Mon compte
    Hollywood : les studios auront-ils bientôt leurs propres salles de cinéma ?
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Le Département fédéral de la Justice US se déclare prêt à mettre fin à la loi antitrust dite "Décret Paramount", qui interdit depuis 1948 aux Majors de posséder leurs propres circuits de salles de cinéma.

    Une annonce qui fait l'effet d'une bombe. Selon les propos rapportés par le site business Bloomberg, Makan Delrahim, le procureur général adjoint de la division antitrust du ministère de la Justice des États-Unis, a fait une déclaration ce lundi à Washington, selon laquelle le gouvernement fédéral se dit prêt à mettre fin à la loi antitrust connue sous le nom de "décret Paramount"; une jurisprudence validée par la Cour Suprême fédérale en 1948. L'idée de ce revirement ? Permettre à nouveau aux Majors d'acheter des salles de cinéma, ce qui leur permettra, in fine, de contrôler à nouveau toute la chaîne de commandement, de la production à la diffusion des oeuvres dans leurs propres salles. Pour que cet arrêt soit cassé, il faut néanmoins une nouvelle décision de justice.

    "Alors que l'industrie du film connaît toujours plus de changements, avec les innovations technologiques, avec de nouveaux modèles économiques et l'essor du streaming, nous avons l'espoir que la fin du décret Paramount dégage la voie à l'innovation et à sa consommation" a précisé Makan Delrahim. Dans la foulée de cette annonce, le cours des actions de sociétés exploitantes de salles de cinéma côtées en bourse a bondi.  Celui de AMC Entertainment Holdings Inc., le numéro un du secteur, a vu son action bondir de 6,9%. Celui de son concurrent, Cinemark Holdings Inc., de 1,5%, tandis que celui de Imax Corp. a grimpé de 4,7%.

    Ces hausses suggèrent que certains analystes pensent que cette décision -historique- du Département de la Justice pourrait entraîner le rachat par une Major de l'une de ces sociétés exploitantes de salles. Il est effectivement plus facile d'étendre son empire - à commencer par celui, désormais gigantesque, de Mickey- en pratiquant la diplomatie du carnet de chèque... Une vision que tient quand même à nuancer Amine Bensaid, l'analyste maison de Bloomberg : "je ne sais pas si cela fait sens pour une Major d'acheter un réseau de salles. Oui, cela pourrait les aider à faire davantage de marges, dans la mesure où elles ne seraient plus obligées de partager la moitié des profits avec les salles. Mais dans la mesure où l'on se dirige davantage vers le streaming, les Majors pensent déjà à sortir leurs productions plus modestes directement sur les plateformes".

    La loi anti-trust et la fin du Studio System

    Comme souvent, pour ne pas dire toujours, il faut se pencher sur le passé pour mieux comprendre ce qui se joue. La décision United States Vs Paramount Pictures, aussi connue sous les termes de procès antitrust de Hollywood, décision Paramount ou décret Paramount, est une décision essentielle de la Cour suprême des États-Unis dans le domaine du droit de la concurrence. La cour estima en effet que les pratiques des studios, qui détenaient leurs propres circuits de distribution, leurs propres chaînes de cinéma et négociaient des droits d'exploitation exclusifs, étaient en violation des lois interdisant certaines formes de restrictions verticales. Pour le droit de la concurrence, cette décision fit jurisprudence pour les cas ultérieurs de contestation des formes d'intégration verticale. Pour le cinéma, cette décision marqua la fin définitive du Studio System.

    Après plusieurs décennies de grogne du côté des indépendants, notamment des exploitants, le ministère de la Justice avait déjà intenté une première action en 1938. Dans le contexte du New Deal lancé par le président Franklin D. Roosevelt, la lutte contre les monopoles devint une des priorités du gouvernement. Thurman Arnold, chef de la section anti-trust du ministère de la Justice, multiplia les enquêtes et les poursuites judiciaires. Il intenta des actions dans les domaines de l’automobile, de l’énergie, des produits laitiers et du bâtiment. Le 20 juillet 1938, Thurman Arnold lanca son offensive contre les majors hollywoodiennes. Mais le processus fut particulièrement long et ralenti par la guerre. En 1948, la Cour suprême statua enfin avec la décision « United States Vs Paramount Pictures » : le secteur de l’exploitation devait désormais être dissocié du secteur production / distribution.

    Cette décision entraîna de profonds changements, mais ne marqua pas la fin de la prépondérance des Majors, qui se concentrèrent désormais sur la production et la distribution. Le passage des films en salle devenant plus incertain, elles diminuèrent radicalement leurs productions. Plus question aussi de faire des films de prestige ou expérimentaux : il s’agissait désormais de se consacrer uniquement aux films dont le succès pouvait être garanti. Comme un écho évident à la situation actuelle, où les Majors sont plus que jamais obnubilées par les Tentpole Movies et les déclinaisons industrielles des franchises multimilliardaires...

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Sur le même sujet
    • Disney / Fox : les lois antitrust US peuvent-elles faire capoter le deal ?
    Commentaires
    Back to Top