Call of Duty, la franchise vidéoludique annuelle et véritable martingale d'Activision, est un peu, voire beaucoup, devenue au fil des ans son propre genre : blockbuster, dans son acceptation la plus hollywoodienne du terme. Ces dernières années, l'éditeur s'est surtout borné à conjuguer la guerre au futur plus ou moins lointain, entre les Call of Duty : Advanced Warfare, Infinite Warfare, Black Ops III, et même les opus précédents. Infinite Warfare d'ailleurs atteignait une sorte d'acmé puisqu'on partait plus que jamais dans une dérive SF tendance Battlestar Galactica, avec un grand méchant totalement anecdotique dans la campagne solo, incarné par Kit Harington. Bref, sans doute -et clairement- l'épisode de trop qui n'en finissait plus de creuser un filon qui commençait sérieusement à s'émousser.
Après un excellent retour aux racines historiques de la licence avec Call of Duty : WWII en 2017, et un COD : Black Ops 4 privé de campagne solo, l'éditeur s'offre un rétropédalage en règle avec le millésime 2019 de la licence, baptisé COD : Modern Warfare, sorti le 25 octobre dernier. Comme un air de déjà vu dans le nom ? Tout juste. C'est que le service marketing d'Activision est facétieux, en plus d'être un champion du brouillage des pistes. Ce nom résonne presque comme le fameux opus Call of Duty 4 : Modern Warfare sorti en 2007, et probablement l'opus le plus apprécié de la licence; et Call of Duty : Modern Warfare Remastered, sorti en 2016, qui était une version reliftée du jeu de 2007. Vous suivez ?
Quid de cette cuvée 2019 au titre similaire donc ? Il s'agit en fait d'une "réinterprétation" du jeu de 2007, aux dires de son studio de développement, Infinity Ward, qui était déjà à l'oeuvre sur le volet original, et par ailleurs studio fondateur de la licence Call of Duty. "Il s'agit d'un tout nouveau Modern Warfare repensé à tous les niveaux" affirmait Dave Stohl, l'une des têtes pensantes du studio. "Nous créons une expérience chargée d’émotion qui s’inspire de l’actualité dans le monde, où les contours des champs de batailles et les règles qui s’y appliquent sont flous. Les joueurs rejoindront différentes unités de forces spéciales internationales et de combattants de la liberté dans des missions captivantes qui les conduiront au cœur de villes emblématiques d’Europe et jusqu’aux confins du Moyen-Orient".
Voilà pour la promesse de foi du studio. Et dans la pratique, que donne cette campagne solo ? Soyons franc : elle est excellente, et constitue même une des meilleures campagnes de la licence, régulièrement doublée d'un réalisme des situations qui fait plus d'une fois froid dans le dos. Si la franchise COD n'a jamais été un modèle d'écriture, force est de constater que Modern Warfare place le curseur dans une zone de gris intéressante -et polémique : quelle(s) limite(s) peut-on franchir lorsque l'adversaire n'en a quant à lui plus aucune ?
La campagne, qui dure environ 5-6h, tente d'apporter des éléments de réponses, dans une décalque pure et simple de la géopolitique actuelle. Si le studio de développement s'est bien gardé de reprendre les vrais noms de certains belligérants et des théâtres d'opérations actuels, le ton est rapidement donné. Dans l'intrigue du jeu, deux entités s'affrontent : des terroristes regroupés sous le nom d'Al-Qatala, et une faction de rebels russes séditieux (et désavoués par Moscou) emmenés par un général despote et sanguinaire, du nom de Roman Barkov. Et, évidemment au milieu, la population civile, ainsi que les membres des forces spéciales.
De Londres victime d'une vague d'attaques kamikazes en plein Piccadilly Circus à l'Urzikstan, qui est le pendant vidéoludique de la Syrie et son conflit actuel, le joueur sillonne le monde aux commandes de différents membres de forces spéciales, britanniques ou américaines. Mais incarne aussi l'âme de la révolte de l'Urzisktan, en l'occurence une femme, Farah. Multipliant les séquences en flashback faisant revivre son passé tragique dans des séquences parfois absolument glaçantes, torture comprise, la campagne ne perd pourtant jamais le fil de son récit. Un récit qui a, marque de fabrique oblige, régulièrement des allures de montagnes russes dans son rythme, mais qui sait aussi se poser, loin des rythmes absolument frénétiques (et épuisants) qu'on a pu connaître dans certains opus précédent.
Sous perfusion d'influences évidentes que sont les films Zero Dark Thirty (jusque dans le rôle féminin de chef d'opération incarné par Jessica Chastain dans le film); The Kingdom; Démineurs et ses kamikazes ceinturés d'explosifs, sans oublier 13 Hours de Michael Bay, dont on sent clairement qu'il a inspiré la mission "Ambassade" dans le jeu, ce COD : Modern Warfare s'offre aussi -et enfin !!!- un vrai lifting visuel, notamment grâce au renfort de la photogrammétrie; technique consistant à prendre des objets ou des environnements en photo, puis de les transformer en images 3D. Entre la qualité de certaines textures, les jeux de lumière, de jour comme de nuit, un souci du détail auquel la franchise ne nous avait pas habitué, c'est peu dire qu'on goûte enfin à un rendu visuel flatteur; en tout cas bien au-dessus de ce à quoi nous étions habitué. Les joueurs sur PC seront quant à eux encore plus gâtés sur ce point, pour peu qu'ils disposent d'une machine ad hoc. Si le moteur graphique Frostbite de l'écurie d'en face, celle de Battlefield, a quand même quelques longueurs d'avance, il faut saluer comme il se doit ce changement par le haut.
Bien rythmée, nerveuse, toujours mise en scène comme un blockbuster mais sensiblement plus nuancée qu'auparavant, cette expérience solo de Call of Duty : Modern Warfare est très recommandable. Mais avec un avertissement de taille, au-delà de la cible adulte du jeu : la violence de certaines situations rencontrées pourra, parfois, presque confiner jusqu'au malaise. Vous voilà prévenus.
Ci-dessous, la bande-annonce de la campagne du jeu...