On leur doit la réinvention du Joker dans les comic books du même nom, et ils plongent Batman dans la tourmente avec "Damned", sorti le 25 octobre chez Urban Comics et où l'Homme Chauve-Souris doit enquêter avec John Constantine sur... la mort de son pire ennemi. L'occasion d'évoquer les personnages ainsi que le récent film porté par Joaquin Phoenix avec Lee Bermejo et Brian Azzarello, lors de leur passage au Comic Con Paris 2019.
AlloCiné : Plutôt que "Batman Damned", votre nouvelle histoire aurait pu s'appeler "Killing Joker"
Lee Bermejo : (rires) Mince ! Mais où étiez-vous ces dernières années lorsque nous cherchions notre titre ?
Pourquoi avoir choisi de commencer cette nouvelle histoire par ce choc ? Pour tourner la page, après avoir signé "Joker" ?
Brian Azzarello : Si le livre tourne autour de la mort du Joker, il doit l'être dès la première page, plutôt que de le faire mourir au cours du récit. Il n'y a pas de mystère.
"Batman Damned" appartient au label DC Black, indépendant du canon. Cela vous a-t-il offert plus de liberté ?
Brian Azzarello : Nous avons eu beaucoup de liberté. Au début (rires)
Et moins ensuite ?
Brian Azzarello : Voilà.
Lee Bermejo : Et il a y a plein de raisons à cela. AT&T [compagnie de téléphonie qui détient WarnerMedia, donc DC Entertainment, ndlr] est sans doute à l'origine de la plus importante. Les personnages DC sont très importants et nous avons toujours eu beaucoup de chance. Nous avons toujours pu mener nos projets discrètement sans trop d'implication éditoriale. Celle-ci venait surtout des éditeurs de chez Vertigo. Nous avions notre niche, notre petit univers, et nous avons fait, dans "Joker", des choses qui ne pourraient jamais être faites aujourd'hui. Ça ne serait plus autorisé par la direction actuelle.
Mais comme il s'agit là de notre plus grosse oeuvre, et de notre plus gros succès - de très loin grâce à toute la publicité que nous avons eue malgré nous [à cause d'un dessin montrant Batman entièrement nu, obscurci dans la version française, ndlr]. Toute cette attention que nous avons reçue a permis à plusieurs personnes chez DC d'ouvrir les yeux sur notre travail et d'appuyer sur quelques boutons. Et c'est pour moi la meilleure chose à faire avec ces personnages : les effrayer avec ce qu'ils possèdent, car ils sont puissants.
Parmi les personnages, on retrouve John Constantine. À quand remonte cette envie de l'associer à Batman ?
Brian Azzarello : À l'origine, ça devait être Constantine et toute la Justice League Dark. Mais sur un autre projet que celui-ci, qui a évolué. Pour moi, Constantine ne peut pas fonctionner avec la Justice League Dark. Ça n'a pas de sens, car il n'est pas un leader, il n'est pas très bon avec les autres. S'il devait assembler une équipe, ce serait pour envoyer ses partenaires à la mort.
Lee Bermejo : Ce serait lui le méchant de l'histoire.
Brian Azzarello : Nous cherchions donc comment intégrer les autres personnages au récit, et nous avons songé à la conversation intéressante qui pourrait naître entre John et Batman.
Parce que l'un est ancré dans la réalité, tandis que l'autre incarne un versant plus magique de l'univers DC.
Lee Bermejo : Oui, mais ce que j'aime avec notre John Constantine, c'est qu'il ne fait jamais de magie. Il y a plusieurs façons d'écrire ce personnage, et ma préférée est celle où vous ne savez jamais vraiment s'il vous arnaque ou si sa magie est réelle. Cela représente une grande partie de son identité.
Brian Azzarello : Quand je l'ai vu, dans la série télé, avec sa magie au bout des doigts... Mon Dieu !
Lee Bermejo : Deux moments de ce livre, selon moi, définissent parfaitement qui est Constantine. Quand il court se cacher dans la scène avec Swamp Thing, et quand il ramasse une arme à feu à la fin. Aucune magie n'est présente alors que les lecteurs s'attendent sans doute à le voir avec des lasers. Mais ce n'est pas le Constantine que j'aime montrer.
Nous avons fait, dans "Joker", des choses qui ne pourraient jamais être faites aujourd'hui
La quatrième de couverture indique que David Cronenberg a été l'une de vos influences. Y a-t-il un film en particulier qui vous a inspirés ?
Lee Bermejo : Ah ? Nous n'avons jamais parlé de cela pourtant. Mais il y a une ambiance qui rappelle les films de David Cronenberg ou David Lynch, et c'est peut-être de là que tout est parti. J'aime le cinéma de David Cronenberg et je suis content de savoir que "Batman Damned" ressemble à ce qu'il fait plus qu'à d'autres livres.
Brian Azzarello : Nous voulions que cela ne ressemble pas à une histoire de super-héros.
C'est en cela que Batman et le Joker sont des personnages si particuliers et intéressants : il n'y a pas une seule façon de les approcher, et le film avec Joaquin Phoenix l'a récemment prouvé. L'avez-vous vu ?
Brian Azzarello : Oui, je l'ai beaucoup aimé et pour plusieurs raisons. Parce qu'il s'inspire d'une période du cinéma que j'aime, les années 70, et pas des films de super-héros, que je n'aime pas trop (rires) C'était davantage un portrait psychologique d'un personnage. Car ça parle de maladie mentale.
Lee Bermejo : J'aime le fait qu'il ne s'excuse pas d'être ce qu'il est, là où les films de super-héros le font tous, d'une façon ou d'une autre. Ils se doivent d'être drôles pour le simple plaisir de l'être, ils se sentent lourdement obligés de se terminer par une gigantesque bagarre en images de synthèse. Comme dans un jeu vidéo : il faut parvenir jusqu'au boss final et le battre. J'aime que Joker ne coche aucune case du film de super-héros. Il maintient sa position.
De tous les Joker de cinéma, lequel est votre préféré, le plus proche de votre approche. Au vu de "Joker" et "Batman Damned", on pense à Heath Ledger à cause du look et du sourire formé par ces cicatrices.
Lee Bermejo : C'est ce qu'on nous dit régulièrement depuis la sortie du livre. Mais quand je regarde notre Joker, les cicatrices sont son seul point commun avec Heath Ledger. La structure du visage de Joaquin Phoenix est plus proche de celle de notre Joker, même si son personnage est très différent dans son comportement. Je ne sais pas si j'ai un favori, car je les aime tous pour différentes raisons. Même la version drôle de Cesar Romero [dans la série des années 60, ndlr] que j'adore. Il y a cette scène où il s'habille comme un clown à l'ancienne et parle vers la caméra, dans l'un des premiers épisodes, et c'est assez dérangeant. Il cherche le rire et le ridicule, mais il y a une vraie bizarrerie.
Cette version colle à ce que devaient être les comic books à l'époque, à cause des règles du Comics Code Authority, et c'est aussi en cela que Batman et le Joker sont les miroirs de l'époque de chaque approche.
Brian Azzarello : Exactement.
Notre Batman n'est pas un Batman de consommation de masse.
Quel Batman est votre préféré, et le plus proche de ce que vous avez écrit et dessiné ?
Brian Azzarello : Je n'ai pas vraiment de préféré.
Lee Bermejo : Je n'ai pas le sentiment que le cinéma se soit rapproché de ce que nous avons fait avec Batman. Ce serait même très difficile à faire car ils ont des cases à cocher avec ce personnage, et nous ne le faisons pas. Notre Batman n'est pas un Batman de consommation de masse.
Y a-t-il un acteur qui serait parfait pour incarner votre Batman ?
Lee Bermejo : Je n'y avais pas réfléchi, car je n'ai pas d'acteurs en tête quand je dessine. Enfin, non, ça n'est pas vrai, car cela m'arrive parfois. Et c'est drôle car Paul Dano vient d'être choisi pour jouer l'Homme Mystère. Je déteste ce personnage mais Brian a trouvé une façon intéressante de l'inclure dans "Joker". À l'époque, There Will Be Blood venait de sortir et je pensais que Paul Dano serait très bien sur le plan physique, au même titre que Lukas Haas dans Brick, qui marchait avec une canne. C'était surtout physique car je ne pense pas à ça sinon, même pour Constantine.
Brian Azzarello : Il y avait quand même Sting.
Lee Bermejo : Oui, c'est vrai, Sting est un peu notre inspiration.
"Joker" et "Batman Damned" de Brian Azzarello & Lee Bermejo sont disponibles chez Urban Comics
Comme Joaquin Phoenix est devenu le Joker :