnages pourraient être deux filles, deux garçons. Cela m'est même arrivé de changer le sexe d'un personnage dans un scénario. J'essaye de les traiter à égalité le plus possible.
Depuis quelques années maintenant, la reconstitution des années quatre-vingt est devenue récurrente, au cinéma comme à la télévision. Il y a Stranger Things, American Horror Story, prochainement Wonder Woman 1984… Pourquoi cette époque fascine autant de gens, même ceux qui ne l'ont pas vécu ? Un besoin de nostalgie ?
Je n'ai aucune nostalgie des années quatre-vingt. C'était une période très ingrate. Je n'aimais pas particulièrement la musique de cette époque, je trouvais qu'on était mal habillé, et quand je me suis replongé dans ce film, je me suis rendu compte que le regard des jeunes d'aujourd'hui étaient extrêmement différent sur cette période. Ils l'idéalisent totalement.
Pour moi, les années quatre-vingt sont surtout liées à la découverte du sida. C'était extrêmement compliqué pour les adolescents. On découvrait la sexualité, et en même temps, on se rendait compte qu'on pouvait en mourir. Avec Été 85, j'ai essayé de montrer ce qu'il y avait de plus beau et de plus sexy dans les années quatre-vingt.
Au niveau des musiques, j'ai essayé de choisir des titres qui n'étaient pas ringards, mais de vrais bons morceaux de musique. De même pour les costumes, on a essayé de ne pas montrer le côté trop kitsch de ces années-là, mais quelque chose de sexy et saillant pour les acteurs. D'ailleurs, tous les acteurs ont adoré leurs costumes. Ils ont tout gardé après le tournage (rires).
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, le mardi 30 juin 2020.
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