A tout juste 42 ans, le réalisateur David Roux fait pourtant figure de jeune premier dans le monde du cinéma. Après avoir notamment été une quinzaine d'année journaliste de théâtre puis signé deux courts-métrages, il a finalement franchi le cap de la réalisation de son premier long métrage avec L'ordre des médecins, en salle ce mercredi.
Porté par un casting formidable de justesse, dont le trio Jérémie Renier, Zita Hanrot et Marthe Keller, ce drame à la fois sobre et poignant déroule la vie de Simon (Jérémie Renier), 37 ans, pneumologue en milieu hospitalier, qui a consacré sa vie à cet univers chronophage. Côtoyant la maladie et la mort tous les jours dans son service de pneumologie, il a logiquement appris à s’en protéger. Mais quand sa mère est hospitalisée dans une unité voisine, la frontière entre l’intime et le professionnel se brouille. L’univers de Simon, ses certitudes et ses convictions vacillent...
Ci-dessous, la bande-annonce du film...
A une semaine de la sortie de son film, nous avons eu l'occasion de longuement nous entretenir avec David Roux. Rencontre avec un homme volubile, passionné et chaleureux.
AlloCiné : Commençons par parler de vous. En faisant un racccourci très lapidaire, comment passe-t-on du métier de journaliste de théâtre pendant 15 ans à la réalisation d'un premier film ?
David Roux : Lorsque j'étais étudiant, j'ai été avec un ami ouvreur dans un théâtre. Avec lui et quelques amis, on avait créé un magasine gratuit qui était alors distribué dans les théâtres parisiens. On a fait ça pendant 15 ans. Cette idée de faire un jour du cinéma est venue s'ancrer progressivement, car pendant longtemps, l'univers du cinéma était pour moi quelque chose d'inenvisageable. J'ai aussi travaillé durant quelques années dans une société qui fait du conseil en développement de scénario qui s'appelle Initiative Film, et qui a été une très belle expérience. C'est là que j'ai logiquement rencontré des gens de ce milieu, ce qui a eu pour effet d'un peu désacraliser cet univers.
Par la suite, j'ai réalisé deux courts métrages, ce qui du reste n'a pas été si simple. Le premier autoproduit, qui est d'ailleurs longtemps resté dans un tiroir. Il m'a quand même permis de pouvoir en faire un autre. Certains projets n'ont aussi pas aboutis, et de toute façon, je ne pouvais pas y consacrer tout mon temps, vu que je faisais un métier à côté. Le théâtre et le cinéma sont deux mondes poreux. J'ai passé beaucoup de temps à interviewer des comédiens, des metteurs en scène et des auteurs de théâtre, sans compter que j'ai aussi commencé à publier dans le magasine de petites critiques de films, prétexte pour aller en projection de presse et voir des films. En 2014, j'ai eu la chance d'être pris dans l'atelier scénario de la Femis. C'est une formation continue destinée aux personnes qui ont dépassé la limite d'âge pour se présenter au concours d'entrée de l'école. C'était formidable ! On est encadré et guidé pour développer un projet, tout ça sur une année, qui est du coup très dense. Cette expérience a été décisive pour moi. Sans elle, je pense que je n'aurai jamais réussi à écrire mon premier film.
Et en ce qui concerne l'aspect pratique et purement technique de votre apprentissage, c'est aussi passé par cette formation ou vous avez appris sur le tas ?
Ce n'est pas passé par cette formation. En 2016, j'ai eu la chance de faire Emergence, qui est une résidence cinéma qui m'a permis de travailler sur la mise en scène. C'est une formation plus courte, et aussi très identifiée par la profession, qui donne chaque année à 6 jeunes réalisateurs qui ont un projet de premier long métrage la possibilité de tourner dans des conditions professionnelles deux séquences du film à venir. C'était passionnant à fabriquer, notamment avec des acteurs qui pouvaient être ceux du film que l'on aspire à faire, et ca sert aussi de carte de visite par exemple pour des décideurs financiers qui peuvent aider à faire le film. Il n'empêche. Lorsque vous arrivez sur le plateau de cinéma de votre tout premier film, vous êtes celui qui a le moins d'expérience. Je peux vous dire que ca rend très humble !
Justement, en préparant notre entretien, je suis tombé sur une interview de vous faite par Télérama, lors de la présentation de votre film au Festival du film de Locarno l'an dernier. Vous disiez, je cite : "j'ai du mal à dire que je suis réalisateur, et à le penser !". Ca veut dire quoi ? Que vous ne vous sentiez pas encore légitime dans ce milieu ? Est-ce toujours le cas ?
En fait, ce n'est plus tellement une question de légitimité. J'ai toujours l'impression d'être un imposteur, quoi que je fasse. Je dis "je vais faire telle ou telle chose", avant de savoir la faire ! Cela dit, je n'ai jamais réussi à dire que j'étais journaliste alors que j'ai fait ce métier là pendant 15 ans ! J'ai réussi à faire un film, et j'espère bien en faire d'autres. Mais est-ce que je saurai faire ? Je ne sais pas. On verra !
Vous venez d'une famille de médecins. Avec le sujet de votre film et plus largement sa toile de fond, on se demande quelle est la part personnelle voire autobiographique de votre oeuvre ?
Elle n'est pas vraiment autobiographique, disons plutôt personnelle. Elle est assez décisive, à plusieurs titres. Je connais le milieu hospitalier depuis que je suis tout petit, lorsque j'allais voir mes parents qui exercaient à l'hôpital. Pour moi c'est resté très longtemps un lieu assez joyeux, même chaleureux. Ce qui a été très décisif aussi dans la réalisation de ce film, c'est que j'ai perdu ma mère en 2012. De mes observations de ce moment là sont nées beaucoup de réflexions qui ont donné leurs directions au film. Je voyais par exemple comment mon frère aîné, qui est pneumologue en soins intensifs en milieu hospitalier, était touché intimement par la maladie de ma mère et la perspective de sa mort; comment ca l'affectait d'un point de vue professionnel.
Au tout début, je voulais faire un film très chronique et très quotidien sur l'hôpital, avec les enjeux qui s'y jouent comme la maladie, la mort, les soins palliatifs, ect... Au début de l'écriture de mon film, je suis allé suivre mon frère dans son service, notamment pour me documenter. Dans le cadre de l'atelier scénario de la Femis, le projet du film a ainsi évolué. J'ai admis que le coeur du film devait avant tout être la relation entre un fils et sa mère malade. Il fallait trouver des éléments de dramaturgie. L'écriture a été très libératrice pour moi, car elle m'a permis de convoquer effectivement des épisodes très personnels.
J'ai toujours l'impression d'être un imposteur, quoi que je fasse.
Par exemple ?
Il y en a beaucoup. Par exemple lorsque ma mère est arrivée, assez mal en point, au service de réanimation, elle a réussi à faire venir la chorale Yiddish dans laquelle elle chantait. C'était quelque chose qu'elle adorait. Normalement dans une chambre de réanimation, c'est ultra réglementé. Une seule personne rentre à la fois, avec une blouse, un masque, des gants... J'avais trouvé ce moment formidable, et ca s'est retrouvé dans le film.
C'est une des scènes fortes du film, très émouvante aussi...
Je trouve aussi ! C'est d'ailleurs le moment qui lance le film vers un peu plus d'émotion, car jusque-là, le personnage joué par Jérémie Renier n'est pas encore prêt à admettre la situation et opérer cette bascule.
Je reviens à l'écriture de votre film. C'était difficile de maintenir justement cette ligne de crête, cet équilibre, entre les éléments qui relèvent de votre vie et de votre affect, et ceux qui relèvent de la pure fiction ?
Ce n'était effectivement pas un exercice facile. Cela dit, c'était aussi un exercice assez joyeux. Je me disais justement que j'allais faire quelque chose de tout ça, que ca n'allait pas me rester sur les bras. Il fallait que tout soit gouverné par les besoins de la fiction. Par exemple, un vrai contrepied de la fiction par rapport à la réalité, c'est le personnage du père, qui est assez hagard et dans un déni de la réalité assez complet. J'avais besoin de ça pour poser les enjeux et faire porter la responsabilité sur les épaules du personnages de Simon. Dans la réalité, mon père était médecin, avait 20 ans de plus que ma mère et avait même été son professeur à la faculté de médecine, tout comme il le fut pour mon frère ! Du coup il connaissait tout les tenants et aboutissants de la maladie de ma mère. Mais ca n'en faisait pas moins une expérience terrifiante et douloureuse pour lui.
Il y a très peu de séquences situées à l'extérieur de l'hôpital dans votre film, et elle sont souvent courtes. Pourquoi ce choix ?
Ca, c'était les idées très théoriques du début du projet. Il y avait d'emblée l'idée de faire un huis-clos en milieu hospitalier. Je crois que c'est un univers qui peut très facilement tout engloutir. L'hôpital, c'est un monde à part entière. A un moment donné, je l'ai même imaginé presque comme un corps. D'ailleurs, ce n'est pas pour rien que l'on parle du "corps médical". Dans cette idée de huis-clos, on explorait tous les recoins ou presque de l'hôpital, jusqu'aux sous-sols. Il y a plein de choses à raconter. Cet univers là, particulièrement vorace et chronophage, c'est celui de Simon. Le reste existe très peu, parce qu'il a tout investi là-dedans. Cette forme de huis clos avait aussi la forme d'une contrainte, et ca c'est bien !
Une chose qui m'intrigue et que j'ai découverte, c'est qu'à l'origine, c'était le personnage d'Agathe, joué par Zita Hanrot, qui était le personnage principal. Pourquoi ce changement ?
C'était effectivement le cas dans les tous premiers traitements du film. Mais à ce moment là, je crois que je n'avais pas encore tout à fait admis que ce serait un film sur la mort de ma mère. Le personnage d'Agathe a hérité d'un statut un peu particulier. Même si on la voit assez peu de temps en temps, au point d'avoir parfois l'impression de la perdre, dès qu'elle ressurgit, c'est comme si elle n'avait jamais quitté l'écran; elle a continué d'exister. Ce personnage, celui de la mère et celui de la soeur sont trois personnes puissantes dans l'univers de Simon. Ce sont vraiment elles qui le font bouger, de façons différentes et sur des registres très différents. Elles sont décisives pour lui. A leurs façons, elles sont toutes des personnages principaux.
Puisqu'on parle du casting, comment justement vous est venu l'idée de proposer le rôle à Jérémie Rénier ?
J'ai d'abord commencé par caster Jérémie Rénier, moi qui suis biberonné notamment aux Palmes d'or des frères Dardenne. Pour moi, le choix de Jérémie relevait de l'évidence; il figurait d'ailleurs dans les 2-3 noms en haut de la liste. Lorsqu'on réfléchissait au casting est sorti le film Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore, dans lequel il m'avait beaucoup impressionné, d'autant que Jérémie était dans un registre très proche de ce que je recherchais. Soit un personnage qui endosse une responsabilité trop grande pour lui, jusqu'au moment où il ne peut plus la supporter et craque. Après avoir vu ce film, j'ai appelé ma productrice, Candice Zaccagnino, en lui disant que je voulais Jérémie pour le rôle. On a envoyé à son agent le scénario, après quoi les choses ont été très rapides. Son engagement sur le film a été très décisif, parce qu'à ce moment là, on n'avait même pas de distributeur.
Et pour Zita Hanrot ainsi que Marthe Keller ?
Pour Zita, les choses étaient un peu différentes, puisqu'il se trouve qu'elle est la cousine de la femme de mon frère médecin ! Je crois que j'ai commencé à lui parler de mon film alors que Fatima n'était pas encore sorti, et donc qu'elle n'avait pas encore eu son César. Pour bien la connaître dans la vie, je savais qu'elle aurait ce côté très volontaire, franc, très frontal même, de son personnage. Quant à Marthe Keller, c'est le personnage qu'on a trouvé en dernier. Je me disais que ce rôle n'était pas franchement un cadeau, c'est compliqué de jouer quelqu'un qui va mourir. Je cherchais quelqu'un capable de donner cette lumière, ce côté très chaleureux, simple aussi. Par contraste avec le sujet, le tournage a été incroyablement drôle et joyeux.
L'univers médical est, au-delà de sa brûlante actualité, particulièrement exploré et prisé dans la fiction, depuis un moment. On peut citer le documentaire de Nicolas Philibert sorti l'an dernier, De chaque instant; Les oeuvres évidemment de Thomas Lilti, "Première année", "Médecin de campagne" dont il a écrit le scénario, le film "Hippocrate" qui a été adapté en série et qui a cartonné sur Canal +, ect... A quoi cet engouement est dû selon vous ?
Question difficile, je n'ai pas de réponse toute faite ! (Il réfléchit) Je crois qu'on a tous peur de la maladie et de la mort. Certains ont sans doute moins que d'autres peur de l'hôpital, mais ca reste un environnement anxiogène. Je pense que toutes ces fictions ont quelque chose de cathartique. Ce que les productions montrent maintenant, c'est que les médecins ne sont plus des héros supérieurs comme cela pouvait l'être à une époque, mais sont au contraire montrés comme des hommes et des femmes faillibles et vulnérables. Ca a un côté rassurant.