Proxima, c'est l'histoire de Sarah (Eva Green), une astronaute française qui s'apprête à quitter la Terre pour une mission d'un an. Alors qu'elle suit l'entraînement rigoureux imposé aux astronautes, seule femme au milieu d'hommes, elle se prépare surtout à la séparation avec sa fille de 8 ans. Rencontre avec la réalisatrice Alice Winocour pour évoquer ce drame intime et puissant.
AlloCiné : D'où est venue l'inspiration pour "Proxima" ?
Alice Winocour : Depuis que je suis petite, je suis passionnée par l’espace. Ma fascination était plutôt poétique, et je rêvais quand je regardais les étoiles. Plus tard, à l’âge adulte, j’ai commencé à me pencher sur l’univers des astronautes et cela m’a encore plus fasciné. En étudiant ce milieu, je me suis rendue compte que dans les films, on ne montrait jamais la préparation des astronautes, ou très peu. Alors que c’est la plus grande partie de leur vie, d’autant que la plupart ne partent jamais dans l’espace. Ils passent leur temps à se préparer pour ne jamais partir.
Comme toujours lorsque je travaille sur le sujet d’un film, je me rends compte que ce qui m’amène sur tel ou tel projet est un rapport intime avec le sujet. J’ai toujours besoin de me projeter dans des mondes assez lointains. Mais au-delà de l’espace, ce qui m’intéresse avec Proxima, c’est surtout la relation mère-fille. Et je connais bien ce rapport, car j’ai une petite fille de 10 ans. Je trouvais intéressante cette idée de quitter la Terre qui résonne avec la séparation de la fille. Le scénario est ainsi construit comme les phases de séparation d’une fusée. Proxima traite donc du sujet de la séparation, comment la gérer, mais aussi comment gérer sa culpabilité en tant que mère.
Avez-vous relevé des défis particulier avec ce film ?
Pour moi, le défi, et ce qui a été amusant, a été de filmer des endroits qui n’avaient jamais été filmés. On a tourné dans de nombreux lieux secrets et interdits au grand public, comme des bases militaires en Russie. Il nous a fallu un grand nombre d’autorisations très spéciales. On a filmé notamment à Star City où tous les astronautes, même les Américains et les Japonais, s’entraînent ! C'était incroyable de tourner au milieu des vrais astronautes qui étaient en plein entraînement. Nous avions des horaires et des lieux de tournage bien précis dans Star City. Il nous a fallu concillier l’infrastructure lourde du tournage où nous devions tous rentrer ensemble dans Star City, avec le gigantisme des lieux de tournage. Nous avons même tourné un vrai décollage au Kazakhstan !
Ca a vraiment été un processus totalement immersif. Pas un seul décor n’a été recréé ! Ca va surprendre le public qui a l’habitude du monde de l’espace à travers les films de super-héros où tout est super technologique alors qu’en réalité, même les gens de la Nasa s’entraînent avec la technologie, plus ancienne, des Soyouz, une technologie russe. Etre aussi proches de la vérité, de tous ces vrais astronautes en préparation, nous a énormément apportés, aussi bien à moi, comme réalisatrice, qu'aux acteurs du film. C’est forcément très inspirant d’être au contact du vrai.
Parlez-nous des choix d’Eva Green et de Matt Dillon...
Je cherchais une mère différente de l’idée que l’on se fait d’une mère. Je voulais une combattante et je crois qu’Eva incarne ça, cette force intérieure tout en sachant faire preuve d’émotion. Elle a donc en même temps cette grâce, cette étrangeté, qui font que ce n’est pas un hasard si elle est un peu l’égérie de Tim Burton. Elle a un côté “space”, comme quelqu’un qui n’a pas vraiment les pieds sur Terre et qui est tournée vers les étoiles. J’ai donc pensé à elle. Elle a dû s’entraîner très durement avec tous les astronautes de l’Agence Spatiale Européenne à Cologne. Tous les dialogues, d’ailleurs, ont été écrits avec les experts de l’Agence Spatiale. Tout ce que l’on voit dans le film est pratiquement vrai. Il y a presque un aspect documentaire. Mais ce qui m’intéresse, au cinéma, c’est aussi de filmer les corps, la difficulté de se séparer de la Terre.
Pour Matt Dillon, je cherchais un homme macho mais plus complexe que ça. Je voulais une profondeur, presque une relation d’amitié amoureuse entre lui et le personnage d’Eva. Il fallait donc pouvoir aimer cet homme malgré ses défauts. Et on devait comprendre qu’il devait se donner une sorte de façade, comme une défense et une protection. Je savais que Matt Dillon pouvait rendre compte de cette complexité. Sans compter son étrange regard qui correspond à celui des astronautes. J’ai toujours pensé aux Dieux Grecs en pensant aux astronautes, comme des gens avec des super-pouvoirs mais avec plein de défauts très humains. Des personnes auxquelles on peut ainsi s’identifier.
Au final, qu'est-ce que vous avez voulu raconter avec "Proxima" ?
La raison pour laquelle j’ai fait le film, c’était de montrer une super-héroïne qui est aussi une mère. Le cinéma ne représente pas souvent ces deux choses dans la même personne, comme s'il s'agissait d'états incompatibles. Ce que je voulais dire, en fait, c’est que les heroïnes, comme Catwoman, n’ont pas d’enfants, parce qu’on ne peut pas montrer que des enfants les éloigneraient de leur mission. Alors que dans la vraie vie, ces femmes ont des enfants, et ce sont souvent elles qui en sont le plus responsables. En même temps, les femmes elles-mêmes ne parlent pas de leurs enfants. Elles n’en parlent pas car elles savent que c’est considéré comme une faiblesse. J’ai notamment parlé avec une entraîneuse de l’Agence Spatiale qui me disait avoir entraîné pendant plus de six mois une femme astronaute, et alors que les hommes parlent tout le temps de leurs enfants, en montrant des photos par exemple, cette femme n’a jamais parlé de sa famille. C’est juste à la fin de son entraînement qu'elle a enfin parlé de son enfant !
Pour moi, ce silence vient de la condamnation de l’image qui est associée au fait d’avoir des enfants, qui est une image de faiblesse. Les femmes n’en parlent donc pas car elles pensent que cela peut les desservir. On pourrait penser que ces femmes ne peuvent pas faire du bon travail et être distraites par leurs enfants mais tout ceci est faux. D’ailleurs, l’astronaute Julie Payette est la preuve de ce sérieux et de ce “multi-tasking” dont on a besoin et que l’on acquiert naturellement en étant mère. En tout cas c’est plus dur pour les femmes, car elles ont honte d’être mères et elles doivent vivre avec ce sentiment de culpabilité, qui est aussi une construction sociale, cette culpabilité de laisser leur enfant quand elles veulent avoir une grande carrière.
Le message de Proxima est donc de dire que l’on peut faire les deux : être mère et avoir une grande carrière. C’est un message de libération. La mère jouée par Eva montre aussi cette libération à sa fille qui finit de se libérer de sa mère à son tour. Proxima, cela veut aussi dire "la prochaine" en espagnol, il y a donc aussi l’idée de transmission, l'idée que l’on transmet à un enfant. Il vaut mieux vivre son rêve que le sacrifier pour être une mère “parfaite” mais qui n’existe pas. Matt Dillon le dit bien, que “la mère parfaite n’existe pas”, comme l’astronaute parfait n’existe pas. Il y a encore du chemin à faire pour libérer les femmes de cette culpabilité et montrer qu'avoir des enfants n’est pas une faiblesse mais une force. La vie des femmes astronautes est plus difficile car elles doivent évoluer dans un monde pensé pour les hommes, même leurs combinaisons spatiales sont conçues pour des hommes et non des femmes ! Je voulais montrer ce parcours de la combattante qui, au final, est un parcours de libération.