En salle depuis ce mercredi 4 mars et porté par Lambert Wilson dans le rôle-titre, De Gaulle est un biopic qui revient sur la figure historique qui a profondément marqué de son empreinte la vie politique française du XXe siècle. Signé par Gabriel Le Bomin, le film brosse le portrait d'un homme politique et militaire (ce qu'il est d'abord), alors que les forces armées de la France s'écroulent en juin 1940, sous les coups de boutoirs de l'armée allemande...
Ci-dessous, la bande-annonce du film...
La figure tutélaire du général de Gaulle plane comme une ombre depuis des décennies dans les fictions françaises, que ce soit au cinéma ou dans des fictions faites pour la télévision. Une ombre au sens propre du terme; le général étant curieusement rarement incarné à l'écran. L'historienne Sylvie Lindeperg, maître de conférence à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, expliquait ainsi en 2009 cette rareté à l'écran, dans une interview accordée au magasine Télérama : "Si le Général est présent dans quelques fictions cinématographiques des années soixante, ce n’est pas en tant que véritable personnage incarné, mais comme apparition. Ses représentations ressortent de l’image d’Epinal, à travers quelques symboles connus. Il est un peu plus présent dans les téléfilms depuis une dizaine d’années. [...] Mais en tant que personnage de fiction, son statut reste à part. Sa représentation demeure liée à une sorte de sacralisation en rapport autant avec son héritage politique et symbolique qu’avec son physique (sa grande taille en particulier). Il y a souvent une atmosphère de mysticisme autour de sa personne". Et l'intéressée de citer le réalisateur René Clément, expliquant au moment de la sortie de son film Paris brûle-t-il ? en 1966 qu'il pouvait "représenter le Diable, mais pas le bon Dieu". Autrement dit, représenter Hitler, mais pas de Gaulle.
De Gaulle et un Prix Nobel de Littérature
Parmi les tentatives de porter la vie du général de Gaulle sur grand écran se trouve une nettement moins connues que les autres, que l'on doit à l'écrivain William Faulkner. L'immense auteur du Bruit et de la fureur (1929) et de Tandis que j'agonise (1930), lauréat du prestigieux prix Pulitzer et même du Prix Nobel de Littérature en 1949 fut, comme d'autres, séduit par les sirènes d'Hollywood pour venir y travailler.
Vers 1932-1937, Faulkner commence une longue série d'allers-retours entre Oxford et Hollywood où il devient scénariste. Le cinéma ne l'intéresse pas particulièrement, mais lui procure des ressources qui le font persévérer ; il se lie par ailleurs d'amitié avec Howard Hawks : les deux hommes ont en commun un goût prononcé pour l'alcool, l'aviation et la chasse. Lors de son premier séjour à Hollywood, Faulkner travaille successivement pour la MGM, puis pour la 20th Century Fox. Lorsque les États-Unis entrent en guerre, Faulkner retourne à Hollywood. Il signe un contrat de 7 ans le liant avec la Warner, et payé au salaire de 300 $ par semaine. Un salaire loin d'être mirobolant, mais il accepte, faute de mieux. C'est là qu'il écrira entre autres pour Howard Hawks le scénario du film Le Grand Sommeil, tiré du livre de Raymond Chandler, ainsi que celui du film Le Port de l'angoisse, tiré du livre d'Ernest Hemingway En avoir ou pas.
Avant de signer les scripts de ces (futurs) chefs-d'oeuvre, la première commande passée auprès de Faulkner vient du sommet de l'état. Le président des Etats-Unis Franklin D. Roosevelt, aimerait un film de propagande destiné à promouvoir l'image du général de Gaulle aux Etats-Unis. La demande passe par le canal du Bureau d'information de la guerre, mis en place par Roosevelt en 1942, et elle est appuyée par Jack Warner, le big boss de la Major. Le 26 juillet 1942, William Faulkner se met au travail, sous la direction du producteur-scénariste Robert Buckner. Les services de documentation de la Warner lui fournissent alors des documents sur la Bretagne où l’action est censée se dérouler, une liste de noms et prénoms typiquement bretons, des discours de De Gaulle, etc...
La première version du script met ainsi en scène deux frères : un résistant, un collabo (forcément...) ainsi que la figure du Général. Faulkner devra revoir sa copie de nombreuses fois; tant et si bien qu'à chaque réécriture, il diminue un peu plus la place de De Gaulle. Un rôle qui se réduit d'autant plus que le studio ne trouve pas l'acteur idéal pour le rôle.
Cette difficulté est aggravée par la réalité politique : il est de notoriété publique que Churchill et de Gaulle se détestent. Témoins une série de télégrammes échangés entre Winston Churchill et Roosevelt datés de 1943, rendus public seulement... En 2005. Des télégrammes tellement injurieux envers de Gaulle que le gouvernement britannique n'avait pas voulu les rendre public en 1993, alors qu'on était en plein préparatifs pour le 50e anniversaire du Débarquement. Selon Churchill, le Français est un «homme prétentieux et même dangereux». C'est un «cryptofasciste», dont certaines discours «se lisent comme des pages de Mein Kampf». Il hait l'Angleterre et «a laissé une empreinte d'anglophobie partout où il est passé». Comme propos modérés, on a effectivement vu mieux... Toujours est-il que Churchill invite Roosevelt à modérer son enthousiasme pour De Gaulle et à abandonner ce projet de film. A la place, c'est la figure de Staline qui tient la corde, devenu le «meilleur allié des Américains dans la lutte contre le nazisme». De là naîtra le film Mission to Moscow, réalisé par Michael Curtiz en 1943.
Le scénario abandonné sera publié aux Etats-Unis en 1984, et cinq ans plus tard en France par la maison d'édition Gallimard. Retravaillé par Bertrand Poirot-Delpech dans Moi, général de Gaulle, paru chez Gallimard également en 1990, il sera in fine tourné pour la télévision par Denys Granier-Deferre, avec Henri Serre dans le rôle de de Gaulle.