Autrice et ex-directrice en chef adjointe de l'émission Tracks sur Arte, Sophie Peyrard réalise de nombreux documentaires sur les archétypes féminins de la pop culture. Dans le cadre d'une soirée thématique spéciale sur OCS le dimanche 12 avril, son documentaire Les Sorcières à Hollywood, diffusé en deuxième partie de soirée à la suite du film L'Adorable Voisine de Richard Quine, explore les origines de cette figure emblématique.
Quel a été le point initial de votre démarche ?
Sophie Peyrard : Je m'intéresse dans mes documentaires, et ce depuis plusieurs années, aux figures féminines de la pop culture, comme les pin-up ou les divas. J'étais aux Etats-Unis en 2016 au moment de l'élection de Donald Trump, et j'ai commencé à voir dans les milieux activistes et artistiques underground la figure de la sorcière revenir en force. En rencontrant certaines personnes, notamment celles qui manifestaient au pied de la Trump Tower pour jeter symboliquement des sorts au nouveau Président élu, j'ai constaté la puissance rassembleuse de cette figure. J'ai alors vu deux aspects de la sorcière : un élément de contestation pour des femmes voulant exprimer leur colère suite à cette élection, qui coïncidaient avec les mouvements #MeToo et #TimesUp, et aussi une figure féministe ancrée dans la pop-culture.
On assiste actuellement à un véritable revival "pop" de la sorcière dans les grosses productions. Pensez-vous que les mouvements féministes actuels y ont contribué ?
Il y a quelque chose de vraiment cathartique à se réclamer d'une figure historique qui a subi tant de violences, et à la faire évoluer pour la faire sienne dans une dynamique de retournement du stigmate. Quand Disney fait un film comme Maléfique en 2014, ils prennent un peu le train en route. Il se passe quelque chose, les studios se repositionnent et définissent une image de la sorcière qui va parler à un plus grand nombre de personnes. Après, pour savoir lequel a influencé l'autre en premier, je ne saurai pas trop dire !
En quoi ce sujet vous semblait-il important, d'un point de vue personnel ?
Dans mon travail, j'essaie d'aller voir ce qu'il se cache derrière l'image de personnages très populaires de la pop-culture, que l'on n'interroge pas forcément tant ils font partie du paysage culturel. Nous avons tous été bercés par des contes, des dessins animés qui abordent la figure de la sorcière, c'est vraiment le personnage populaire par excellence. Mais jusqu'à aujourd'hui on ne s'est jamais vraiment interrogés sur ce qu'elle racontait. Parfois la pop culture a tendance à être vue comme un simple divertissement, comme quelque chose de secondaire, mais cela dit beaucoup de choses sur l'image qu'on donne de la femme et de la "norme". A titre personnel, je me sens proche de cette figure car c'est une femme en marge, indépendante, qui ne rentre pas dans les cases où on voudrait la mettre. Je viens de la contre-culture, j'ai travaillé pour l'émissions Tracks longtemps pour Arte... Montrer des modes de vie différents m'a toujours intéressé car ça me correspond aussi.
Comment avez-vous orienté vos recherches dans la conception du documentaire ? Certains films vous ont-ils étonné en les redécouvrant ?
Le cinéma m'a semblé être un très bon médium pour traiter du sujet; la sorcière est un personnage populaire dont Hollywood a vu dès sa création, le potentiel narratif et elle n'a cessé d'être présente à l'écran jusqu'à aujourd'hui. En choisissant une filmographie grand public, j'ai voulu que chacun puisse se reconnecter facilement aux histoires tout en les regardant avec un nouvel œil. J'ai voulu montrer dans ce documentaire le lien évident entre la manière dont les sorcières sont représentées et la vision que l'on donne des femmes à l'écran. Pour ce qui est des dessins animés Disney notamment, qu'on a tous vus enfants, je n'avais pas du tout une lecture féministe par rapport à eux et j'ai été très surprise de les voir sous un autre angle ! J'ai aussi beaucoup redécouvert de classiques hollywoodiens, que je ne connaissais pas forcément, L'Adorable voisine notamment.
Il y aurait toute une historiographie à refaire autour des représentations de la femme dans l'art et la culture...
C'est passionnant, et nous n'en sommes qu'au début. On a la possibilité de regarder des histoires qu'on connaît avec un oeil nouveau, et nous sommes en train de redécouvrir des choses avec d'autres perpectives, et c'est une époque très stimulante. On change de lunettes, sans pour autant considérer que tout ce qui était dit avant est à jeter à la poubelle. Mais cette multiplication de points de vue est libératrice.
Pour finir, à l'instar d'une citation du collectif W.I.T.C.H que vous mentionnez plus haut, mise en exergue du livre de Mona Chollet "toute femme, si elle ose regarder au fond d'elle-même, est une sorcière", vous considérez-vous, vous-même, comme une sorcière ?
Pour moi, se déclarer sorcière c'est dire "je suis différente", je représente une alternative aux normes imposées par la société, je crée ma propre narration hors des stéréotypes, je suis souveraine et libre. J'aime l'idée aussi que la sorcière soit un personnage historique, transgénérationnel, que l'on retrouve dans toutes les cultures. Dans ce sens, oui je me sens sorcière, même si je n'ai pas de pratique spirituelle ou occulte de la sorcellerie !
Découvrez la bande-annonce du documentaire Les Sorcières à Hollywood, ce soir à 22h20 sur OCS Géants :