AlloCiné: C'est étonnant de vous voir à la mise en scène d'un film de braquage - bien que ce ne soit pas un film de braquage conventionnel. Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire ce film ?
Steve McQueen: Je ne prends jamais le chemin le plus facile. J'envisage chaque film comme une ascension de l'Everest. Si il y a des chemins simples et d'autres compliqués, je vais instinctivement vers le plus difficile. Pour moi c'était important de raconter cette histoire et que les gens aillent voir ce film parce que ce n'est en effet, pas simplement un film de braquage. Les Veuves mélange film d'action, thriller politique et drame. Je crois qu'il faut proposer aux spectateurs des films exigeants et pas seulement du grand spectacle. Quand vous êtes un artiste il ne faut pas hésiter à vous lancer sur des projets qui vous paraissent insurmontable, c'est ce qui va vous permettre d'évoluer.
Le film est adapté de la mini-série britannique Widows, que vous regardiez étant adolescent. Dans une interview accordée à Flickering Myth vous dites que ce show résonnait beaucoup en vous à l'époque, pouvez-vous m'en dire plus ?
J'ai découvert la série de Lynda La plante quand j'avais 13 ans et je m'y suis tout de suite identifié. Avant ça je regardais James Bond avec Sean Connery et Tarzan avec Johnny Weissmuller, et pour la première fois, je voyais un programme dont les stars étaient des femmes. Les 4 héroïnes de la série sont jugées incapables par leurs paires, pourtant elles réussissent à atteindre leur but et je trouvais cela vraiment excitant. C'est la première fois que je me sentais vraiment proche des héros d'une série ou d'un film, parce qu'en tant que jeune noir élevé à Londres, j'ai moi-même subi les jugements de mes paires en grandissant. Cette histoire a longtemps résonné en moi.
"J'ai choisi des actrices qui ne sont pas l'archétype de la femme hollywoodienne"
Dans le film (et dans la bande-annonce), Viola Davis dit "personne ne s'imagine qu'on va avoir les 'couilles' d'aller jusqu'au bout". C'est très représentatif de l'image que l'industrie hollywoodienne se fait des femmes. Dans les films d'action on les sous-estime encore trop souvent. Ce film prouve qu'elles ont leur place dans les thrillers et pas seulement pour incarner le faire-valoir du héros. C'est ce que vous souhaitiez montrer ?
Vous êtes une femme, vous savez donc de quoi je parle et j'imagine que c'est ce que vous vivez au quotidien. Etre sous-estimée, passons, au final on s'en fiche. Mais que les gens continuent de projeter des clichés sur toute une partie de la population est dingue. Je voulais faire un film qui rende aux femmes leur liberté. Qu'elles soient libres d'être ce qu'elles sont, même dans leur apparence. J'ai choisi des actrices qui ne sont pas l'archétype de la femme hollywoodienne. Elles sont sexy mais pas de la manière dont la plupart des hommes l'entend. Pour ma part je les trouve sublimes et je ne suis pas le seul.
Elles le sont !
Pensez-vous que grâce au mouvement #MeToo et aux discussions qui en ont découlées, le public est désormais plus conscient de certaines problématiques et qu'il est prêt à voir plus de films portés par des femmes qui ne répondent pas à l'archétype hollywoodien?
En effet je pense que pour la première fois le public a pris conscience de ces problèmes, mais est-ce que ça va changer les choses ? Je ne le crois pas. A cause de l'organisation du pouvoir, rien ne changera. Pourquoi les puissants – qui sont des hommes – voudraient partager le pouvoir ? Je crois que c'est à nous de contrôler cela, en tant qu'artiste il faut être vigilent, c'est comme le racisme. Nous nous devons de faire attention à ce que nous véhiculons dans nos oeuvres.
Les Veuves s'ouvre sur une scène de baiser entre Viola Davis et Liam Neeson. C'est la première fois qu'on voit une telle scène au cinéma entre une femme noire et une homme blanc de 50 ans. Même Viola Davis a été surprise en lisant le scénario. Pouvez-vous nous parler de cette scène et de votre volonté de débuter le film par ce baiser ?
Vous avez raison, ça n'a jamais été fait avant. J'ai insisté pour que cette scène dure un certain temps, et ce n'est pas un baiser des plus soft, je voulais qu'on voit les langues. C'est une scène forte qui marque les esprits. Les premières minutes d'un film sont primordiales, c'est ce que le spectateur gardera en mémoire, un peu comme quand vous débutez une conversation avec un inconnu. Et je souhaitais qu'ils gardent ça en mémoire.
Vous, Barry Jenkins, Jordan Peele, Ava Duvernay, Ryan Coogler... Pensez-vous que les choses commencent à bouger à Hollywood pour les réalisateurs noirs ?
Pensez-vous que ça va changer si ce film fait de l'argent ? C'est le rôle des studios : faire rentrer de l'argent. Si nos films sont rentables, les prochains seront financés. Il n'y a pas de charité à Hollywood. Il faut simplement être sûrs de terminer ce que vous entreprenez dans les temps.
La bande-annonce des Veuves