AlloCiné : Comment vous est venue l'idée de faire un film sur le bodybuilding féminin ?
Elsa Amiel, réalisatrice de Pearl : Quand je cherchais un sujet pour mon premier film, j'avais envie de poursuivre un sujet que j'avais déjà questionné dans mes premiers courts métrages qui étaient sur la question du corps et la représentation du corps. Il se trouve que par un heureux hasard j'ai vu une exposition de Martin Schoeller qui a photographié pas mal de célébrités et de gens de la politique. Il avait fait une série sur les bodybuildeuses. J'ai été interpellée par ces photos : il y avait un mélange de répulsion et de fascination. Il y avait évidemment le contraste entre ce corps démesuré et l'ultra féminité de ces femmes. Cela posait la question du genre, du souvenir du corps qu'elles avaient eu, la réalité de ce corps… Je me suis dit que j'allais aller voir du côté du bodybuilding.
Je n'avais jamais assisté à une compétition. Moi même je n'avais jamais fait de musculation. Je crois que j'avais un regard un peu comme tout le monde, très extérieur et plein de préjugés sur ce monde, c'est à dire que je ne connaissais que les images des athlètes sur scène, sourires figés, muscles bandés. En allant à ma première compétition, je dois dire que j'ai été tout de suite happée par le monde et je sentais que ça m'inspirait, que c'était extrêmement riche.
Je me questionnais même pour savoir pourquoi le monde du cinéma ne s'en était pas plus emparé. C'était un terrain plutôt vierge. Il n'y avait jamais eu d'héroïne bodybuildeuse. C'était très clair que je voulais travailler autour d'un personnage féminin, de questionner des formes de la féminité. Là c'était le royaume idéal pour inventer une histoire et créer de la fiction.
Est ce que vous diriez que c'est très différent quand on est une femme dans le milieu du bodybuilding ?
Je crois que c'est toujours très différent d'être une femme ou d'être un homme. On est perçu évidemment différemment aussi. Les hommes se fabriquent ce corps et quelque part ça répond à ce qu'on attend d'un homme. Ces corps démesurés représentent la force, la puissance… Ce ne sont pas forcément des noms qui s'approprient aux femmes, en tout cas, pas d'emblée. Aux femmes, on leur demande d'être belles, féminines. Là ça ne répond à aucun canon de la beauté, à aucune injonction de la société. Évidemment elles ont un double combat.
Pour elles, c'est leur façon de vivre la féminité mais elles sont difficilement perçues comme ça, parce que même les fédérations de bodybuilding ont arrêté le bodybuilding féminin sous prétexte que ça donnait une mauvaise image de la femme. Après avoir joui de leur liberté de faire ce qu'elles voulaient de leur corps, tout d'un coup, on remet tout le monde dans des « cases » : les hommes peuvent être forts et les femmes doivent être belles donc répondre aux canons de beauté et de féminité.
Comment avez-vous trouvé l'athlète Julia Föry (voir notre interview vidéo ci-dessus) et vous êtes-vous inspirée d'elle dans la vraie vie pour votre scénario ?
J'ai rencontré Julia deux ans avant le tournage. Elle faisait déjà de la compétition mais à l'époque elle était coach. Elle accompagnait des athlètes à une compétition. Les corps changent énormément selon que vous êtes en compétition ou pas en compétition
J'avais discuté avec elle car je cherchais désespérément mon héroïne. J'avais rencontré déjà beaucoup de monde. Elle m'avait plu. Elle avait quelque chose de très joyeux et un magnifique sourire. Et elle était très à part, un peu rock’n’roll. Quand on était prêts à tourner, je l'ai rappelée, je l'ai fait venir en casting, on a discuté. J'ai été séduite par sa sensibilité, sa fragilité, sa féminité. En deux ans, son corps avait beaucoup évolué, elle avait pris de la masse, elle était très impressionnante. Et puis je sentais qu'elle était partante pour faire le film.
Quand je lui ai raconté l'histoire, elle m'a dit : mais en fait, Pearl, c'est moi. C'était comme une réflexion d'actrice : ce rôle, c'est pour moi ! Elle l'a fait avec beaucoup de générosité, et surtout, on a beaucoup parlé pour la préparation. En la connaissant un peu, je voyais qu'effectivement, Lea Pearl était très proche d'elle, donc c'était à la fois très écrit, mais en même temps, elle a nourri tout le temps le personnage. Je n'allais pas l'amener sur un terrain où elle ne se serait pas sentie à l'aise. L'important, c'était justement de garder sa part de vérité, capter ces instants de vérité, ces instants de fragilité, et en même temps, de ne pas lâcher le personnage.
Comment s'est passé le tournage ? Vous disiez que la masse peut changer rapidement. Y a-t-il eu une organisation particulière pour qu'elle puisse continuer à s’entraîner ?
On a mis un petit temps à bien se caler avec Julia parce que personne ne peut complètement mesurer ce que veut dire travailler avec une athlète de ce niveau. Au départ, on s'est dit qu'elle allait se plier à l'organisation d'un tournage, arriver le matin, se faire maquiller, aller sur le plateau, coupure déjeuner… Ça n'a pas marché longtemps comme ça.
On a dû évidemment se plier à ses besoins, soit 6 heures d’entraînement par jour pendant le tournage. Donc on a mis en place un système qui lui permettait d'aller s'entraîner le matin avant la préparation. Ensuite on faisait une très longue coupure et on tournait des plans sans elle. On se débrouillait pour faire des plans de coupe, créer de nouvelles séquences. Elle allait s’entraîner 3 heures, elle revenait et elle se re-préparait. On tournait et elle repartait s’entraîner en fin de journée.
On avait organisé le tournage en fonction des périodes où elle devait s'assécher et intensifier l’entraînement. C'était primordial de respecter son entraînement. Le bodybuilding, c'est sa vie. Il ne fallait pas qu'elle perde les mois d’entraînement, de sacrifice qu'elle avait fait avant le tournage.
Il y a une approche documentaire avec toutes les recherches que vous avez fait et cette recherche avec elle, mais il y a aussi une approche qui n’est pas du tout naturaliste dans la façon dont vous avez filmé.
Je n'ai jamais pensé au documentaire pour ce film. La fiction est mon langage. La seule part documentaire, de vérité, c'est effectivement de travailler avec une athlète qui est Julia, et aussi toute la figuration qui sont de vrais athlètes, se baser sur ce qu'ils sont.
C'était important pour moi aussi de créer un univers complètement à part. Le monde du bodybuilding est souvent représenté de façon amateur, un peu glauque même, je dirai. Parce qu'en Europe, ce n'est pas comme les Etats-Unis, il n'y a pas le même marché autour du bodybuilding. Je trouvais ça important de donner de la grandeur à cet événement. Viser le « bigger than life » : on y va, on est plus fort, on est plus beau. On en fait quelque chose de sérieux.
Ce qui m'intéressait, c'était de parler de l'intime. Qu'y a-t-il derrière ce résultat ? Qu'est ce qui est à l'oeuvre sous ce corps ? Par quoi passe-t-on ? La souffrance, le sacrifice… J'y ai vu un monde assez sombre en fait. Pas le spectacle, le côté un peu léger. J'y ai vu quelque chose de plus profond, que j'avais envie de questionner. On est constamment dans la représentation mais ça pose des questions d'auto-création, de maîtrise de soi, de souffrance, de jouissance, de solitude, de mélancolie… Allons voir ce qu'il se passe en coulisses plutôt que sur scène.
Avez-vous envisagé au départ, comme cela avait d'ailleurs été envisagé pour le film Bodybuilder de Roschdy Zem, de faire appel à une actrice qui se lancerait dans le bodybuilding ?
Mes producteurs et tous les gens qui financent le film auraient adoré que je pense à une actrice pour faire le rôle ; avoir un nom au casting. Mais en même temps, on était très lucide sur la question. C’était aussi évident que c’était une partie intégrante du projet d’avoir une réelle athlète, d’abord parce que évidemment aucune actrice ne peut atteindre ce niveau. Ce sont des années de travail pour le résultat que vous voyez sur Julia. C’est une grande souffrance, c’est une diète très dure, et ce sont quand même des résultats qui sont irréversibles. A moins qu’une actrice veuille vraiment changer de carrière et était avec nous dès le début du projet, pourquoi pas. Mais ce qui m’intéressait aussi, c’est qu’une athlète amène sa part de vérité. Donc ça a vite été écarté ; ce n’était pas ça, le film.
La bande-annonce de Pearl :
Propos recueillis à Paris le 22 janvier 2019