Pour beaucoup, en cette période un peu spéciale rythmée par le coronavirus, confinement rime avec écrans. C'est l'occasion de découvrir des films, de binge-watcher des séries, de rattraper des pépites à côté desquelles on serait passé par manque de temps ou de revoir des chefs-d'oeuvre. Ce soir à 21h05, France 3 diffuse L'Armée des ombres, monument de l'histoire du cinéma réalisé par Jean-Pierre Melville et porté par une équipe d'immenses comédiens au sommet de leur art : Lino Ventura, Simone Signoret, Paul Meurisse, Jean-Pierre Cassel, mais aussi Paul Crauchet et Christian Barbier.
A Paris, en octobre 1942, Philippe Gerbier (Ventura), ingénieur des Ponts et Chaussées, est également l'un des chefs de la Résistance. Dénoncé et capturé, il est incarcéré dans un camp de prisonniers. Alors qu'il prépare son évasion, il est récupéré par la Gestapo. Lors son transfert au quartier général de la police politique du Troisième Reich, il s'évade et rejoint son réseau à Marseille. Avec ses lieutenants Félix (Crauchet) et Le Masque (Claude Mann), il supprime celui qui l'a dénoncé. Quand Félix est arrêté à Lyon, Mathilde (Signoret) et Le Bison (Barbier), qui appartiennent à la division parisienne, s'introduisent avec Le Masque dans la prison lyonnaise pour le libérer, sans savoir que Jean-François (Cassel) s'est arrangé pour être dans la même cellule...
Sorti en 1969, dans une France alors en proie aux doutes au sortir des mouvements de contestation de Mai 1968, L'Armée des ombres a ravivé le douloureux souvenir de l'Occupation et sa réception à l'époque a été mitigée, certains critiques reprochant à Jean-Pierre Melville, ancien résistant, son indéfectible fidélité au Général de Gaulle. En raison de ces mauvais échos, les programmateurs ont renoncé à distribuer le film aux Etats-Unis et il faudra attendre 2006 pour qu'il y sorte enfin en salle : un événement cinéphilique unanimement applaudi par la critique américaine.
Film très personnel, L'Armée des ombres porte en lui toute l'essence du cinéma de Melville, qui dira : "Je l'ai porté en moi vingt-cinq ans et quatorze mois exactement. Il fallait que je le fasse et que je le fasse maintenant, complètement dépassionné, sans le moindre relent de cocorico. C'est un morceau de ma mémoire, de ma chair." Adapté très fidèlement du roman de Joseph Kessel, il fait aussi référence aux propres souvenirs de résistant de Melville, et à l'action de Lucie Aubrac, au travers du rôle magnifique de Mathilde. La mise en scène, soulignée par la musique d'Eric Demarsan, est constamment magnifiée de clairs obscurs époustouflants. Chaque plan, chaque mouvement de caméra, chaque insert, est emprunt d'une nostalgie déchirante. Cinquante ans après, L'Armée des ombres n'a pas pris une ride ; sa noirceur et sa beauté bouleversent toujours.
La bande-annonce de L'Armée des ombres :