This is us a bâti sa réussite et son succès sur le mariage entre des histoires simples et familières et une narration non linéaire et programmatique. D’un côté, des personnages proches des spectateurs ; de l’autre des auteurs qui décomposent et recomposent leur récit, comme un immense puzzle. En demeurant sur une tonalité très modeste, évitant de sur-dramatiser, Dan Fogelman est parvenu à gommer des artifices très marqués (les classiques renvois au passé qui éclairent le présent), faisant d’un objet qui réclame beaucoup de maîtrise, une oeuvre sobre.
Les circonstances de la mort de Jack Pearson (Milo Ventimiglia) ont fait l’objet d’un réel suspense, le seul de la série. Les spectateurs pouvaient ainsi essayer de recueillir des indices afin de bâtir leurs nombreuses théories sur la façon exacte dont Jack meurt. La révélation aura lieu en cours de saison 2, dans ce qui figure peut-être l’acmé de This is us. Une résolution que Dan Fogelman aura maîtrisé avec la justesse qui le caractérise : généreux et emphatique dans l’émotion, économe dans les moyens.
Seulement ce que l’auteur n’avait peut-être pas anticipé, c’est la difficulté à se remettre de la mort de Jack.
Une saison qui a du mal à faire son deuil
Le personnage joué par Milo Ventimiglia est l’incarnation de l’élan positif et bienveillant qui caractérise la série. C’est le plus souvent lui qui atténue les douleurs, raisonne les colères, sèche les larmes et mignote quand on manque d’affection. A travers Jack, s’exprime la lucidité de la série dans l’illustration des tourments de la vie quotidienne. Enfin c’est lui qui accompagne symboliquement tous les personnages.
Seulement cette troisième saison doit montrer la vie sans Jack. La difficulté à trouver la force, l’envie et le courage de continuer à vivre sans son mari ou sans père. Ce passage obligé entraîne la série dans un état dépressif. Evolution logique mais qui déraille sa mécanique et son ton. This is us, même dans ses moments les plus dramatiques, a toujours essayé de montrer ou suggérer la lumière derrière les nuages. Une volonté de porter un message positif et de faire pleurer son audience sans la traumatiser. Après six épisodes, elle lutte à retrouver un semblant d’harmonie, parce que Jack n’est plus là pour créer ce liant, cette unité entre tous les membres de la famille.
Un être vous manque et tout est dépeuplé
Dès lors, les flash-backs n’éclairent plus aussi bien le présent et peinent à trouver un intérêt autre que celui de perpétuer une tradition narrative. L’idée de donner à Kevin la quête d’une origin story paternelle est intéressante mais le focus oblitère l’esprit d’union des Pearson en extrayant Jack du récit familial. Il faut bien trouver quelque chose pour justifier sa présence maintenant que la série se concentre sur la vie après son décès. Seulement l’idée d’aller puiser dans ses traumatismes liés à la guerre du Vietnam l’isole davantage. Jack est désormais absent des deux lignes chronologiques importantes de la série (les flash-backs post-décès ; le présent). Remonter avant (ou aux prémices de) sa rencontre avec Rebecca n’a pour l’instant aucun sens, ni d’incidence sur les différents arcs narratifs.
Dan Fogelman doit répondre à deux problématiques : perpétuer le lien entre Jack et les personnages ; donner une nouvelle impulsion à une série qui pourrait finir par ronronner. A la première, l’auteur a peut-être une solution facile, ne rien changer et faire comme avant (le réussi sixième épisode (Kamsahamida) où les flash-backs se déroulent avant la mort de Jack). A la seconde, l’auteur devra probablement se faire violence et rompre avec les habitudes de la série. Chercher peut-être davantage du côté des flash-forwards, créer un suspense d’anticipation, instaurer un nouveau jeu de piste avec les spectateurs. Et probablement offrir des intrigues plus conséquentes à ses personnages adultes, au risque de faire basculer la série dans une dimension plus soap et moins retenue.
This is us a imposé le retour de la bienveillance sur les écrans américains. Il ne faudrait pas que le sentiment s’accompagne d’une existence à durée limitée, qui pourrait prêter à penser, que l’optimisme est forcément éphémère. Après deux saisons exceptionnelles, la série peut manquer de souffle, souffrir de l’endurance et piétiner pour reprendre du rythme. Après autant d’émotion, l’histoire ne peut pas simplement s’arrêter là.