Face aux évolutions technologiques et des modes de consommation des oeuvres, les Français ne boudent pas les salles obscures pour autant. La décennie compte de (très) gros succès populaires parmi les productions françaises sorties depuis le début des années 2010. Deux d'entre-eux relèvent d'ailleurs des trente plus gros succès au box-office français de tous les temps à savoir Intouchables avec 19 479 088 millions de spectateurs et Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu ? qui comptent 12 366 862 d'entrées.
10 ans de succès populaires et surprises
Suite à un triomphe, on prend les mêmes et on recommence. Ainsi, la décennie 2010 voit se multiplier les franchises et les suites : Camping 2 et 3, Les Tuche 2 et 3, les films de la bande à Fifi (Babysitting 2, Alibi.com) et ceux avec et de Dany Boon (Rien à déclarer, Supercondriaque, Raid Dingue, La Ch'tite famille). En 2010, la bande de potes de Guillaume Canet ouvre le bal avec Les Petits mouchoirs (5 457 276 millions de spectateurs) et clôt la décennie par Nous finirons ensemble, sorti en mai dernier, qui cumule 2 793 207 millions d'entrées, numéro 2, sur le podium des films français en 2019, après Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon dieu ? !
Au box-office, les sagas et les noms d'Omar Sy, de Jean Dujardin ou encore Kev Adams flottent au-dessus de la masse de films qui sortent chaque année et puis, il y a les belles surprises. Des longs métrages qui auraient pu rester relativement inaperçus mais que le public français a soutenu. En grande majorité, ils tournent entre 900 000 et 3 millions d'entrées et ne cochent pas toutes les cases de la comédie française populaire. A l'inverse, nombre d'entre-eux abordent des sujets sociaux correspondant à des problématiques contemporaines. Les réalisateurs se penchent attentivement sur la société dans laquelle ils vivent.
En dix ans, ils ont mis en scène : la crise autour du milieu médical (Hippocrate, Médecin de campagne), le chômage (La Loi du marché et le tandem Brizé-Lindon), la fonction publique (Polisse, 9 mois ferme, L'Hermine), le handicap (La Famille Bélier, Hors-normes) mais aussi l'écologie et le retour à la terre (Demain, Au nom de la terre). Ses succès cinématographiques interpellent par le besoin de la société actuelle de prendre conscience de son environnement et non plus seulement le besoin de s'évader.
De nouveaux visages : explosion et révélations
Durant la décennie, les spectateurs ont vu de nombreux talents se confirmer, comme Omar Sy qui, suite au succès monstre d'Intouchables en 2011, remporte le César du meilleur acteur et voit sa carrière s'envoler jusqu'aux portes des studios hollywoodiens. Il intégrera le casting de deux des plus grosses franchises : X-Men et Jurassic Park, avant de donner la réplique à Harrison Ford en 2020. Toujours en 2011, Michel Hazanavicius rend hommage aux films muets avec The Artist, une véritable consécration pour Jean Dujardin qui reçoit le Prix d'Interprétation Masculine et l'Oscar du meilleur acteur des mains de Natalie Portman l'année suivante.
Découverte dans la comédie pour adolescents Mes Copines de Sylvie Ayme en 2006, Léa Seydoux n'a, à l'instar de ses collègues, cessé de gravir les échelons du cinéma français et international, de Mission : Impossible à James Bond, de Ridley Scott à Xavier Dolan, en passant par Abdellatif Kechiche pour La Vie d'Adèle - Chapitre 1 & 2. Présenté à Cannes, le long-métrage lui permet de rentrer dans l'Histoire du Festival puisqu'elle remporte la Palme d'Or (remise également au réalisateur et à Adèle Exarchopoulos). Une première.
Du côté des révélations, le cinéma français n'a jamais été aussi vivant. Après deux apparitions discrètes dans les films Nos 18 ans et LOL, Pierre Niney a su marquer cette décennie, comme l'un de ses complices François Civil, grâce à des rôles de premier rang, comme Frantz, Sauver ou Périr, sans oublier Yves Saint Laurent, qui lui vaudra le César du meilleur acteur en 2015. Virginie Efira, sa partenenaire à l'écran dans 20 ans d'écart, a également conquis l'industrie après avoir opéré un virage dramatique chez Justine Triet dans Victoria en 2016. Depuis, l'actrice choisit méticuleusement ses projets dans le cinéma populaire comme indépendant. En 2020, elle retrouvera le réalisateur néérlandais Paul Verhoeven dans Benedetta, film sulfureux et probable choc au prochain Festival de Cannes. Auréolé à deux reprises aux César, en 2010, pour son rôle dans Un Prophète de Jacques Audiard, Tahar Rahim a su, lui aussi, séduire les réalisateurs de par le monde, comme Garth Davis, Asghar Farhadi et prochainement Damien Chazelle pour la série The Eddy.
Comment parler des révélations qui ont fait la décennie sans mentionner le nom d'Adèle Haenel. L'actrice reçoit un César deux années de suite, en 2014 et 2015, et redéfinit, à travers chacun de ses rôles, la figure de l'héroïne à l'écran. Aussi féminine que virile, une nouvelle génération d'actrices bouleversent les codes préétablis de la femme au cinéma, comme Noémie Merlant, Diane Rouxel, Garance Marilier, Oulaya Amamra ou encore Camélia Jordana.
Place aux femmes
Les années 2010 ont également vu l'émergence d'une nouvelle vague de réalisatrices qui ont soit confirmé après des débuts prometteurs dans les années 2000, soit fait leurs premiers pas avec éclat : encore une fois, nulle question d'être exhaustif, mais mettre en valeur des talents qu'on a remarqué et qu'on prend plaisir à suivre... Citons bien sûr Maïwenn (Polisse, Mon Roi), Céline Sciamma qui, après Naissance des pieuvres en 2007, a réalisé trois films remarqués et remarquables au cours de cette décennie (Tomboy, Bande de filles, et Portrait de la jeune fille en feu), Mia Hansen Love qui a beaucoup tourné en peu de temps (5 films en moins de 10 ans, dont L'Avenir avec Isabelle Huppert), mais aussi bien sûr Léa Fehner (Qu'un seul tienne et les autres suivront, Les Ogres), sans oublier Valérie Donzelli (La Guerre est déclarée, et bientôt son nouveau film Notre Dame).
Au tournant des années 2010 sont apparus également les noms de deux réalisatrices qui ont depuis, elles aussi, tracé un sillon singulier et plus que prometteur dans le cinéma français : Katell Quillévéré (Un poison violent, Suzanne et Réparer les vivants), et Rebecca Zlotowski (Belle épine, Grand Central, Planétarium, Une Fille facile, sans oublier la série Les Sauvages). Enfin, il y a aussi l'émergence de réalisatrices qui ont joué à plein avec les codes du genre : Alice Winocour, qui en trois films, s'est essayé à trois registres différents (drame d'époque avec Augustine, thriller virant au polar angoissant dans Maryland, film de SF intimiste avec Proxima qui vient de sortir en salles), Coralie Fargeat et son Revenge movie très remarqué, et enfin Julia Ducourneau, dont Grave a fortement imprimé la rétine de tous ceux qui ont vu ce film explorant la question du cannibalisme sur fond de teen movie.
Citons aussi trois réalisatrices émergentes dans cette décennie qui ont su filmer d'autres formes de féminité, de Léonor Serraille (Jeune femme, avec Laetitia Dosch, Caméra d'or en 2017) à Justine Triet qui a trouvé en Virginie Efira, une interprète au caractère affirmé, une héroïne moderne.
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