En plus de 60 ans de carrière et plus de 160 rôles au compteur, Max Von Sydow est devenu une part de l'Histoire du 7e Art à lui tout-seul. Acteur fétiche du légendaire Ingmar Bergman, il a tourné avec les plus grands : John Huston, Ridley Scott, Sydney Pollack, Martin Scorsese, Spielberg, William Friedkin... Cette légende vivante du cinéma, natif de Suède, parfait francophone et francophile (il avait été naturalisé français en 2002) vient de s'éteindre à l'âge de 90 ans, laissant derrière lui des cinéphiles endeuillés et une fabuleuse filmographie régulièrement émaillée de nombreux chefs-d'oeuvre absolus.
En 2013, nous avions eu le grand plaisir de le rencontrer, passant en revue à ses côtés quelques uns -une poignée- de ses rôles restés fameux ou cultes. L'homme était affable et généreux; ses souvenirs parfois précis comme au premier jour, accompagnés par une voix feutrée et chaleureuse si caractéristique. Des souvenirs qui étaient d'ailleurs et ironiquement parfois plus précis et clairs avec des films très anciens, qu'avec des oeuvres nettement plus récentes où ceux-ci étaient quelques fois plus vagues.
Le Septième sceau (1957)
Rôle : Antonius Block, un chevalier qui revient des Croisades...
"Avant ma rencontre avec Ingmar Bergman, j’avais tourné dans un premier film sorti en 1949, Rien qu'une mère, d’Alf Sjoberg. C’était un metteur en scène très important pour moi. Il travaillait au théâtre royal de Stockholm, et mettait souvent en scène de grandes productions au théâtre, notamment Shakespeare. Il a d’ailleurs joué un rôle essentiel pour Bergman : Sjöberg a été son metteur en scène pour son premier film, Tourments (1944), sur un scénario qu’avait écrit Bergman.
Après mes études à l’Académie royale d’Art dramatique de Stockholm, j’ai travaillé quelques années dans des théâtres municipaux. C’était une grande période, il y avait toujours beaucoup de travail pour les acteurs. Bergman m’a demandé en 1955 de venir au théâtre municipal de Malmö. J’ai fait deux pièces avec lui, avant qu’il ne me propose le rôle d’Antonius Block. Aujourd’hui lorsque je revois ce film, je ne peux pas m’empêcher de trouver mon jeu finalement très théâtral.
A la base, Bergman avait écrit une pièce dont est tiré le film, qui fonctionnait comme une sorte de monologue, avec huit personnages. Chacun racontait alors son histoire. Pour ce film, je pense qu’il était inspiré par la musique de Carl Orff entre autre-chose. Les situations et les scènes du film étaient aussi inspirées par des peintures que l’on trouve sur les murs de certaines églises en Suède. Des peintures étranges, parfois drôles. Un rôle évidemment fort, et un film qui a évidemment beaucoup contribué à propulser ma carrière à l’étranger, ainsi que celle de Bergman. J’ai tourné treize fois avec lui ; j’ai toujours eu confiance en lui dans les rôles qu’il me proposait. C’était très inspirant. Sans doute aussi parce qu’il travaillait toujours avec la même troupe d’acteurs, qui fonctionnaient parfaitement ensemble".
Les Fraises sauvages (1957)
Rôle : Henrik Akerman
"Les Fraises sauvages, un film magnifique. C’est l’utime rôle d’un immense acteur et metteur en scène, Victor Sjöstrom qu'on voit sur la photo, considéré comme le père du cinéma suédois. Bergman avait travaillé avec lui avant, au théâtre. Sjöström pouvait être quelqu’un de très doux, mais très dur aussi, d’une grande sagesse. Il avait tourné avec Bergman dans Crise, en 1946, et surtout dans Vers la joie en 1950, où il jouait le rôle d’un chef d’orchestre. Il avait créé la Svensk Filmindustri, qui a notamment produit le premier film de Bergman. Il le considérait vraiment comme un mentor".
La Source (1960)
Rôle : Töre, le père de la jeune fille assassinée...
"Ah, La Source ! Autre grand film. J’incarnais le père de la jeune Birgitta Pettersson, violée et assassinée. Je crois que l’histoire était inspirée d’une vieille chanson populaire suédoise qui remonte au Moyen-âge, au XIVe siècle si je me souviens bien. Je pense que Ingmar Bergman avait aussi été très impressionné par le film d’Akira Kurosawa, Rashômon. Même s’il a désavoué son film plus tard, ca reste un très bon film. C’est aussi l’ancêtre un peu involontaire de ces films d’épouvantes très en vogue dans les années 1970 [NDR : en l'occurence une influence directe sur La Dernière maison sur la gauche de Wes Craven] ".
"La Plus grande histoire jamais contée" (1965)
Rôle : Jésus de Nazareth
"C’était mon premier film hors de Suède, américain. A la base, je ne voulais pas le faire. Mais mon agent aux USA insistait beaucoup. Il avait contacté le metteur en scène, George Stevens, pour lui demander de m’inviter à Hollywood et le rencontrer. A ce moment là, il n’y avait pas encore de scénario. Finalement, j’y suis allé une semaine, et je dois dire que j’ai été très impressionné par le travail effectué en amont par le cinéaste. Donc j’ai dit oui. Reste que ca été un des rôles les plus difficiles que j’ai joué, parce qu’entre les prises, je ne pouvais jamais sortir de mon personnage. Ceci dit, j’ai pu incarner Jésus, et de nombreuses années après, le Diable, dans Le Bazaar de l'épouvante. Et entre les deux, beaucoup de rôles de prêtres !"(rires)
La Lettre du Kremlin (1970)
Rôle : Colonel Kosnov
"Un grand film d’espionnage, avec de superbes acteurs. Je joue d'ailleurs aux côtés de Bibi Andersson, avec qui j'avais joué à l'époque de Bergman. Pour ce rôle, j’avais rencontré John Huston à Los Angeles. Mon agent, le même qui m’avait orienté sur le rôle de Jésus dans le film de Stevens, était en réalité un grand ami à lui. En fait, je l’ai rencontré plusieurs fois, avant qu’il ne me propose un rôle dans La Lettre du Kremlin. Il était d’ailleurs venu à Stockhölm au milieu des années 60 pour trouver l’actrice qui allait incarner "Eve", dans le film qu’il préparait sur La Bible. Plus tard d’ailleurs, il m’a offert un autre rôle, dans A nous la victoire. Je me souviens d’ailleurs que sur ce film, j’avais une scène avec une réunion d’officiers Nazis. Ceux qui les jouaient étaient assez jeunes, manquaient encore d’expériences, et étaient très intimidés par Huston. Ils étaient donc très nerveux. Quand il leur a demandé de jouer la scène, ils se sont tous mis à surjouer, ce qui a beaucoup fait rire Huston".
L'exorciste (1973)
Rôle : Père Merrin
"Ah ! Le rôle du Père Merrin ! Un bon souvenir de tournage, mais une production compliquée ! Parce que chaque matin, je devais partir pendant quatre heures en séance de maquillage, parce que mon personnage était plus âgé que l’âge que j’avais au moment de faire le film [NDR : 44 ans]. Toutes les fameuses scènes d’exorcisme, qui se déroulent dans la chambre du personnage incarné par Linda Blair, étaient tournées en studio. Et je me souviens qu’il faisait un froid glacial. William Friedkin avait demandé à couper le chauffage, parce qu’il voulait voir la buée de notre respiration ! Et ca prenait beaucoup de temps, à cause des lumières qui chauffaient sur le plateau ! Du coup, lorsque Friedkin estimait qu’il avait la bonne température, il fallait tourner les scènes à toute vitesse, avant que les lampes ne refassent grimper la température. Quand j’ai vu le film pour la première fois, ca été un moment très fort. Il a beau avoir 40 ans maintenant, je crois qu’il n’a absolument rien perdu de sa force".
Les Trois jours du Condor (1975)
Rôle : G. Joubert
"Dans le film de Sydney Pollack, j’incarne Joubert, un tueur à gages de la CIA. Un personnage énigmatique et menaçant. Je crois que je n’étais pas le premier choix du metteur en scène. Il avait d’abord pensé à Lino Ventura. Mais à ce moment là, il était malade et a donc dû décliner le rôle. Je suis très fier de ce film, très fort. C’est un film intelligent, avec une caractérisation des personnages passionnante. Les années 70, c’est vraiment l’âge d’or des films d’espionnage".
Flash Gordon (1980)
Rôle : empereur Ming
"Ah, très sympathique souvenir de Flash Gordon. Je dois dire que je me suis beaucoup amusé sur le tournage. Les costumes étaient délirants et extravagants. Je me souviens d’ailleurs que le costume de l’empereur Ming pesait sacrément lourd, quelque chose comme plus de 30kg. J’ai vraiment une tendresse particulière pour ce film, parce que pendant la guerre, je lisais des bandes-dessinées, et Flash Gordon en faisait partie. C’était un de mes héros préférés. En fait, l’empereur Ming incarnait aussi l’ennemi des Etats-Unis pendant la guerre, à savoir l’empereur du Japon".
Conan le barbare (1982)
Rôle : roi Osric
"Le roi Osric, un personnage très drôle à jouer, même s'il a un petit rôle. J’ai évidemment en tête la scène où Conan se présente à lui, avec ses deux acolytes, pensant qu’il va leur arriver un malheur, alors qu’en fait je les accueille à bras ouverts ! Je ne sais pas pourquoi John Milius a coupé ma scène où je suis assassiné. Milius aimait beaucoup les armes, en particulier les épées. Dans cette scène, ce sont mes gardes qui me tuent, et Milius ne voulait pas qu’ils se contentent de me taillader, mais carrément que je sois transpercé de part en part, voir même coupé en deux !
On m’a donc préparé des poches de faux sang partout sur le corps. Le problème, c’est que ça ne fonctionnait pas, les jets d’hémoglobine étaient trop faibles. J’ai donc dû repasser un nouveau costume avec de nouvelles poches de sang, et on retourne la scène. Même problème qu’avant ! On a fait je ne sais combien de prises, en changeant à chaque fois de costume. Et là, on a carrément eu des fontaines de sang qui sont parties, comme un geyser. On est donc passé du "trop peu" au "beaucoup trop", pas crédible du tout. On arrivait pas à trouver le juste milieu ; je pense que c’est pour cela que la scène ne figure pas dans le montage exploité en salle".
Pelle le conquérant (1987)
Rôle : Lassefar, le père de Pelle...
"A l'image, je suis avec le jeune et formidable Pelle Hvenegaard. Un film important pour moi, évidemment. Pas seulement parce qu’il m’a permis d’obtenir une citation à l’Oscar du Meilleur acteur pour un film étranger [NDR : le film a remporté l’Oscar du Meilleur film étranger], mais aussi parce que finalement c’est assez rare pour un acteur d’avoir la possibilité d’incarner un personnage qui est le narrateur de l’histoire, dans différentes situations. J’ai le souvenir d’un tournage assez long, probablement deux ans ; il était question de montrer différentes saisons dans le film. La production a donc été longue, en deux parties. J’ai retrouvé Bille August cinq ans après avec Les Meilleures intentions, sur un scénario écrit par Bergman d’ailleurs, puisque ce film relate l'histoire de ses propres parents. Un très beau film aussi ; mais je crois que de tous les films que j’ai tourné, Pelle le conquérant est mon préféré".
Robin des bois (2010)
Rôle : Sir Walter Loxley...
"Une belle aventure que le tournage de Robin des Bois avec Ridley Scott. Un metteur en scène exigeant. Seul souci quand même avec lui : il changeait tout le temps les dialogues du film ! Au point que chaque fois que je me levais le matin, je trouvais glissé sous la porte de ma chambre d’hôtel de nouvelles lignes de dialogues à apprendre !"
Bonus : Esbern, le narrateur du jeu vidéo Elder Scrolls V : Skyrim
"Je ne reconnais pas du tout ce personnage...Qui est-ce ? [Nous lui indiquons alors que c'est lui, ou plutôt Esbern, le narrateur de l’extraordinaire jeu The Elder Scrolls V : Skyrim, sorti en 2011]. Ah bon ? C'est fascinant ! Je me souviens effectivement de ce doublage. Et vous me dites que les dragons sont un thème central dans le jeu ? Intéressant ! Malheureusement au moment où j’ai fait le doublage, on ne m’a rien montré du jeu dont vous me parlez, parce qu’il est arrivé très en amont. J’ai fait l’enregistrement de la voix en France, et le tout a été expédié à Los Angeles. Vous savez, J’ai fait énormément de radio en Suède. J’ai aussi fait beaucoup de lectures de romans, beaucoup de récitations de poésies, en suédois, et aussi en anglais, un peu. En français, ce n’est pas que je ne veux pas, mais c’est trop difficile pour moi ! Donc l’exercice du doublage est quelque chose que j’aime bien".