Il était le pompiste le plus célèbre d'Hollywood. Le plus sulfureux aussi. Scotty Bowers connaissait les secrets et les désirs inavoués des plus grandes stars de la ville comme personne. Employé à la station-service Richfield Oil, située au 5777 sur Hollywood Boulevard, il se servait de son lieu de travail comme d'un point de ralliement pour des clients très spéciaux. Ces derniers, des figures de l'industrie, se succédaient pour s'offrir les services de jeunes hommes, prêts à tout pour gagner de l'argent. Étonnamment, cette histoire, aussi folle qu'elle n'y paraît, n'avait jamais été transposée à l'écran jusqu'à ce que Ryan Murphy s'en saisisse. Dans sa série Netflix, Hollywood, le scénariste et réalisateur revient sur le business caché de ce proxénète, sans ne jamais citer son véritable nom.
Hollywood sur Netflix : que vaut la série de Ryan Murphy sur la Mecque du cinéma ?Tout commence en 1946, après la fin de la Seconde Guerre mondiale. George Albert Bowers, surnommé "Scotty", a vingt-trois ans. L'ancien Marine, qui vient de perdre son frère durant la bataille d'Iwo Jima, en 1945, tente de laisser derrière lui les traumatismes du front. Désireux de commencer une nouvelle vie, il quitte son Illinois natal pour Hollywood. À ce moment-là, la production automobile explose et les stations-service fleurissent de part et d'autre de la ville. Pour se loger, le jeune homme enchaîne les heures de travail aux pompes à essence et se charge d'accueillir les clients, de remplir leur réservoir, de nettoyer la carrosserie et de vérifier la pression des pneus.
Le premier client
Son destin bascule lorsque, pour rendre service à un ami, il se rend dans un garage voisin, situé sur Wilshire Boulevard. Une voiture de luxe s'arrête, le pompiste fait le plein, et croise le regard du conducteur, l'acteur Walter Pidgeon - apparu, entre autres, dans Les Ensorcelés et Planète Interdite. Après quelques mots échangés, la star, visiblement séduite par le charisme de l'employé, lui propose vingt dollars pour monter à bord de son véhicule et l'emmener dans sa propriété. Le jeune homme accepte et réalise, sans le savoir, sa première passe.
Les jours se succèdent et Scotty Bowers s'affaire à son poste. Après avoir laissé les coordonnées de sa station-service au bureau des anciens combattants, il reçoit la visite quotidienne de ses camarades de guerre. L'amas de jeunes hommes attire le regard de quelques curieux, qui s'arrêtent pour s'offrir de l'essence et réclamer de la compagnie. Scotty Bowers joue un rôle d'intermédiaire entre les clients et ses copains. Ces derniers, d'abord réticents, comprennent vite que ces prestations sont de belles opportunités pour se faire de l'argent facile. L'appât du gain finit par attirer d'autres soldats et les demandes affluent. Le bouche à oreille se propage, la machine se met en route, et le simple employé devient le proxénète de la Richfield Oil.
Le centre névralgique de tous ceux qui recherchaient des aventures un peu corsées (...)
Située à quelques pas des plus grands studios de cinéma, le garage est prisé par des personnalités influentes dans le milieu : des producteurs, des costumiers, des chefs décorateur, comme le célèbre Edwin B. Willis. Dans son livre, intitulé Full Service et publié en 2013 aux éditions Hugo & Cie en France, Scotty Bowers explique que la station dans laquelle il travaillait "était devenue le centre névralgique de tous ceux qui recherchaient des aventures un peu corsées, le carrefour des rendez-vous secrets du sexe." Le succès est tel qu'une caravane, équipée de deux grands lits séparés par des rideaux, est installée à l'arrière de la station-service pour recevoir des clients sur place.
Des stars de l'écran, des hommes comme des femmes, commencent également à louer les services des anciens soldats. Scotty Bowers croise alors la route de véritables légendes, comme Cary Grant, Randolph Scott, Rock Hudson, Tyrone Power, ou encore George Cukor, l'immense réalisateur de My Fair Lady et Une étoile est née, qui organise de nombreuses soirées endiablées dans sa villa. C'est d'ailleurs au cours de ces grandes réceptions que le pompiste rencontre Katharine Hepburn et Vivien Leigh, deux actrices qui deviendront ses clientes.
Vivre caché
Pour beaucoup, les passes de Scotty Bowers symbolisaient de véritables moments de liberté. Une chance de pouvoir être soi-même, de vivre sa sexualité sans craindre la censure des studios et les oppressions de l'époque. De nombreuses stars n'hésitaient à dépenser de l'argent pour éviter que leurs noms ne finissent sur les premières pages des magazines à scandale, comme Confidential. "La brigade des mœurs a continué à pouchasser, persécuter et harceler tous ceux et celles qui osaient franchir la ligne de ce que la société et la loi considéraient comme la normalité acceptable", raconte-t-il dans son ouvrage.
En 1950, quatre ans après le début de ses activités, il quitte les pompes à essence de la Richfield Oil et devient barman pour des événements mondains grâce à Randolph Scott. Il continue de fréquenter les grands noms de l'industrie et de jouer de ses relations pour satisfaire ses clients, et ce, pendant plus de trois décennies. Au milieu des années quatre-vingt, les passes se raréfient dès l'apparition du VIH, appelé, à cette époque, "le cancer gay". Dans le dernier chapitre de son livre, Scotty Bowers se souvient que la maladie avait "donné un coup de frein brutal à la liberté des mœurs qui réglait dans une large mesure la vie publique et privée de cette ville étincelante de tous les feux du cinéma (...)."
Bien qu'il ait été mis en doute de nombreuses fois, le récit de l'ancien pompiste a également inspiré un documentaire, intitulé Scotty and the Secret History of Hollywood, sorti en 2017. L'homme, quant à lui, s'est éteint le 13 octobre 2019, à l'âge de 96 ans, en emportant avec lui les fantasmes de la fine fleur de l'âge d'or hollywoodien.
Découvrez la bande-annonce de "Hollywood" :