AlloCiné : Après les piranhas, vous vous attaquez à d'autres bestioles dans Crawl mais sur un registre plus sérieux et moins gore, qui relève plutôt du survival et du thriller. Pourquoi ?
Alexandre Aja : L'idée de Crawl était de revenir aux bases de mon cinéma, comme Haute Tension, La Colline a des yeux, un cinéma de peur. J'avais envie de retrouver ce sentiment de suspens et de tours de montagnes russes très fort. Je voulais voir des salles être figées sur leurs sièges, sursautées, ... Piranha 3D était ce truc énorme, une comédie gore très drôle à faire mais ce n'était pas un film de terreur. Pareil avec Horns. J'avais envie de revenir à ça, j'ai cherché et je suis tombé sur ce script. Je suis tombé amoureux de ce petit synopsis très simple d'une jeune femme qui doit sauver son père lors d'un ouragan catégorie 5 en Floride dans une zone inondée et infestée d'alligators. J'ai trouvé ça extrêmement efficace. Comment ne pas y avoir pensé avant ? Il y avait mon nom dessus, je devais le faire (rires). Mais dès le début, je savais que je ne voulais pas faire un film de monstre avec un alligator géant, radioactif, ... une histoire avec un alligator qui doit se venger. Je voulais rester au plus près du réel. Les alligators sont spectaculaires comme animaux. Ils ont une perfection dans leur manière de chasser, de tuer, dans leur évolution.
La crédibilité et la qualité des effets spéciaux ont été au coeur de l'aventure.
Et on est amené à les côtoyer bien plus qu'on ne le pense.
Oui, ils vivent vraiment à la porte de pleins de gens. Il y a plus de 5 millions d'alligators à l'état sauvage dans le sud des États-Unis, 1 alligator en liberté pour 10 habitants en Floride, ... Ces animaux, qui sont là depuis des millions d'années, se retrouvent de plus en plus dans nos habitations avec les tempêtes, le dérèglement climatique. Pour un réalisateur, c'est du pain béni si je peux dire, évidemment je ne me réjouis pas de cette situation mais faire un film plus réaliste permet de montrer tout ça. Quand on regarde Les Dents de la mer et qu'on a peur des requins, on reste sur la plage et tout va bien. Avec les crocodiles, si l'eau monte, ils rentrent chez vous.
Comment ont-ils d'ailleurs été conçus ?
Je voulais qu'ils soient les plus réalistes possible. Quand je vois les centaines d'heures de vidéos sur YouTube que l'on peut trouver d'alligators ou de crocodiles, la plupart d'entre eux ne sont pas très intéressants et sont calmes mais d'autres sont fulgurants dans leur attaque, dans leur brutalité. Je me suis basé sur ces clips-là pour baser mon animation. J'ai su très tôt qu'il fallait des créatures numériques car aucune animatronique ne peut reproduire la rapidité du mouvement. Contrairement à Piranha 3D qui pouvait se permettre d'être outrancier, il fallait être réaliste donc la crédibilité et la qualité des effets spéciaux ont été au coeur de l'aventure. On devait avoir le même niveau que celui atteint par des films comme Jurassic World. Et je ne voulais pas cacher les alligators, je voulais qu'on puisse les voir et les appréhender.
Vous aviez déjà tourné dans l'eau mais les conditions semblent ici plus contraignantes : le décor est exigu, il y fait sombre, il y a un raz-de-marée et une tempête... Comment avez-vous procédé ?
On ne pouvait pas tourner en Floride. Sept bassins ont été construits, le plus grand faisait 60m sur 80m et se remplissait jusqu'à 3m de haut. Tout est en fond bleu, il y a du vent et de la pluie. Chaque décor est contruit sur son propre bassin avec l'eau qui monte et détruit tout. L'expérience était dantesque mais ça a permis au film d'être vraiment immersif. On avait un accès pour la caméra qui se faisait par le haut grâce à une technocrane (une grue télescopique, NDLR). Même tout ce qui se passe dans le sous-bassement de la maison est construit sans toit pour que la caméra puisse circuler et on fermait le dessus quand c'était visible à l'écran. C'était le seul moyen d'avoir une fluidité de mouvements de caméra, de ne pas tomber dans une mise en scène statique à l'épaule, de pouvoir bouger autour des personnages et de créer la peur. Je ne voulais pas renoncer à mes ambitions.
Vous avez réécrit le scénario. Pourtant vous n'êtes pas crédité au générique.
Quand on lit les génériques de films américains, on devrait plutôt lire "le crédit du scénario attribué à...". Ça ne veut pas dire que seules les personnes créditées ont participé à l'écriture. Quand on est réalisateur et qu'on repasse sur un scénario aux Etats-Unis, il faut avoir réécrit plus de 50% du script et le prouver pour être crédité. Le script que j'avais reçu se passait entièrement dans le sous-bassement. Tout le reste a été réécrit mais ce n'était pas assez pour le syndicat des scénaristes. C'est un système assez injuste mais intéressant car on se rend compte que la plupart des réalisateurs qui ne sont pas crédités en tant que scénaristes ont quasiment tout le temps participé d'une manière ou d'une autre à une réécriture.
Alexandre Aja : avant Crawl, "il n'y a jamais eu Les Dents de la mer du film de crocodiles et d'alligators"J'imagine qu'on vous pose la question à chaque fois mais qu'en est-il de Cobra ? Peut-on garder l'espoir de voir un jour le projet se concrétiser ?
Je garde l'espoir car c'est un rêve d'enfant mais c'est compliqué. On a eu une chance à un moment, on est allé assez loin dans le développement du casting et du script. On a été très proche de pouvoir le faire mais c'était juste avant Les Gardiens de la Galaxie et la nouvelle trilogie Star Wars. Désormais, dans ce monde très compétitif où il y a beaucoup de space opera, d'exploration de ce genre-là, c'est très difficile de faire exister Cobra. Un film comme Valérian qui n'a pas très bien marché n'aide pas non plus. C'est difficile de dire aux Américains : "voici un personnage inconnu aux États-Unis qui peut marcher". Cobra, c'est énorme en France, au Japon, dans quelques pays mais c'est un film très cher que l'on ne peut pas financer uniquement ici. Quand on développait Cobra, au même moment, il y avait un projet d'adaptation de Cowboy Bebop qui a lui aussi traîné pendant longtemps et finalement il se fait chez Netflix. Donc il y a toujours une possibilité. Il suffit d'être prêt, on attend.
Vous qui êtes producteur en plus d'être réalisateur, que pensez-vous de Jason Blum ? Est-il un modèle à suivre ? Il a installé un système de production très rentable tout en produisant ce qu'on a tendance à appeler des "auteurs" comme Shyamalan (The Visit) et Jordan Peele (Get Out, Us).
Ce qu'a accompli Jason est spectaculaire. C'est très encourageant que des films d'aussi bonne qualité que The Visit ou Get Out sortent mais ça implique aussi de baisser les budgets et de forcer les réalisateurs à boucler des films en dix-huit ou vingt-trois jours. Parfois ça se voit, le résultat peut être un peu cheap, tout n'est pas réussi. J'ai eu la chance pendant quelques années de produire des films pour la Fox avec des enveloppes très réduites qui se déroulaient à l'étranger avec des histoires inspirées de la culture locale comme The Door et Pyramide. Ça nous permettait d'avoir une plus-value car les coûts de production étaient plus intéressants dans ces pays. J'aurais adoré continuer mais ça s'est arrêté. On peut faire des choses vraiment bien pour des petits budgets mais il faut trouver les bonnes histoires. J'ai l'impression que parfois chez Blumhouse, toutes les histoires passent par le même filtre de budget et ça se ressent à l'arrivée. Pour faire ce type de films, il faut des effets spéciaux et du temps de tournage. Le suspense et la tension, ce sont du découpage et des plans, ça coûte cher. Il faut un peu plus d'argent pour faire ce type de cinéma et le faire bien.
Alexandre Aja nous donne ses films préférés d'animaux-tueurs :