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    Chanson Douce : "Le film peut se lire comme un cauchemar de parents"

    Ce mercredi sort "Chanson Douce", le nouveau film de Lucie Borleteau adapté du best-seller de Leïla Slimani. Rencontre avec la réalisatrice, l'autrice et l'actrice Karin Viard, qui prête ses traits au personnage complexe et inquiétant de Louise.

    Avec Chanson Douce, qui sort aujourd'hui dans les salles, Lucie Borleteau s'empare de l'excellent roman de Leïla Slimani, auréolé du prix Goncourt en 2016, dans lequel un couple de bobos engage une nounou pour s'occuper de leurs deux enfants en bas âge. La présence de Louise, qui se montre dévouée, consciencieuse, volontaire et vite indispensable, devient peu à peu envahissante et même inquiétante. AlloCiné a rencontré la cinéaste, ainsi que Leïla Slimani, l'autrice du roman, et Karin Viard, qui interprète le personnage complexe et effrayant de Louise. 

    C'est Karin Viard qui a, la première, eu le coup de coeur pour Chanson Douce et qui a tout fait pour obtenir les droits d'adaptation du roman. "A la fin de la lecture, j'ai téléphoné à un ami producteur en lui demandant d'acheter les droits pour moi, pour que je puisse jouer le personnage de Louise, qui m'a fascinée autant qu'intéressée, autant qu'effrayée", se souvient la comédienne. "J'ai senti en moi cette petite excitation que je ressens à la lecture d'un scénario quand un personnage me tente et me plait et je me suis dit que c'était quelque chose que j'aimerais beaucoup jouer." Par chance, les droits n'avaient pas encore été achetés, même s'ils étaient en passe de l'être et après un rendez-vous avec Leïla Slimani, c'était gagné. 

    "C'est un producteur qui m'a suggéré de le lire avec l'idée déjà d'en faire une adaptation", confirme la réalisatrice. "Quand j'ai commencé à le lire, j'ai complètement oublié pourquoi je le lisais et j'ai été totalement happée en tant que lectrice. La première chose qui m'a marquée, c'était de me dire que c'était un livre qui procurait des sensations très fortes, de vertige, l'impression de tomber dans un puits sans fond et ça a été une boussole ensuite pour la fabrication du film, d'essayer de retranscrire ces sensations avec les moyens du cinéma, qui ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux de la littérature."

    Le travail d'adaptation

    Pour l'autrice du roman, le sujet du livre était vraiment "la relation entre ce couple de bobos, appartenant à une classe sociale assez élevée, et cette femme issue plutôt d'une classe populaire ; c'était la dynamique de cette relation à la fois intime, professionnelle, d'amour, haine, jalousie qu'on peut avoir avec la nounou de ses enfants". La réalisatrice a tenu à ce que le film, lui aussi, soit centré sur les relations, en donnant vraiment aux enfants une place importante. 

    Studio Canal

    "Dans un film, c'est assez rare de mettre les enfants au centre", observe-t-elle. "Ici, le film se joue avec une espèce de triade composée de la nounou, des parents et des enfants. Les enfants ne sont ni absents ni objectivés. C'est aussi pour ça que beaucoup de personnages ont disparu, pour resserrer le récit, sans oublier les enfants, sur cette relation d'amour qui peut aller avec eux jusqu'à quelque chose d'irrationnel." Au moment de préparer le film, la cinéaste venait d'avoir son deuxième enfant : "J'étais plongée, dans mon intimité, dans certaines réalités qui sont des sensations très fortes mais qu'on oublie aussi très vite et cela m'a vraiment aidée à rentrer dans le film."

    Pour l'écriture, l'autrice a accordé toute sa confiance aux scénaristes, s'imisçant très peu dans le travail d'adaptation. "J'ai lu les différentes versions", indique-t-elle. "L'équipe a été très ouverte et très bienveillante avec moi, en me disant que j'étais la bienvenue dès que j'avais envie de donner mon avis, mais dès que j'ai rencontré Lucie, je lui ai dit que l'histoire était à elle et qu'il fallait vraiment qu'elle en fasse ce qu'elle voulait : la tordre, la malaxer, la trahir, la déchirer... Je voulais qu'elle ait une liberté totale."

    Le cauchemar de tous les parents

    Lorsqu'on demande à Leïla Slimani comment a germé l'envie d'écrire ce roman, elle se souvient : "La première fois que j'ai eu mon bébé dans les bras, je pensais que la première chose que j'allais ressentir c'était l'amour, la tendresse et en fait ça a été la terreur. J'ai eu un sentiment de terreur comme je n'en avais jamais eu avant et j'ai eu le sentiment que sur cet être, reposait toute ma vie et que si quelque chose lui arrivait, ma vie se terminerait. J'ai eu envie d'explorer cette terreur universelle. On la partage tous, on n'en parle jamais et on arrive à vivre avec. Comment on fait ? Et comment on fait pour engager quelqu'un pour s'en occuper malgré tout ?"

    La dimension cathartique est tout aussi certaine pour Lucie Borleteau. "Il y a un phénomène d'attraction/répulsion avec ce genre de sujet et l'idée qu'on pense qu'en regardant nos peurs en face, on sera peut-être protégés", commente-t-elle. "Au moment de la dernière écriture du film, qui est le montage, j'ai pris conscience que le film peut vraiment se lire comme un cauchemar de parent. Quand on est dans un cauchemar, ce qui fait peur, c'est que tout a l'air vrai. La bizarrerie, l'étrangeté, surgit au cœur de ce qu'on a de plus familier et c'est ce que je trouvais intéressant."

    Vers un film de genre

    Chanson Douce s'inscrit à la fois dans la tradition du thriller, mais touche également à l'horreur et au fantastique. "Lucie m'avait plus ou moins expliqué dès le départ qu'elle voulait faire un film de genre et à mon sens, c'était la meilleure chose à faire", remarque Leïla Slimani. 

    Studio Canal

    Lucie Borleteau confirme : "Ce qui me plaisait, c'est qu'il y avait deux directions possibles. Une dans la tradition du naturalisme français, un film dans l'ère du temps, une espèce de chronique sociale, et une qui permettait de s'aventurer sur le territoire du film de genre puisqu'il y a une dimension presque fantastique et de conte primitif sur des peurs très ancestrales."

    Composer le personnage de Louise

    Pour préparer le rôle de Louise, la nounou à la personnalité insaisissable, Karin Viard s'est beaucoup interrogée en amont : "Je me suis servi de ce que le roman disait d'elle et scène après scène, j'ai essayé de répondre aux questions que soulevaient ces scènes sur le personnage : 'Pourquoi réagit-elle comme ça ? Qu'est-ce que cela veut dire, au fond ?' J'ai essayé de créer des couches successives de rêveries, d'analyse d'elle-même et petit à petit je suis arrivée à cette forme." 

    Studio Canal

    Ensuite, elle a beaucoup travaillé sur le costume pour créer avec la costumière un véritable uniforme à Louise. "Elle a cette robe qui est comme une robe de travail, mais qui est aussi une robe qui existe depuis les années 1950, qui passe les années, elle est un peu un uniforme et je trouvais cela très juste. J'avais envie pour elle de quelque chose qui fasse disparaître son corps : qu'elle soit une fonction, mais plus un corps. C'est pour ça que lorsqu'on la voit nue, c'est choquant et désagréable." D'ailleurs, l'actrice précise qu'il n'était pas dit dans le scénario de départ qu'elle apparaîtrait nue : "C'est une proposition que j'ai faite à Lucie et qu'elle a accepté avec joie car elle n'osait pas me le demander", précise-t-elle. 

    Un film nourri de références cinématographiques

    Au moment d'adapter le roman, Lucie Borleteau avait deux références principales en tête : La Cérémonie de Claude Chabrol et Le Locataire de Roman Polanski, "parce que c'est un film sur l'installation de la folie et un film où l'appartement joue un rôle très important", souligne la réalisatrice. "C'étaient mes deux films boussoles."

    Leïla Slimani admet elle-même être souvent inspirée par le cinéma. Pour Chanson Douce, elle cite également Chabrol parmi ses influences, mais aussi Alfred Hitchcock : "Hitchcock a une vraie réflexion sur le suspense, sur le thriller et moi, je n'avais jamais écrit ce genre de livre. J'avais envie d'une progression vers l'inquiétude donc j'avais revu pas mal de ses films."

    "Il y a deux choses avec Hitchcock dans ce film", ajoute la réalisatrice. "La montée en puissance de la fin, avec le temps qui est très étendu dans les dix dernières minutes, ce qui est un mécanisme de suspense à la Hitchcock ; ensuite, je trouve que Karin Viard ressemble à Kim Novak dans Vertigo, avec cette nuque, ce port de tête incroyable et je me suis un peu fait plaisir pour la manière dont on la découvre, et en la filmant beaucoup de dos. Filmer la nuque c'est aussi une manière de dire à quel point on ne saura jamais ce qui se passe vraiment dans sa tête."

    Propos recueillis à Paris le 12 novembre 2019 et à Levallois le 22 novembre 2019. 

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