Finie la comédie pour Todd Phillips ! Avec Joker, le réalisateur s'éloigne du genre qui lui a permis de se faire connaître auprès du grand public, au profit de la noirceur la plus totale. Et de l'un des personnages les plus iconiques de la pop culture : le pire ennemi de Batman, auquel Joaquin Phoenix prête ses traits pour délivrer une performance saisissante. De passage à Paris après avoir reçu le Lion d'Or du Festival de Venise, le metteur en scène et scénariste est revenu sur ce projet atypique dont il a été l'initiateur.
AlloCiné : "Joker" est un mélange intéressant car il s'agit à la fois d'un film DC Comics, d'une origin story sur le méchant et d'une étude de personnage. Quand et comment ce projet particulier est-il né ?
Todd Phillips : J'y ai vraiment songé il y a trois ans. Je pensais à ces films que j'ai aimés en grandissant, ceux de Sidney Lumet et Martin Scorsese notamment, des études de personnages profondes que le cinéma américain ne produit plus aujourd'hui. Et je me suis dit qu'Hollywood pourrait s'y remettre, avec l'un de ces personnages de comic books, puis je me suis demandé qui serait le plus intéressant à traiter de cette façon et j'ai pensé au Joker, à cause du désordre et de l'anarchie qu'il représente.
Était-ce plus facile pour vous d'écrire une origin story de ce personnage, qui n'en a pas une officielle dans les comic books ?
Oui bien sûr, et c'est une autre des raisons pour lesquelles le Joker m'intéressait : il n'a jamais eu de vraie origin story. Il y a bien des choses dans les comic books qui font allusion à ses origines ["Killing Joke" d'Alan Moore et Brian Bolland notamment, ndlr], mais rien de définitif car il préfère voir son passé comme un choix multiple. Comme il n'y avait pas vraiment de règles, nous pouvions faire ce que nous voulions.
On n'embauche pas Joaquin pour lui demander de s'asseoir à tel endroit et dire sa réplique de telle façon
Le film semble clairement bâti autour de Joaquin Phoenix : était-ce déjà le cas à l'écriture, et comment sa présence a-t-elle fait évoluer le projet ?
Nous avons écrit pour Joaquin même si je ne le connaissais pas. Mais j'espérais que nous l'aurions et nous avons réussi. Et chaque film change, dans une certaine mesure, lorsqu'un acteur comme lui s'engage dessus. On n'embauche pas Joaquin pour lui demander de s'asseoir à tel endroit et dire sa réplique de telle façon : vous le faites pour qu'il apporte ce qu'il a à apporter et magnifie le matériau. Il y a beaucoup de changements qu'on lui doit qui ont fait la différence. Rien d'énorme, ce sont plus des petites choses.
Qu'avez-vous vu en lui qui correspondait à votre Joker ?
Comme tout le monde, j'ai vu ses films et je les aime. Mais je ressens quelque chose quand je le vois et je ne suis peut-être pas le seul : j'aime plaisanter en disant qu'il est un agent du chaos (rires) Il porte le chaos en lui. D'autres acteurs peuvent le jouer, mais il l'a naturellement en lui, donc la moitié de la bataille est déjà remportée si vous faites le Joker.
Et sa présence, avec ce naturel dont vous parlez, ont dû vous faciliter la tâche pour développer l'ambiguïté autour des raisons qui font qu'Arthur devient le Joker.
Tout est plus facile avec un acteur tel que lui. Je n'ai jamais rencontré, au cours de ma vie, une autre personne capable de s'emparer du matériau et de l'éléver de plusieurs façons. Quand il s'engage dans un rôle, il n'a pas d'égal.
Vous avez expliqué, pendant le Festival de Venise, avoir situé l'action dans les années 80 pour que le film ne soit pas lié aux actuelles productions DC Comics. Mais était-ce aussi une manière de faire référence aux longs métrages que vous aimez, et de faire un parallèle avec notre époque ?
Bien sûr. Je ne cherchais pas seulement à m'écarter de l'univers DC, je voulais aussi que l'on puisse croire qu'il aurait pu sortir pendant l'été 1979. Et même si l'histoire se déroule à la fin des années 70 - début des années 80, nous l'avons écrite en 2017 donc il était normal qu'elle renvoie à des choses qui se passent aujourd'hui, comme l'art le fait souvent en se présentant comme un miroir de la société.
"Joker", à voir en salles à partir du 9 octobre :