AlloCiné : Pourquoi avez-vous voulu adapter l'histoire folle de Fritz Honka ?
Fatih Akin : Parce que c'est fou et que je suis fou ! Non, Golden Glove est basé sur le roman de Heinz Strunk, qui vient lui aussi de Hambourg. J'ai été très ému par le livre, qui m'a beaucoup fait pensé à Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo. C'était remarquablement écrit et je me sentais défié, en le lisant. Je me disais : "Quelqu'un devrait faire un film adapté de ce roman, j'adorerais voir ça, mais je voudrais que ça respecte la manière dont c'est écrit. Qui pourrait le faire ? Est-ce que je pourrais ?" C'était ce qui me plaisait dans ce film, le challenge ! C'était une super expérience, très importante pour moi.
Et ça se passe à Hambourg, chez vous.
Je me suis dit : "Ca se passe à Hambourg alors que je viens de Hambourg et que je vis à Hambourg, ça se passe dans mon quartier - car ce serial killer vivait dans mon quartier -, alors je pourrai être plus précis en faisant ce film que n'importe qui d'autre en Allemagne."
Il y avait une sorte de mythologie autour de Fritz Honka quand vous étiez petit ?
Oui, c'était le Boogeyman de notre quartier ! Du coup, dans un sens, il s'agissait pour moi de faire un film sur le croque-mitaine, de m'y confronter ! C'était une vraie raison pour moi de le faire, d'affronter mes propres peurs.
Le film est aussi un instantané de l'Allemagne des années 1970, vingt-cinq ans après la guerre.
Oui, je voulais décrire cette génération post-Seconde Guerre mondiale, les gens qui avaient survécu à cette guerre tout en étant traumatisés. Dans le monde, les gens ont le sentiment que les Allemands ont affronté leur propre histoire, qu'ils ont opéré une véritable réflexion sur la guerre et le génocide perpétré par les nazis, mais ce n'est pas vrai. Les médias l'ont fait, une partie des élites intellectuelles aussi, mais les classes ouvrières, les gens plus simples d'esprit ou ceux qui vivaient dans les rues, eux ne l'ont pas fait. Ils étaient traumatisés et ce film est un moyen de montrer cette frange de la société qui n'a pas réfléchi et qui a fait comme si rien ne s'était passé en y étant totalement encouragée par le gouvernement : "Tais-toi et bois. Tiens, de l'alcool, ce n'est pas si cher, saoûle-toi et si tu souffres encore, bois un peu plus."
A la fin du film, on se rend compte que les lieux sont quasiment identiques à ceux du film et que les personnages ressemblent beaucoup aux vrais protagonistes. Vous avez fait beaucoup de recherches ?
Un peu, mais pas tant que cela, car c'est un monde que je connaissais. Je connaissais ce bar, j'y traînais quand j'étais jeune, je connaissais les caractères, les types de gens que j'y voyais. J'avais juste à les transposer et à les imaginer avant internet, juste après la guerre. Bien sûr, c'est différent aujourd'hui, en raison de la mondialisation, du fait qu'on vit à l'âge de l'information, ce qui n'était pas le cas à l'époque, mais il reste tout de même des choses qui sont très similaires.
Vous jouez beaucoup avec les codes du genre, les jump scares, par exemple, qui sont presque des moments de respiration dans votre film.
Bien sûr, je voulais déjouer les codes. J'aime beaucoup les films d'horreur. Aujourd'hui, on a les services de streaming qui niquent le cinéma (sic), même si je n'en suis pas encore tout à fait sûr, c'est quelque chose que j'analyse encore. Le seul cinéma qui ne perd pas d'audience malgré les plateformes, c'est le cinéma d'horreur. Même des films plus auteurisants, comme Get Out, Hérédité ou Mister Babadook. C'est intéressant de se dire que ce genre fonctionne encore au cinéma. Et moi, j'ai envie de continuer à faire du cinéma, je n'ai pas envie de me tourner vers les plateformes, même si un jour ça arrivera certainement.
C'est pour ça que vous vous tournez vers le genre ?
C'est pour ça que j'expérimente avec le genre. Quand je vais au cinéma et que je vais voir ce genre de films, c'est toujours une expérience physique, ce qui n'est pas vraiment possible avec les plateformes. J'avais vraiment envie de faire quelque chose de vraiment proche de ça, quelque chose de très plastique et physique. Et c'est une forme de cinéma vraiment divertissante. Souvent, je regarde des films et c'est du travail, il y a un travail intellectuel. Si je vais voir un film de Nuri Bilge Ceylan, par exemple, je vais réfléchir devant le film. Quand je vois un film de genre, c'est différents, j'essaie quand même de l'analyser, mais c'est une expérience simple. En littérature, je dois lire L'Odyssée, car ça fait partie de notre héritage et du patrimoine mondiale, mais c'est du travail, alors que si je lis Stephen King, c'est juste facile.
Quel est votre premier souvenir de spectateurs ?
Mon père nous avait emmené voir un film de Disney, Le Livre de la jungle. C'est un beau souvenir, c'était impressionnant et très fort.
Qui sont vos maîtres ?
Ils changent constamment, chaque jour. Je dirais qu'aujourd'hui, mon maître, c'est ma psy !
La bande-annonce de Golden Glove :