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    J’ai perdu mon corps, Oggy et les cafards : rencontre avec le producteur Marc du Pontavice
    Clément Cusseau
    Clément Cusseau
    -Rédacteur
    Après des études en école de cinéma, il intègre la rédaction d’AlloCiné en 2011. Il est actuellement spécialisé dans les contenus streaming et l’actualité des plateformes SVOD.

    A l'occasion du dernier festival d'Annecy, nous avons rencontré Marc de Pontavice, "papa" de séries animées à succès ("Oggy et les cafards", "Les Zinzins de l'espace") et producteur du film "J'ai perdu mon corps".

    Gaumont Multimédia

    Pourquoi avoir décidé de consacrer un studio à la production de dessins animés ? 

    Marc du Pontavice : A titre personnel, j’ai été bercé durant toute mon enfance par les cartoons américains. J’ai bâti ma carrière avec cette idée obsessionnelle que tout ce que je produis doit durer et voyager à travers le monde et j’ai remarqué à l’époque que les dessins animés que les américains avaient alors cessé de produire possédaient justement ces deux qualités exceptionnelles. Quand un programme est bien fait, alors il a une durée de vie absolument incroyable, comme par exemple Tom & Jerry qui continue de cartonner soixante-dix ans après sa création ! 

    L’essence même de ces gags visuels forment un langage universel, que nous avons d’ailleurs cherché à pousser à l’extrême avec nos productions, puisque certaines de nos séries sont entièrement non-dialoguées. La mise en scène de nos séries est donc universelle puisqu’elle ne s’enferme pas dans les frontières du langage, ce qui explique pourquoi nos productions sont diffusées dans à peu près 200 pays et rencontrent le succès aux quatre coins du monde. Ce sont donc pour ces raisons que nous avons opté pour ce genre de production ce qui d’ailleurs n’existait alors pas du tout en Europe !

    L’absence du dialogue permet également de se concentrer sur l’image, là où des dessins animés plus dialogués permettent peut-être à leurs téléspectateurs de ne suivre l’épisode qu’à travers le son…

    Vous avez tout à fait raison ! Il faut de très grands metteurs en scène pour échapper à la contrainte du dialogue puisqu’un dialogue nécessite le plus souvent un champ/contre-champ entre deux personnages tandis que l’animation de ces scènes se concentre davantage sur le mouvement des lèvres et non sur les corps. C’est comme au cinéma, les plus grands acteurs viennent souvent du théâtre car sur scène il y a l’obligation de jouer avec son corps tout entier ce qui n’est pas toujours le cas au cinéma où certains comédiens utilisent davantage leurs expressions. Se passer de dialogue dans le cadre de l’animation, c’est libérer la mise en scène mais également ajouter une nouvelle contrainte assez géniale qui est que le langage du personnage devient celui de son corps. Cela nous oblige donc à le caractériser par son animation, et non ses dialogues ce qui fondamentalement change tout.

    Se passer de dialogues permet aussi d’éviter des problèmes de production comme le changement de comédiens de doublage en cours de série, comme cela a été le cas notamment sur Les Zinzins de l’espace…

    (rires) Oui cela a été un vrai sujet de discussion à l’époque. On nous avait notamment reproché d’avoir supprimé le personnage de Steréo dans la deuxième saison et puis il y avait les changements de voix, pas pour la version américaine mais seulement en France et notamment le personnage d’Etno car nous estimions avoir trop forcé sur son accent anglais ce qui limitait ses capacités de jeu. Mais c’est vrai que le choix des voix créée un attachement avec le public et qu’il est ensuite très compliqué de prendre la décision de remplacer un comédien.

    Une autre caractéristique de vos séries est la qualité des génériques et notamment l’utilisation de ces chansons qui restent en tête.

    J’ai toujours pensé qu’un générique est en quelque sorte la signature d’une série. Un générique a pour moi deux fonctions : celui d’appel, pour signaler le début d’un épisode et faire venir le spectateur jusqu'à son écran de télévision, mais aussi un rôle très important dans l’empreinte mémorielle. J’ai toujours tenu à ce que mes génériques aient leur propre identité visuelle et ne soient pas juste un montage d’extraits de la série. Quant à la musique, il y a la fois cette volonté de trouver un air qui reste facilement en tête, et que cela affiche en parallèle une ambition musicale à la hauteur de celle de la série. C’est donc toujours un équilibre délicat à trouver. Iggy Pop était venu à Paris enregistrer le générique des Zinzins de l’espace, nous avions passé deux jours fantastiques en studio, Hugues Le Bars a fait un travail fantastique sur celui d’Oggy et les cafards, c’est un générique qui fait fredonner plusieurs générations désormais, mais aussi des spectateurs du monde entier, notamment en Inde où Oggy est un succès phénoménal, presque un phénomène de société ! Voir tous ces enfants fredonner le générique est quelque chose d’assez touchant.

    L'irrésistible générique d'Oggy et les Cafards :

    En quoi les nouvelles plate-formes type Netflix et Disney+ vont-elles impacter l’industrie de l’animation ?

    Nous sommes à l’aube de quelque chose d’extraordinairement différent. Cela fait longtemps que le monde de l’animation tente d’aborder des sujets plus adultes, mais n’y parvient pas car il s’agissait de marchés locaux aux frontières très fermées. Donc, le marché de l’animation pour adultes n’était pas viable car il n’y avait pas forcément un volume de spectateurs suffisant pour justifier de tels investissements, à part peut-être aux États-Unis qui arrivaient à sortir de temps en temps des séries qui s’exportaient. C’est pourquoi les plate-formes ont une profondeur de marché inouïe puisqu’elles abattent ces frontières, tout est disponible dans le monde entier et donc un marché dit de niche, comme l’était considérée il y a encore quelques années l’animation pour adultes, devient tout simplementrentable.

    Contrairement à la télévision traditionnelle, qui est un média un peu âgé, les plate-formes s’adressent principalement à une cible jeune (les 15-35 ans) et cette population a un vrai appétit pour l’animation pour adultes, elle cherche d’autres types de séries animées que celles proposées jusqu’ici. Je pense donc que nous sommes à l’aube de changements, l’animation va sortir de son ghetto de "genre" exclusivement réservé aux enfants pour commencer à explorer des sujets différents sans pour autant tomber dans le trash. J’ai la conviction que l’animation permet de traiter des sujets dramatiques et qu'elle va peu à peu réussir à s’approprier les différents genres.

    On a aussi l’impression d’assister à de vrais changements, alors qu’il n’est désormais plus mal vu que des adultes regardent des dessins animés, quand les précédentes générations considéraient ces production comme exclusivement réservées à un public d’enfants…

    Effectivement, on se rend compte de ces changements et notamment avec notre film J’ai perdu mon corps. C’est un film qui fait beaucoup discuter au sein de l’industrie de l’animation parce qu’il ouvre beaucoup de perspectives en matière de narration et de traitement de sujets adultes que l’animation occidentale n’avait jusqu’ici jamais osé aborder. Les Japonais le font depuis très longtemps, depuis plusieurs décennies déjà, mais en Occident il reste ce tabou qui veut que l’animation doit s’aventurer sur d’autres terrains que celui des films et séries en prises de vues réelles. Je me bats beaucoup pour faire comprendre que l’animation n’est pas un genre, mais juste une technique au service de metteurs en scène qui préfèrent dessiner plutôt que de diriger des acteurs sur un plateau de tournage.

    Vous avez parallèlement produit des séries d’animation et des films en prises de vues réelles, comment pensez-vous que ces deux activités se rejoindront-elles un jour ?

    Vous ne pouviez pas poser de question plus pertinente, car quand vous verrez J’ai perdu mon corps, vous comprendrez que c’est précisément avec ce film que je fais la synthèse de mon travail de producteur pour le cinéma et la télévision.

    Par ici les sorties, quel(s) film(s) voir à partir de ce mercredi 6 novembre au cinéma ?

     

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