Rencontre avec le réalisateur américain Ira Sachs à l'occasion de la sortie en salles de Frankie, un drame mélancolique et émouvant emmené par Isabelle Huppert.
AlloCiné : L'aventure de "Frankie" débute par un e-mail, que vous a envoyée Isabelle Huppert...
Ira Sachs : C'est vrai, j'ai eu un e-mail d'Isabelle Huppert. J'ai cru que quelqu'un me faisait une blague car j'ai des livres sur elle, sa manière de jouer. Mais oui, elle m'a écrit, et nous avons commencé à discuter... Je n'aurais jamais fait un film avec Isabelle en France, je n'aurais jamais essayé de faire un film français. Mais je suis intéressé par les gens qui vivent une délocalisation. J'ai fait un film avec une actrice russe qui vit à Memphis, une actrice danoise qui vit à New York et un acteur vietnamien qui vit également à Memphis. Je suis donc intéressé par ce que ces personnes sont intimement et ce qu'elle représentent pour l'extérieur. Lorsque vous voyagez, vous êtes un étranger mais vous êtes également vous-même. Ca m'a donc paru très naturel d'écrire pour Isabelle et j'ai construit une histoire autour de la famille.
Comment vous est venue l'idée de "Frankie" ?
Il y a un film de Satyajit Ray qui s'appelle Kanchenjungha, réalisé en 1962, l'histoire d'une famille qui part en vacances dans l'Himalaya. J'ai vu le film il y a vingt ans, et je me suis toujours souvenu de sa structure qui se déroule sur un jour, du matin à l'après-midi, de l'effet que ça m'avait procuré. J'aime cette simplicité. Depuis des années, je pensais à cette forme. La question, pour moi, était : quelle crise traversent les personnages ? Qu'est-ce qui les fait se retrouver ?
J'essaie toujours de faire des films qui font écho à ce que je pense et ce que je ressens. Ces dernières années, j'ai été proche de trois personnes qui sont mortes, qui étaient malades. Et j'ai été surpris par ce que cette expérience n'était pas. Ce n'était pas une seule chose, elle n'était pas juste tragique, elle n'était pas juste triste, elle était aussi pathétique, mondaine, complètement oubliée... J'ai été intéressé, en tant qu'humain, par cette expérience, car j'ai tout de suite senti qu'il fallait que je me prépare à la perte.
SBS Distribution
Le film parle de la mort mais il est, paradoxalement, très vivant...
C'était un thème inconscient. Car finalement nous vivons jusqu'à ce que, soudainement, nous arrêtions de vivre. Vivant, ça veut dire qu'on est en vie, et la vie n'est jamais simple, non ? C'était également très important que le film soit tourné de jour, en extérieur, en couleur, et qu'il soit lumineux. Ce contraste est ce dont parle le film.
Et puis il y a ce personnage de Frankie, qui est très complexe. Elle est à la fois triste, drôle, mélancolique...
J'essaie en général de travailler davantage avec des personnes que des acteurs. Quand je travaille avec des gens, je tente généralement de voir ce qu'ils peuvent apporter de plus personnel. Je ne répète jamais, je tente d'avoir accès à l'expression la plus simple de qui ils sont. Frankie n'est pas Isabelle, mais elle a un peu de la chaleur, de la passion, de l'humour, de la gentillesse et du mystère qu'Isabelle a en elle. Isabelle est quelqu'un de très abordable. Je pense que son statut d'icône a sans doute caché son côté abordable. Le fait qu'Isabelle Huppert soit si humaine est ce qu'il y a de formidable chez elle.
Notre interview d'Isabelle Huppert pour "Frankie" :
