AlloCiné : On fête cette année la dixième édition du festival Lumière. Quelles évolutions avez-vous pu constater au cours de ces dix ans ?
Thierry Frémaux : L'évolution n'a été que la continuité des convictions qu'on avait affichées d'emblée et en lesquelles on croyait, celles qui construisent le festival. D'abord, l'idée que le public est intact ; l'idée aussi que cette nouvelle civilisation numérique, qui permet de voir des copies restaurées rend possible un océan de programmations ; enfin, l'idée que les artistes eux-mêmes sont cinéphiles. Ce sont les vedettes elles-mêmes qui font le festival, en allant de salle en salle présenter des films. Tout ça était présent dès 2009 et n'a fait que s'accroître depuis. Tout cela avec le soutien de la ville de Lyon, qui est la ville natale du cinématographe Lumière, c’était donc ici qu’il fallait faire un festival d’histoire du cinéma. Mais ce n’est pas que de l’histoire, car il y a désormais de plus en plus d’événements qui se tiennent ici.
Quel est votre meilleur souvenir du festival ?
A Cannes, je dis toujours que c'est ma première montée de marches. Ici, c'est le fait que Clint Eastwood ait accepté de venir dès la première année. Et puis le moment où Catherine Deneuve reçoit le prix Lumière et qui le dédie aux agriculteur de France, c'est aussi l'un de mes meilleurs souvenirs. Cela prouve que le cinéma est à l'intérieur du monde.
Quel est votre tout premier souvenir de spectateur ?
Je change toujours de réponse, car je n'arrive pas à me souvenir vraiment. Il me semble que ma première présence physique en salle, c'était certainement pour un dessin animé de Walt Disney. J'ai deux souvenirs : celui d'avoir vu La Chevauchée fantastique de John Ford et de m'être dit, parce que c'était un western, que c'était sympa, mais qu'il y avait un truc en plus. Après, j'ai appris qui était John Ford, donc j'ai compris. Et après, c'est Pierrot le fou de Jean-Luc Godard qui m'a montré qu'on pouvait raconter les choses d'une autre manière. Quand on est cinéphile, il faut toujours aller contre sa nature, c'est-à-dire aller voir ce qu'on n'est pas sûr d'aimer.
Jane Fonda n'a pas eu peur de malmener son image, et je trouve ça beau
Hier, vous avez projeté 2001, l'Odyssée de l’espace en 70 mm à l'Auditorium de Lyon.
Vous savez combien de personnes il y avait à la séance ? Deux mille un. On est allés voir aux caisses, et il y avait 2001 tickets !
Si 2001 avait été réalisé aujourd'hui, le film aurait-il été différent selon vous ?
Il n’y a pas si longtemps, on a montré à l'Institut Lumière Le Vent de la plaine de John Huston, un western avec Audrey Hepburn et Burt Lancaster, dans lequel il n’y a presque pas de gros plans. A l’époque, les films étaient faits pour le grand écran, donc il n'y avait pas toujours des gros plans. Le gros plan, c'est un langage particulier et aujourd’hui, la télévision veut des gros plans. Donc 2001, en effet, aurait sûrement été très différent. 2001, c’est la mythologie et la question est maintenant de savoir quelles seront les nouvelles mythologies qui seront inventées.
Quelques mots sur Jane Fonda, qui est donc le dixième prix Lumière ?
D'abord, Jane Fonda une immense artiste, ce qui n'est pas assez dit. En plus de son existence de femme engagée, elle a quand même eu deux fois l'Oscar et elle a fait des choix formidables. En cette année de célébration des cinquante ans de mai 68, elle est l'exemple d'une personne prête à tout - y compris ruiner une carrière à Hollywood - pour ses convictions, tout en restant une artiste qui n'a rien renié. Elle est présente dans le combat écologique, le combat féministe, le combat anti-raciste. Elle est aussi égérie L'Oréal et elle se sert de cela pour faire des choses. Si certaines stars ont peur d'abîmer leur image, on peut dire qu'elle, elle n'a pas eu peur de la malmener, et je trouve ça beau. Cet hommage permet aussi de montrer de nombreux films et, bien sûr, de ne pas honorer que des hommes.
Et pour les dix ans, l'année prochaine, de quoi vous avez envie ?
Avec Bernard Lavilliers [invité du festival cette année, ndr], on se disait que ce serait chouette de venir Bruce Springsteen, mais on n'arrive déjà pas à le faire venir à Cannes alors… (Rires)
Merci à Tanguy Colon, avec qui cet entretien a été réalisé.
2001, L'Odyssée de l'espace, "c'est la mythologie" :