Le Festival International du Film de La Roche-sur-Yon affirme un peu plus chaque année son éclectisme et la richesse de sa programmation, avec un vaste panorama de la production contemporaine. Cette année, le festival donne à voir des films aussi variés que Play, nouvelle comédie d'Anthony Marciano avec Max Boublil et Alice Isaaz, que Martin Eden de Pietro Marcello, ou La Vérité de Hirokazu Kore-Eda. L'idée est de "rassembler une sélection tout à fait subjective et assez représentative, du contrechamp du cinéma contemporain par rapport à ce qu’il se passe à Cannes, sans contrainte de genre, de durée, de format, de langue, de provenance géographique, etc.", comme l'a indique son directeur Paolo Moretti, à notre micro, et dont vous pourrez lire l’entretien ci-dessous. Le festival propose quelques uns des films les plus attendus ou scrutés de cette fin d'année.
Parmi eux, J’accuse, le dernier long métrage de Roman Polanski, choisi pour être le film de clôture de cette édition, et dont la sélection n’a pas manqué de faire réagir. Après avoir suscité la controverse au Festival de Venise, par l’entremise de sa présidente du jury, Lucrecia Martel, la comédienne Adèle Haenel, actuellement à l’affiche de Portrait de la jeune fille en feu, et mise à l’honneur cette année à La Roche-sur-Yon, s’est interrogée publiquement sur la présence de J’accuse, et plus précisément sur la possibilité qu’il soit contextualisé, accompagné "d’un débat sur le thème de la séparation de l’homme et de l’artiste et sur la culture du viol".
"J’étais un peu surprise de voir, dans la programmation, -et nous avons eu l’occasion d’en parler avec Paolo [Moretti]- que le film du Roman Polanski était projeté, a affirmé publiquement Adèle Haenel lors de sa rencontre avec le public. Je pense que dans le contexte actuel, ce serait pas mal d’encadrer ce film d’un débat sur « qu’est ce que la différence entre l'homme et l'artiste » ainsi que sur la violence faite aux femmes. C’est un truc à prendre au sérieux. Contrairement aux pays anglo-saxons, je trouve qu’en France, dans les pays latins, on met tout ça sous le coup de la liberté de la création de l’artiste, et je pense qu’il est vraiment souhaitable pour tout le monde que l’on questionne ça. C’est une question complexe et dont on a besoin de tous discuter. On ne peut pas se contenter de « ça c’est la liberté de création ». On est dans une structure où l’on est tous plus ou moins informés de ce que signifie la culture du viol. On parle d’une femme sur cinq, concernée directement par la question du viol. On peut en parler de manière structurelle et au moins ouvrir le débat pour que ça change. Car ce n’est pas naturel, c’est un fait social."
Pour Adèle Haenel, "ce sont des sujets complexes, qui conditionnent la vie des femmes, dont nous avons absolument besoin de parler". Suite à cette suggestion, Paolo Moretti organisera un débat ce vendredi à l'occasion de la première projection du film pendant le festival, animé par l'autrice et critique Iris Brey.
Nous nous sommes entretenus avec Paolo Moretti, délégué général du Festival de La Roche-sur-Yon, également exploitant de salle dans la commune vendéenne, et nouveau directeur de la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes depuis cette année.
AlloCiné : Il s'agit de la 10ème édition du Festival International du Film de La-Roche-sur-Yon. Y-a-t-il eu la volonté de marquer le coup pour cette année anniversaire ?
Paolo Moretti : Je ne suis pas particulièrement fan des anniversaires. Toutes les éditions du festival étaient pour moi particulières et spéciales d'une façon ou d'une autre. Pour cette 10ème édition, il y a une seule vraie nouveauté, à savoir que le festival a 5 écrans qui fonctionnent en même temps. On récupère une salle que l'on utilisait dans le passé pour satisfaire le désir du public. L'année dernière, on avait eu plusieurs séances complètes, pas mal de gens étaient restés dehors. Donc nous n'avons pas augmenté le nombre de films, mais le nombre de séances.
Nous avons également remis en place une exposition. Nous avions fait ça en 2017 avec David O'Reilly, et là on est très content d'accueillir Meat Dpt. Ce sont les deux choses qui marquent cette édition. Mais sinon c'est une édition en ligne avec les précédentes, en terme de quantité de films, de profil de films... Le projet du festival n'a pas changé depuis 2014. Ce concept a eu besoin de quelques années pour se développer de façon plutôt régulière, donc c'est assez encourageant. Chaque année est spéciale pour nous.
2019 est une année très riche cinématographiquement comme Cannes en a été l'illustration. Et après avoir vu tout ce qui était à Cannes, on aurait pu penser que ce serait compliqué pour les autres festivals. Et finalement, pas du tout. Par exemple, le Festival de Venise avait une sélection formidable. Et donc ici à La Roche-sur-Yon, il y a énormément de films de qualité. C'est une grand année !
C'est une belle année, je peux le confirmer. Je trouve aussi que cette édition de Cannes a été particulièrement forte à plein d'endroits. Je me disais aussi, si Cannes prend tout, en effet, ça va être compliqué. Mais heureusement le cinéma est beaucoup plus grand et riche que Cannes. Cannes est le plus important festival du monde à mon sens, mais il n’arrive pas à montrer toute la variété, toute la diversité du cinéma contemporain
Il y a d’autres événements qui font un travail excellentissime. Il y a souvent de nombreux films marquants de l’année qui apparaissent dans d’autres grands événements : Venise, mais aussi Berlin, Toronto, Sundance, San Sebastian… pour ne nommer que les plus gros. Mais dans notre programme il y a aussi des films qui arrivent de Rotterdam, de galaxies ou de sous-galaxies, pour rester dans la métaphore spatiale de Meat Dpt, et qui sont nos bassins de recherche. On a trouvé plein de choses cette année, et pas forcément des choses qui avaient pris le chemin de Cannes et qui ne l’ont pas eu. Ce sont des films qui sont apparus à différents endroits pour des raisons différentes, de dynamique, de choix commercial, stratégique ou simplement pour des questions de production si le film n’était pas prêt pour le mois de mai.
Le projet du festival était celui-là en 2014, à savoir témoigner de tout ce qu’il se passe ailleurs, et c’est encourageant de voir qu’au niveau du sens –qu’est ce que peut offrir un festival de plus en France en 2019 alors que c’est l’un des pays au plus haut nombre de festivals de films-. Je pense que le concept qu’on développe ici est utile et intéressant : rassembler une sélection tout à fait subjective évidemment et assez représentative de ce qu’il se passe, du contrechamp du cinéma contemporain par rapport à ce qu’il se passe à Cannes, sans contrainte de genre, de durée, de format, de langue, de provenance géographique, etc. C’est à dire en appliquant les mêmes critères très très ouverts que Cannes. C’est quelque chose qui nous intéresse et qui nous permet de travailler aussi avec le public, local mais pas seulement, et en tout cas intéresser suffisamment de spectateurs pour justifier la mise en place de cet événement. C’est quelque chose qu’on est en train d’affiner et c’est un concept qui continue à nous intéresser, avec du potentiel.
Lors de la rencontre avec le public qui a été organisée, ce mardi 15 octobre, Adèle Haenel s’est émue de la présence de J’accuse. Pouvez-vous nous dire si cela a posé question que l’on puisse sélectionner ici le film de Roman Polanski ?
Bien sûr.
Et dans ce contexte, comment peut-on présenter ce film sans que cela puisse heurter ?
Une des fonctions pour nous qui organisons des événements, c’est aussi être à l’écoute de toutes les façons possibles, et toutes les sensibilités qui peuvent être autour d’un événement qui implique une dimension collective, et donc pour moi naturellement politique. Ce n'est un secret pour personne dans le sens que le film a suscité immédiatement, dès son apparition dans la liste des films de Venise, et ensuite à cause de la polémique générée par les positions de Lucrecia Martel [présidente du jury au Festival de Venise cette année, Ndlr.], que je comprends parfaitement d’ailleurs. C’est un film problématique. C’est un film problématique en 2019, dans cet état des choses, pas forcément pour le film, mais qui représente un vecteur de cette discussion. C’est un catalyseur de nos sensibilités dans l’esprit commun et dans l’esprit du temps aussi.
Je ne peux ne pas reconnaître que ce soit comme ça et que certaines personnes puissent être sensibles à ce que le film porte. Par contre, j’ai un problème avec les pulsions de censure. Ce que l’on va faire, grâce entre autres à la discussion avec Adèle, c’est créer un contexte autour du film et susciter une discussion justement sur la question de la séparation entre l’homme et l’artiste qui est d’ailleurs la question qu’a soulevé Lucrecia Martel dans le jury de Venise et en connexion évidemment avec la présence du film dans le programme du festival. C’est l’une des solutions –je ne prétends pas que ce soit la solution. Evidemment on peut critiquer, en discuter. Pour moi, c’est une façon de mettre en perspective, mettre en contexte et ouvrir un espace de parole. Si cette parole n’était pas là, elle pourrait être interprétée comme un manque de sensibilité, faire semblant de rien, alors qu’on reconnaît la problématique de la question. On reconnaît qu’à travers cette discussion passe une sensibilité contemporaine qui est pour moi une source d’évolution de la perception du monde du cinéma et du monde en général. Pour moi, c’est accompagner de film en particulier d’une discussion autour du sujet central qu’il a suscité lors de son apparition qui nous a paru la meilleure façon justement de complexifier cette présence à un niveau qui me paraît correct.
Le 10ème Festival International du Film de La Roche-sur-Yon se tient jusqu'au 20 octobre 2019