Voilà trois ans désormais que A Plague Tale : Innocence s'est timidement dévoilé d'abord, sous la tutelle de l'éditeur français Focus Home Interactive, alors tombé sous le charme - et nous avec- avec ce qui n'était pour l'heure qu'un prototype en devenir. Depuis 2017, chaque année, le titre, développé sous les auspices du talentueux studio bordelais Asobo, se révélait toujours un peu plus, par petites touches. L'attente a pris fin le 14 mai dernier, avec la sortie du jeu.
Cruel conte ayant pour toile de fond un royaume de France ravagé par la peste noire en 1348, mais aussi par la guerre de cent ans laissant un pays exsangue, A Plague Tale : Innocence suit la douloureuse destinée d'un duo d'enfants issus de la noblesse. Amicia de Rune, 15 ans, et son jeune frère chétif Hugo, 5 ans, qui souffre d'un mal étrange. Jetés sur les routes d'un royaume à feu et à sang suite à un tragique incident, poursuivis par la toute puissante et impitoyable Inquisition, les deux enfants désormais livrés à eux-mêmes ne doivent compter que sur leur débrouillardise et leur ingéniosité -qui est le coeur du gameplay du titre- pour survivre. L'innocence de l'enfance donc, confrontée à un monde sans égard ni la moindre pitié pour elle, où les destins s'écrivent plus volontiers à coups de hache et de Saintes écritures.
Au-delà du contexte historique, déjà passionnant et rarement convoqué (en tout cas comme ici) dans un jeu vidéo, le récit des heurs et malheurs de ces enfants bénéficie d'une écriture ciselée, contribuant, au fur-et-à-mesure du déroulement de l'histoire, à donner toujours plus de chair à ses personnages, suscitant une vraie empathie à leur égard. Des personnages capables même d'être porteurs d'une charge émotive à fendre les pierres en deux. Un point fort à mettre au crédit du studio.
Mais il y a plus. Porté par une extraordinaire direction artistique souvent sidérante de beauté et de poésie, toujours d'une grande cohérence, cette direction artistique irrigue et nourrit largement la narration visuelle du jeu d'Asobo. Comme cette traversée d'un champ de bataille où les corps suppliciés jonchent le sol par centaines, tandis que les enfants semblent aspirés par la boue et ne parviennent à avancer qu'à grand peine. Ou cette vision d'Apocalypse d'une ville quasi intégralement vidée de ses habitants, massacrés dans les rues ou victimes de la peste. Et, bien entendu, ces visions cauchemardesques suscitées par ces immondes essaims de rats grouillants et sortant de partout, qui n'attendent que l'obscurité pour mieux fondre sur leurs proies. La dureté d'un monde et d'un univers que l'on osera qualifier en un sens de "réaliste", auquel s'opposent parfois, avec bonheur, des parenthèses enchantées et bucoliques, même éphémères, semblant tout droit sortir d'un tableau de Vermeer. Ces contrastes offrent ainsi régulièrement des séquences d'une rare puissance visuelle.
Déroulant son récit sur dix-sept chapitres, soit environ 12 à 15h de jeu, ce qui est déjà tout à fait correct même si l'on en aurait aimé davantage, nimbé d'une direction artistique qui pourrait largement tenir la dragée haute à des productions aux budgets dix fois supérieurs, bénéficiant d'une hypnotique et sublime bande originale du compositeur Olivier Derivière, qui signe peut-être ici sa plus belle partition, c'est peu dire que A Plague Tale : Innocence imprime durablement la rétine et le coeur du joueur. "Futur coup de coeur ?" avions-nous écrit lors de notre longue session de Preview du jeu, en février dernier. Oui, absolument. Un vrai coup de coeur pour un grand jeu, qui n'attend plus que vous.
Ci-dessous, la bande-annonce de lancement du jeu...