La bonne approche
Quand Hollywood s’empare d’un sujet tel que la catastrophe de Tchernobyl, le plus souvent, elle sort l’artillerie lourde, les gros sentiments et mise tout sur le spectaculaire.
Avec l’explosion d’une centrale nucléaire, tout est réuni pour offrir des montagnes russes (sans mauvais jeu de mots) aux spectateurs : des sacrifices héroïques, de l’ingérence gouvernementale qui offre de quoi se révolter, un discours écologique pour éveiller les consciences, on voit déjà les violons se mettent en branle pour souligner le caractère hautement émotionnel de ceux qui ont offert leur vie pour minimiser l’accident. Bref, un vrai scénario de film catastrophe étalé sur cinq heures.
Craig Mazin, créateur et showrunner, a choisi un traitement à opposé, presque documentaire. Quand on se mesure à une histoire plus grande que la fiction, il faut savoir se laisser guider par celle-ci.
Chernobyl retrace ainsi les événements qui ont suivi l’explosion du réacteur n°4, montrant successivement chaque étape du processus : de la tentative de prévenir une future explosion au déblaiement des gravas hautement radioactifs sur le toit de la centrale, tout le travail des liquidateurs, ces hommes et femmes qui ont la charge de nettoyer les environs (en lavant les routes ou façades de bâtiments, en tuant les bêtes contaminées...)
Avançant de façon chronologique, on mesure ainsi la lourdeur d’un processus fragile, tu par un gouvernement plus intéressé par l’image que peut renvoyer la nation que par le fait d'offrir aux intervenants les moyens nécessaires pour effectuer correctement le travail.
Une bonne reconstitution
Craig Mazin l’affirmait dans plusieurs de ses entretiens, son écriture était motivée par un instinct quasi-obsessionnel de réalisme. Il fallait que tout paraisse vrai et authentique. Le showrunner aurait pu se prendre au piège de la reconstitution étouffante, mais son approche anti-spectaculaire des événements offre un bon allié à l’exercice.
Sur Twitter, un journaliste sportif russe, Slava Malamud, a félicité l’auteur pour l'acuité exceptionnelle de la série jusqu’au moindre détail, pardonnant ainsi le léger reproche d’avoir produit une fiction entièrement en langue anglaise (tout en valorisant la belle prononciation des noms soviétiques).
Le journaliste remarque aussi le caractère incroyable de cette minutie dans le détail face à une tendance nationaliste plutôt prompt au repli sur soi.
« Faites-moi confiance, j’ai vraiment essayé de trouver des choses inexactes, même mineures. The Americans, une série avec cette obsession quasi fétichiste de l’authenticité était pleine d’approximations plus ou moins importantes dans le but de rester dramatique. [...] Pas ici. »
Il faut dire que la production a mis toutes les chances de son côté en tournant en Lituanie (et quelques jours à Kiev) dans une centrale nucléaire déconditionnée construite à peu près à la même période que celle de Tchernobyl. En se fixant ainsi dans des décors réels, cela pousse à offrir un spectacle authentique.
La bonne durée
La croissance exponentielle de séries a favorisé l’émergence de mini-séries. Devant le temps incompressible des spectateurs, la formule courte permet ainsi un investissement en temps limité. Dans le cadre d’une oeuvre comme Chernobyl, c’est salvateur.
Craig Mazin trouve dans ces 5 heures matière à reconstituer les événements sans souffrir de longueurs ou de raccourcis. Des épisodes d’une heure permettent de proposer un spectacle dense, intense, au rythme le plus souvent contemplatif qui autorise cette incroyable pouvoir d'immersion.
Les bons acteurs et actrices
Le choix des acteurs fut aussi important, trouvant le juste milieu entre ressemblance physique et incarnation. A ce titre, le banc des trois accusés dans le dernier épisode comparé à l’une des photos présentes dans le générique final est bluffant de concordance.
Avec la même injonction que pour l’écriture, il s’agit ici d’être capable d’offrir une prestation juste tout en sachant s’effacer derrière l’histoire. Pas de place à la démonstration, au mimétisme ostentatoire, à la prestation de gala. Comme la série, les acteurs et actrices contiennent leur jeu, à l’image de ce que montre Chernobyl du peuple soviétique : rigoureux, taiseux et besogneux.
A ce titre, Jared Harris, Stellan Skarsgard et Emily Watson se montrent impériaux dans leur héroïsme stoïque ; Paul Ritter (Anatoly Dyatlov) vicieux dans son pathétique et despotique opportunisme tandis que Jessie Buckley joue (Lyudmilla Ignatenko) tout en subtilité sa tragédie personnelle. A côté, tout le monde oscille entre gueules cassées, mines patibulaires, présences animales et grands sacrifiés : une vraie réussite chorale.
Une bonne lecture de notre époque
Explorer le passé est souvent une opportunité de raconter le présent. Avec Chernobyl, Craig Mazin offre autant un plaidoyer sur les risques du nucléaire quand il est soumis à des dirigeants plus soucieux de faire des économies qu’assurer la sécurité, qu’explorer le fonctionnement de la communication gouvernementale quand il s’agit de minimiser les retombées de la catastrophe.
A travers l’URSS, c’est tout le système politique où prolifèrent fake news et désinformation afin de contrôler le storytelling qui est ainsi épinglé. Il met sur un plan similaire la gestion par le gouvernement de Mikhaïl Gorbatchev de la catastrophe de Tchernobyl et les campagnes mensongères d’un Donald Trump qui instrumentalise l’information pour palier la faiblesse de sa rhétorique.
On remarque également des archétypes modernes : Legasov (Jared Harris) en lanceur d’alerte réduit au silence par son propre pays (son suicide 2 ans après le jour de la catastrophe libèrera sa parole) ; le fait de donner un visage féminin (Emily Watson) à tous les scientifiques anonymes qui ont oeuvré pour contenir au maximum la catastrophe.
La série leur rend ainsi hommage, tout en mettant une femme en avant, chose impossible à l’époque bien qu’elles étaient très présentes dans le milieu scientifique et médical... mais pas à des postes à responsabilité - une réalité qui n’a pas beaucoup changé aujourd’hui.
Chernobyl offre une plongée rare dans les coulisses d’un désastre. Le dernier épisode, plus narratif que les autres, retrace les causes de l’accident où erreurs humaines et mauvaises décisions se succèdent, formant les conditions à la réaction en chaîne menant à la catastrophe. On suit, pas à pas, les manquements aux règles, les concours de circonstances et des facteurs parfois indépendants.
A priori, personne ne pouvait envisager qu’une telle chose se produise, parce qu’il était quasi impossible que toutes ces conditions soient réunies. Une succession de « et si… » qui montre que dans un système aussi fiable que possible, l’élément humain reste imprévisible.