AlloCiné : Vous avez incarné deux hommes politiques puissants en vous transformant physiquement, Giulio Andreotti dans Il Divo et Berlusconi dans Silvio et les autres, quelles sont les différences entre ces 2 grandes figures ?
Toni Servillo : Ces deux personnages ont demandé une préparation intense et une transformation physique en effet. Ce sont des personnalités complètements différentes. Ils représentent 2 époques de l'histoire de la politique italienne qui ne sont pas si éloignées en termes de temps mais qui sont tout de même extrêmement différentes.
Berlusconi utilisait la scène politique comme s'il était une star de cinéma.
Andreotti représente un monde qui a totalement disparu. Il y avait un gouffre énorme entre les hautes instances politiques et la société italienne. C'était un homme qui représentait tout l'aspect mystérieux, secret, de la politique transalpine. Il avait une culture du secret chevillé au corps, on ne savait absolument rien de sa vie privée.
À l'inverse, Berlusconi a orchestré la médiatisation spectaculaire de sa vie. Il faisait ça à des fins électorales. Il utilisait la scène politique comme s'il était une star de cinéma. Il le faisait pour s'immiscer plus facilement dans l'inconscient des italiens et parvenir à les toucher au plus profond d'eux-mêmes et obtenir leur consentement.
Pourquoi Silvio Berlusconi exerce-t-il une telle fascination en Italie ?
Je pense qu'il a su faire ressortir chez les italiens ce fantasme d'une « super-italianité ». Il a apporté à la politique une sorte de priapisme dont les italiens ont toujours eu une grande indulgence. Il occupait également la scène politique avec une extrême efficacité.
Les médias italiens, quotidiennement, excessivement, ont aussi façonné une certaine idée de Berlusconi pour le public. C'était une image qui correspondait parfaitement à celle que Silvio se faisait de lui-même.
Vous avez campé plusieurs personnages qui gravitent autour de la politique ces dernières années, de Viva la libertà aux Confessions en passant par Silvio et les autres ; est-ce que la politique vous intéresse particulièrement ?
Je ne peux pas dire qu'il y a une intention de ma part de faire des films qui gravitent autour de la politique. Tout ça s'est fait par hasard ; il se trouve que j'ai fait Viva la libertà et Les Confessions avec Roberto Ando puis les films de Paolo Sorrentino, qui tournaient autour de la politique.
Mais au théâtre j'ai déjà fait du Goldoni, Eduardo de Filippo, Molière, Marivaux… tout comme au cinéma, j'aime incarner des personnages très différents. Celui qui m'a apporté le plus de joie et le plus de reconnaissance est celui de Jep Gambardella dans La Grande Bellezza de Sorrentino. Et ce n'est pas du tout un personnage politique.
Au-delà de ça, ça serait un honneur pour si dans le futur, mes films pouvaient générer du désir, de l'espoir et ainsi repenser une partie de l'Histoire italienne récente. C'est d'ailleurs la grande tradition du cinéma italien, de Francesco Rosi à Elio Petri. Si on regarde leurs oeuvres, on parvient à mieux appréhender l'Histoire de l'Italie. Je souhaiterais que ce soit possible aussi grâce à mes films.
Vous êtes aussi un homme de théâtre, comme vous l'avez évoqué. Dans Silvio, il y a plusieurs séquences incroyables de longs monologues très théâtraux ; est-ce que votre expérience sur les planches vous a servi pour mieux appréhender ces textes ?
Tous ces longs monologues viennent du réalisateur ; c'est le 5ème film que je fais avec Sorrentino et pour certaines scènes, comme celles dont vous parlez, notre collaboration prend tout son sens. Par exemple, Berlusconi appelle une femme au milieu de la nuit pour vérifier qu'il a toujours en lui cette capacité de savoir vendre un appartement qui n'existe pas en réalité. Il fait croire à cette dame qu'acheter cet appartement changera sa vie, il crée l'illusion.
Pour ce rôle, il fallait une discipline et une préparation d'homme de théâtre.
C'est un monologue très très long que nous avons mis toute une nuit à tourner. Il faut bien sûr une discipline et une préparation d'homme de théâtre. Je ne voudrais pas trop spéculer sur ça mais je pense que c'est une des raisons pour lesquelles Sorrentino m'a choisi pour interpréter Silvio. Mais il n'écrit pas uniquement de longs monologues pour les acteurs de théâtres, je pense à Silvio Orlando et Jude Law dans The Young Pope. Le metteur en scène a une grande capacité à écrire ce genre de dialogues et monologues. C'est vrai que c'est difficile, cela demande un gros effort mais c'est aussi un très beau défi à relever.
Matteo Salvini, actuel ministre de l'intérieur italien, utilise des méthodes à peu près similaires que Berlusconi, notamment sur la scène médiatique. Quel regard portez-vous sur cette nouvelle génération de politiciens ?
Je pense que ces hommes politiques ont évidemment appris beaucoup de Berlusconi. Ils font une propagande forte et efficace auprès des électeurs et se servent très bien des médias. Ils parviennent ainsi à créer ce climat d'éternelle campagne électorale. C'est comme au championnat de football, chaque année, il faut gagner à tout prix.