AlloCiné : Tout d’abord pouvez-vous clarifier le titre du film ?
Mike Flanagan (réalisateur) : Le film Doctor Sleep est tiré du roman homonyme de Stephen King. Il a écrit ce livre en 2013, et c’est la suite de son livre légendaire de 1977, The Shining. Comme dans le livre, nous nous penchons sur ce qu’est devenu Danny Torrance, le petit garçon de The Shining. Dans le film de Stanley Kubrick, Danny était joué par Danny Lloyd et ici nous avons choisi Ewan McGregor. Au début du film, comme du livre, nous faisons la connaissance d’un Danny totalement désemparé, totalement en proie à l’alcool et ayant totalement mis de côté ses "dons". La raison pour laquelle on l’appelle Doctor Sleep vient de son rôle de médecin accompagnant les personnes agées d’un hospice où il travaille, au moment où elles vont mourir : il utilise un soupcon de ses capacités pour calmer les malades sur le point de passer dans l’au-delà, de tomber dans le sommeil infini. C’est d’ailleurs fabuleux que Stephen King ait réussi à garder le surnom de "Doc" pour Danny qui avait déjà cette étiquette tout jeune car il adorait regarder les dessins animés de Bugs Bunny. On se souvient de la tirade du lapin de Warner Bros : "What’s up Doc ? / Quoi de neuf, Docteur ?". Danny a survécu aux évènements tragiques survenus pendant l’hiver passé à l’hôtel Overlook et où son père tomba dans la folie la plus totale. Tout le monde a forcément en tête le personnage hystérique de Jack Nicholson. Danny ne s’est jamais remis de ce traumastime infantile et c’est pour cela qu’au début de l'histoire, on le trouve dans un état d’abandon personnel complet. Il n’est plus que rage sous l’emprise de l’alcool.
Nous avons eu la bénédiction des héritiers de Kubrick et du maître Stephen King
Diriez-vous que "Doctor Sleep" est la suite du roman "Shining", du film de Kubrick... ou les deux ?
C’est clairement la suite du livre The Shining puisque Doctor Sleep est officiellement cette suite écrite par Stephen King. Mais ce film s’inscrit aussi dans l’univers cinématographique crée par Stanley Kubrick. Evidemment, il ne s’agit pas d’imiter et de copier Kubrick mais de rendre hommage à son génie et d’honorer celui de Stephen King. Mon plus gros défi a été de jongler entre l’héritage marquant de Kubrick et de
trouver une nouvelle voie pour continuer de donner vie à ces personnages mémorables. C'était un processus intimidant, mais parce que nous avons eu la bénédiction des héritiers de Kubrick et du maître Stephen King, j’ai réussi à surmonter l’angoisse initiale pour parvenir à mener à bien ce projet. Ce n'est pas simple de convaincre Stephen King car comme vous le savez, il n’était pas vraiment en accord avec les nombreuses libertés prises par Kubrick lorsqu’il a adapté The Shining. L’idée était donc de réconcilier le mieux possible le passé pour trouver une solution où il y a des références visuelles claires au film de Kubrick mais où nous sommes sans doute plus proche du livre Doctor Sleep. J’ai toujours été un fan
pur et dur de Stephen King depuis l’enfance. D’ailleurs, je me sens responsable de protéger l’oeuvre de King. Ce que d’autres ne font pas toujours... On voit bien parfois comment certaines adaptations de ses romans sont totalement ratées. Quant à Stanley Kubrick, il est ma plus grande inspiration cinématographique. J’ai donc eu une chance inouïe de mettre en scène Doctor Sleep.
L’idée était de réconcilier le mieux possible le passé pour trouver une solution où il y a des références visuelles claires au film de Kubrick mais où nous sommes sans doute plus proche du livre Doctor Sleep
Est-ce que Stephen King et les héritiers de Kubrick on vu la version finale de votre film ?
Oui ! Les deux moments où j’ai le plus tremblé, c'est lorsque j’ai soumis mon script à Stephen King et qu’il a approuvé, et le moment où je lui ai montré le film ainsi qu’aux héritiers de Kubrick. Et je n’ai eu en retour que des félicitations. Donc je suis soulagé… jusqu’à ce que le film soit vu par le public et les fans. Je suis tout d’abord un fan avant d’être un réalisateur. J’espère que le sentiment que j’éprouve sera largement partagé.
En voyant la bande annonce, on a l’impression que vous avez repris des séquences du film de Kubrick ?
Si vous avez cette impression, c’est que nous avons réussi notre coup. Non, en fait, dans la bande-annonce, il n’y a que la scène avec l’ascenseur noyé dans un océan de sang qui vient du film de Kubrick. Tous les autres moments qui semblent issus de Shining, nous les avons tournés nous-mêmes. Dans les moindre détails, nous avons réussi à recréer l’atmosphère et les visuels du maître Kubrick. Je pense que
même le cinéphile le plus passionné aura du mal à ne pas tomber dans le panneau et croira que la plupart de ces scènes viennent de Shining. Je tiens à souligner qu’en tant que geek, je me suis permis aussi de mettre dans Doctor Sleep un certain nombre de clins d'oeil et "easter eggs" en référence surtout à l’univers de Stephen King. Je ne désire pas encore en parler en détails, mais c’est vraiment un film de fans pour les fans.
C’est vraiment un film de fans pour les fans.
Malgré ces références, est-ce un film qui peut être vu sans avoir vu Shining ?
Absolument. Si vous avez vu Shining, je pense que vous aurez une expérience particulière. Mais même sans rien savoir du film de Kubrick, je suis certain que le public peut s’attacher aux personnages de Danny Torrance et de la petite fille dont il va devenir une sorte de mentor, Abra Stone campée par l’incroyable Kyliegh Curran. Cette actrice nous est tombée du ciel. Nous avons auditionné plus de 900 actrices avant de prendre notre décision. Kyliegh était une parfaite inconnue dont nous avions reçu un enregistrement filmé : nous avons été tellement impressionné que nous lui avons demandé de venir lire la scène sur le banc que vous voyez dans la bande-annonce aux côtés d’Ewan McGreggor / Danny. A la fin de son audition, Ewan nous a tout de suite dit qu’il pensait que c’était elle. Nous étions tous d’accord et c’est ainsi que Kyliegh a décroché le rôle. C’est une actrice d’une grande force intérieure et j’en suis certain : ce sera une star ! Une autre actrice qui nous également impressionné et que nous avons pris pour jouer le rôle de la "méchante", Rose The Hat, a été Rebecca Ferguson. Rose The Hat est la méchante la plus complexe, la plus diaboliquement charmante que King a crée depuis longtemps, et je pense que Rebecca l’interprète à la
perfection. Elle va vous envoûter et vous faire tomber dans son piège !
Doctor Sleep, c’est vraiment l’histoire du combat d’un homme avec lui-même, avec son addiction pour la violence et pour l’alcool
Parlez-nous du choix d’Ewan McGregor ?
La grande qualité d’Ewan c’est qu’il est plus humain que tous les humains. Le personnage de Danny est quelqu’un dont l’humanité a presque été totalement détruite et il lui faut apprendre à se reconstruire et à retrouver le goût de vivre. Ewan est totalement crédible, car il sait à la fois oser mettre en avant sa fragilité et son imperfection, mais en même temps il a une force qui déplace des montagnes. Au moment où il faudra que Danny affronte ses démons, Ewan sait puiser en lui l’intensité et la rage dont son personnage a besoin. Doctor Sleep, c’est vraiment l’histoire du combat d’un homme avec lui-même, avec son addiction pour la violence et pour l’alcool. De plus, en bonus, Ewan et l’homme le plus charmant avec lequel j’ai eu la chance de travailler. C'était vraiment un véritable plaisir de tourner ce film compliqué avec lui.
Vous allez vouloir à tout prix trouver la porte de sortie…sauf qu’il n’y en a pas.
Aujourd’hui la barre est haute pour faire peur au public : est-ce que vous pensez que ce film sera à la hauteur ?
Je n’ai jamais vu ce film comme un film d’horreur classique bourré de jump scares. Tout comme dans Shining il n’y a pas de jump scare. Tout comme dans Shining, on va vous étouffer petit à petit dans une ambiance totalement claustrophobique. C’est un film où la tension devient insupportable et donc effrayante ! Les nerfs sont à vifs et vous allez vouloir à tout prix trouver la porte de sortie…sauf qu’il n’y en a pas.
Est-ce que ce film vous touche personnellement ? Est-ce que vous avez été l’objet d’un traumatisme infantile ?
Surmonter les traumatismes de son enfance, les addictions que l’on peut avoir dans la vie est quelque chose d’important pour moi, et que l’on trouve au coeur de la plupart de mes films. Sans doute parce que je viens d’une famille irlandaise qui a souffert et souffre encore parfois des abus de l’acool. Je suis fier de confirmer que je n’ai pas bu une goutte d’alcool, ni fumé une cigarette, depuis plus de 9 mois. Mais c’est un combat pour moi tout comme le personnage de Danny. Ce qui est intéressant, c’est que lorsque Stephen King a écrit The Shining, il était lui-même sous l’influence extrême de substances destructives tandis qu’avec l’écriture de Doctor Sleep il était devenu totalement sobre. C’est donc une véritable histoire de rédemption. De par mon parcours, je peux totalement m’identifier à Doctor Sleep, c’est vraiment pour cela que j’ai choisi de réaliser cette adaptation.