Parmi les séances exceptionnelles du festival Lumière, on retiendra forcément la projection du dernier film d'Orson Welles, The Other Side of the Wind. Restée inachevée pendant 40 ans, maintenant restaurée et enfin terminée, cette satire d'Orson Welles décrit les derniers jours d'un grand cinéaste qui tente un come-back.
Tourné entre 1970 et 1976, le film est le fruit de deux histoires inventées respectivement par Orson Welles et sa compagne Oja Kodar, qui tient le rôle pricipal féminin du film. Le personnage de Jake Hannaford, campé par John Huston - splendide - serait né du travail de Peter Bogdanovich, ami de Welles, qui joue dans le film, qui avait interviewé de nombreux vieux réalisateurs mis sur la touche par le système.
Ce vieux cinéaste, mélange de John Ford et d'Ernest Hemingway, fait donc son come-back à Hollywood après plusieurs années d'exil en Europe. Il termine un nouveau film et une fête est organisée en son honneur dans son ranch par tout le gratin hollywoodien pour son soixante-dixième anniversaire. Une soirée qui se terminera par la mort de Hannaford au volant de la voiture de sport qu'il voulait offrir à son acteur favori, sans que l'on sache s'il s'agit d'un accident ou d'un suicide. Réalisé aux États-Unis et en Europe, le film mélange noir et blanc, couleurs, 35 mm, 16 mm... Deux films s'y développent en parallèle, l'un est le documentaire sur les derniers jours de Hannaford, l'autre est le film réalisé par Hannaford, projeté pour son équipe à l'occasion de sa fête d'anniversaire.
Dans une interview accordée aux Cahiers du cinéma en 1982, le cinéaste racontait que le film n'était pas sorti par la faute de son associé iranien Mehdi Bousheri, beau-frère du Shah, qui aurait bloqué le négatif pendant plusieurs années. Peter Bogdanovich s'est donc attaché, bien après sa mort en 1985, à terminer le montage du film, selon le souhait d'Orson Welles. Filip Jan Rymsza, qui s'est battu pendant des années pour faire vivre le film, qu'il a produit aux côtés de Bodganovich et Frank Marshall, était présent lors de la projection. "Le voyage a été très long pour réussir à faire exister ce film", a-t-il déclaré. "Frank Marshall et Peter Bogdanovich ont été mes associés dans le travail de production en tant que tel. Pour ma part, il m'a fallu sept ans pour pouvoir faire démarrer ce processus de renaissance du film et après, il a encore fallu trois ans de travail pour en arriver là."
Et le rôle de Netflix a été décisif : "Après toutes ces années pour que l'annonce de ce film soit en première page du New York Times et que cette mythologie soit ravivée dans les esprits, je me suis dit : 'Ca y est, je suis sûr que mon téléphone va sonner et que des studios vont me proposer de m'accompagner dans ce travail.' Aucun studio ne m'a appelé, mais Netflix a décidé de nous soutenir. Ils nous ont complètement donné carte blanche, sans nous fixer aucune limite, ni sur le contenu, ni sur les délais. Ils ont attendu patiemment une année qu'on reconstitue les morceaux pour permettre sa sortie. Ce sont aussi eux qui ont commandé le documentaire sur le film They'll love me when I'm dead. Et un autre documentaire a été tourné sur la chronique de notre travail sur le film, accompagnera sa sortie."
The Other Side of the Wind est, ainsi que l'a souligné Filip Jan Rymsza, "un film très étrange, très intense, avec une mise en abyme, du méta-texte" et il impose au spectateur de se laisser aller, de "lâcher prise". C'est un objet unique, beau et puissant, qui revêt tous les atours d'un film crépusculaire doté d'une énergie presque désespérée. On en sort secoué, assommé et bouleversé, en se disant qu'il aurait été terrible qu'un tel film reste à l'état d'inachevé. C'est un film important parce qu'il est sorti d'outre-tombe grâce à la détermination de gens comme Filip Jan Rymsza et de Peter Bogdanovich, mais c'est aussi un film important parce qu'il est magnifique et qu'il atteste une fois de plus qu'Orson Welles était un génie.
The Other Side of the Wind, disponible à partir du 2 novembre sur Netflix :