ÇA PARLE DE QUOI ?
1932, Los Angeles. Alors que le reste du pays se remet de la Grande Dépression, la ville est en plein boom. Pétrole, Jeux Olympiques, ferveur évangélique ! Mais quand l'affaire de la décennie arrive sur le bureau de Perry Mason, le jeune avocat va se lancer dans une quête de la vérité qui va révéler les fractures de la Cité des Anges. Et par la même occasion ouvrir la voie à la propre rédemption de Mason…
"Perry Mason", crée par Rolin Jones & Ron Fitzgerald - Diffusée sur OCS tous les lundis à partir du 22 juin - Épisodes vus : 8 sur 8
ÇA RESSEMBLE A QUOI ?
C'EST AVEC QUI ?
Révélé par Brothers & Sisters puis The Americans, qui lui a valu un Emmy Award en 2018, Matthew Rhys est un acteur qui aime s'illustrer dans le passé depuis, qu'il s'agisse des années 2000 avec The Report, de la décennie précédente dans L'Extraordinaire Mr. Rogers, ou encore des années 70 de Pentagon Papers. Et il le prouve une fois de plus, en nous entraînant dans le Los Angeles de 1932, où il succède à l'impressionnant Raymond Burr dans la peau de Perry Mason, avocat star du petit écran, où il a plaidé pendant 300 épisodes, répartis sur quatre décennies.
A ses côtés, Juliet Rylance (The Knick) et Chris Chalk (Dans leur regard) reprennent les rôles de la secrétaire Della Street et du détective Paul Drake, tenus par Barbara Hale et William Hopper dans la série originale. Vu récemment dans Watchmen, sous la cagoule de Peur Rouge, Andrew Howard reste sur HBO et campe un policier aux méthodes pour le moins brutales, au même titre que Stephen Root, mentor de Barry dans la série du même nom et que l'on retrouve ici en avocat opposé à Perry Mason. Notons enfin la présence de l'ex-T1000 Robert Patrick, et de deux comédiens qui ont marqué le petit écran : Tatiana Maslany, héroïne d'Orphan Black qui n'incarne qu'un seul personnage ici, la mystérieuse Sœur Alice ; et John Lithgow, tueur de la saison 4 de Dexter. Sans oublier Shea Whigham (Joker) ou Gayle Rankin, l'une des catcheuses de GLOW, She-Wolf en l'occurrence.
ÇA VAUT LE COUP-D'ŒIL ?
Vous faites partie des fans de la série originale qui ont passé plusieurs heures à voir son héros plaider au tribunal ? Ne passez pas votre chemin, mais vous risquez d'être surpris par cette nouvelle version qui se présente comme un reboot en forme d'origin story et ressemble à tout… sauf à du Perry Mason. Dans un premier temps du moins, car il sera bien question d'un procès dans la seconde partie de cette saison 1, qui nous plonge dans le Los Angeles de 1932 avec une ambiance de film noir : séquences nocturnes, ruelles sombres, détectives, musique aux accents jazzy… Les amateurs de ce genre chéri par Christopher Nolan se sentiront davantage en terrain connu que ceux des aventures de Raymond Burr, et le personnage principal du nouveau bébé d'HBO évoque moins son prédécesseur que Sam Spade ou Philip Marlowe, privés incarnés par Humphrey Bogart dans Le Faucon Maltais et Le Grand Sommeil.
En un peu moins classe dans un premier temps. Car lorsque le récit commence, au crépuscule de l'année 1931, Perry Mason est un détective privé dont les enquêtes (traquer les preuves de coucheries d'une star du cinéma burlesque) s'accordent avec son allure et sa cravate tâchée tout autant qu'avec son état d'esprit : encore marqué par son expérience traumatisante sur le front de la Première Guerre Mondiale, qui nous est brièvement montrée, et miné par le fait d'être éloigné de son fils, il semble errer dans une Cité des Anges prise entre les conséquences de la Grande Dépression consécutive au krach boursier de 1929 et l'effervescence des Jeux Olympiques qui se tiendront quelques mois plus tard. Dans cette atmosphère agitée, à laquelle une prédicatrice ajoute des questions de foi et de croyance, c'est grâce à une affaire d'enlèvement et de meurtre d'enfant que le personnage principal va donner un nouveau sens à sa vie et devenir cet avocat spécialiste des cas complexes désireux de faire triompher la justice, quand la principale interrogation ne concernera plus le coupable du meurtre mais le sort du principal supect, accusé à tort, jusqu'à un dénouement peu prévisible.
Sur le papier, relancer l'un des gros succès de la télévision américaine des années 60, avec un prequel sombre et réaliste, peut ressembler à une idée saugrenue à même de relancer le débat sur le manque d'imagination qui frappe les producteurs outre-Atlantique. Mais on l'oublie très vite face aux qualités du pilote et des épisodes suivants : de la photo à la réalisation, en passant par les décors, HBO n'a pas fait les choses à moitié et il n'est pas difficile de s'immerger dans l'époque dépeinte, ce que l'on peut notamment imputer à Tim Van Patten, réalisateur d'une bonne partie de la saison (avec Deniz Gamze Ergüven, auteure franco-turque de Mustang) et qui, entre Rome, Boardwalk Empire, Band of Brothers ou Game of Thrones, nous a plus d'une fois fait admirer sa capacité à mettre en scène le passé de façon crédible et stylisée.
Huit heures durant, nous avons vraiment le sentiment d'être en 1932 et dans les rues de Los Angeles, ce qui aide grandement à suivre une histoire qui prend son temps pour se développer et rassembler les différentes pièces de son intrigue (le rôle de Sœur Alice, jouée par Tatiana Maslany, reste par exemple flou pendant une bonne partie de la saison). Certains téléspectateurs pourraient ainsi devoir s'accrocher face à ce récit qui, malgré de petits cliffhangers à la fin de quelques épisodes, progresse souvent plus grâce à ses personnages que ses rebondissements, avec un vrai rythme de film noir. Lequel peut davantage fonctionner en binge-watching qu'en visionnage hebdomdaire, afin de rester pleinement dans l'ambiance aux côtés du personnage principal, incarné par un impeccable Matthew Rhys, dont le talent n'est plus à prouver depuis The Americans ou les films et séries qu'il a tournés ensuite, et qui ne donne jamais l'impression de forcer au gré de l'évolution de Perry Mason.
L'acteur comme la série marquent un point non négligeable en essayant de s'éloigner au maximum de la prestation de Raymond Burr, entre 1957 et 1993, et s'épargne ainsi les comparaisons. Bien plus feuilletonnant que l'original, procédural avec un cas différent par épisode, qui était un pur produit de network (chaîne publique américaine), ce Perry Mason nouveau s'inscrit pleinement dans le catalogue d'HBO, avec la violence graphique et la nudite frontale à laquelle la chaîne nous a habitués. Un polar qui rappelle aussi bien Boardwalk Empire que True Detective, et dont la réussite réside autant dans sa capacité à se démarquer de son prédécesseur que dans ses qualités propres. Si l'on pourra parfois lui reprocher sa lenteur, ses défauts se comptent à peine sur les doigts d'une main, et ne concernent en aucun cas le casting, qui relève du sans-faute et où l'on retiendra notamment Tatiana Maslany ou la partition émouvante de John Lithgow. Il n'y a rien à redire, non plus, sur l'écriture, qui sait varier les tons et insuffler un brin de légéreté avec le duo formé par le héros et Pete Strickland (Shea Whigham), et se servir du passé pour faire écho au présent, en parlant de violences policières, de la corruption des pouvoirs publics qui gangrène la ville, d'homosexualité ou de racisme.
On notera d'ailleurs que le personnage du détective Paul Drake est ici incarné par un acteur Noir, Chris Chalk, signe d'inclusivité pour une série qui a bien compris que s'inspirer d'un titre ancien ne signifie pas être vieillotte. Remettre Perry Mason au goût du jour n'était pas chose aisée, mais la mission est accomplie à l'issue d'une première saison qui a su déjouer les attentes liées au retour de cette figure du petit écran. Pour le moment en tout cas, car les choses pourraient légèrement changer et l'action se dérouler un peu plus au tribunal si l'aventure devait se poursuivre. Sombre et lent, mais de plus en plus captivant au fil de la progression du récit et de l'évolution des personnages, qui gagnent en épaisseur, ce galop d'essai est une réussite qui doit aussi beaucoup au charisme de son acteur principal, dont on attend le prochain cas avec impatience. Et peut-être vous aussi, si vous laissez donc vos préjugés de côté pour arpenter les rues de Los Angeles à ses côtés.