Si les noms Jimmy McNulty, Stringer Bell, Kima, Omar, Marlo, Bubbles et le Maire Carcetti ne vous disent rien, c’est sûrement que vous êtes passés à côté de l’événement The Wire (Sur Ecoute), une série en cinq saisons se déroulant à Baltimore, diffusée aux Etats-Unis du 2 juin 2002 au 9 mars 2008 sur la chaîne HBO. En France, les téléspectateurs ont pu la suivre sur Jimmy en 2004, puis sur France Ô à partir de 2010.
Créé par l’ancien journaliste du Baltimore Sun David Simon (Treme, The Deuce), ce programme d’une soixantaine d’épisodes dresse un portrait de la ville du Maryland à travers sa criminalité et les efforts déployés par les forces de l’ordre et les travailleurs sociaux pour y remédier. Plus qu’un simple état des lieux, c’est une véritable chronique sociale que le spectateur est invité à suivre en découvrant la ville sous tous ses angles.
1 – Une saison, un thème
Pour prendre le spectateur par la main et l’inviter à suivre ce tour d’horizon de la ville de Baltimore, véritable héroïne de la série, David Simon a eu l’ingéniosité de choisir un thème principal par saison. Ce sont donc différentes strates de la population et différents problèmes sociaux que les téléspectateurs vont découvrir, tout en s’attachant aux personnages principaux, qui ne seront jamais laissés de côté.
La première saison se concentre principalement sur le trafic de drogue dans des quartiers pauvres de l’ouest de Baltimore, où le gang d’Avon Barksdale (Wood Harris) règne en maître. Le caïd est épaulé par son cousin et conseiller : Stringer Bell (Idris Elba). Face à eux, une équipe de la police de Baltimore cherche à mettre en place un système d’écoutes téléphoniques pour démanteler cette entreprise criminelle. Mais à l’heure des téléphones portables jetables et des cartes SIM qui passent de main en main, comment s’organiser ? Le détective Jimmy McNulty (Dominic West) et son collègue Bunk Moreland (Wendell Pierce) vont inventer des stratagèmes alambiqués et parfois moralement contestables pour obtenir une autorisation de la part de leurs supérieurs.
C’est du côté du port de Baltimore et de ses syndicats de dockers majoritairement tenus par des fils d’immigrés polonais que la deuxième saison nous emmène. Bien sûr, c’est parfois par là que la drogue du gang Barksdale arrive. Mais pas seulement… les cargaisons en tous genres sont difficiles à inspecter et malgré la bonne volonté des syndicalistes les plus chevronnés et responsables, la corruption n’est jamais loin. La famille Sobotka peine à survivre dans ce contexte.
Dans un troisième lot d’épisodes, c’est la politique de la ville qui est passée au peigne fin, au moment où le jeune conseiller Thomas Carcetti (Aidan Gillen) fait campagne pour conquérir la mairie de Baltimore. Pendant ce temps, du côté de la police, le trafic de drogue se complique. On décide dans l’ombre qu’un quartier de non-droit sera établi, surnommé "Hamsterdam" par les narcotrafiquants qui pourront y sévir impunément.
Plus surprenante et ambitieuse encore que les précédentes, la quatrième saison se met sur les pas des enfants des quartiers démunis de Baltimore et passe au crible son système éducatif. D’un côté, l’école est un véritable vivier de jeunes talents pour les criminels, en particulier la clique de Marlo (Jamie Hector), un dealer impitoyable qui a repris le marché de la famille Barksdale. De l’autre, tous les efforts des travailleurs sociaux se concentrent sur les voies à explorer pour permettre aux plus jeunes de choisir une autre vie.
Enfin, David Simon revient à son milieu d’origine : le journalisme. En suivant la rédaction d’un quotidien local, le spectateur découvre comment l’information peut être manipulée, détournée et corrompue dans l’espoir de vendre davantage ou simplement de glaner une distinction professionnelle. Sans surprise, la diffusion massive de fausses informations a des conséquences sur l’état de la société. Dans une ville où la criminalité bat son plein, les méthodes du détective McNulty se mettent à dévier .
Ces cinq angles d’attaque permettent à la série The Wire de faire intervenir suffisamment de participants pour que les mordus, décidés à suivre la série jusque au bout, aient le sentiment, à la fin du dernier épisode, de connaître une ville entière ainsi qu’un bon nombre de ses résidents. On sort de la dernière saison avec le sentiment d’avoir étudié l’œuvre de Balzac (référence revendiquée par David Simon), en comprenant une situation et une époque à travers un ensemble de personnages fictifs, mais tragiquement crédibles.
2 – La première des séries modernes
Si les séries d’aujourd’hui sont particulièrement animées par un souci de diversité en représentant à l’écran des communautés qui n’ont jusque là pas (ou peu) eu droit au chapitre, The Wire fut bien la première à s’illustrer dans cette mouvance. Non seulement parce que tous ses personnages sont troubles, évitant qu’on s’identifie trop facilement au gendarme et pas assez au voleur. Mais aussi parce que la grande majorité des protagonistes (et pas seulement les gangsters !) sont incarnés par des acteurs afro-américains ! Si des films comme Get Out ou Black Panther ont aidé à ouvrir cette brèche récemment sur le grand écran, à la télévision, David Simon empruntait déjà ce chemin quinze ans plus tôt.
Différentes communautés issues de l’immigration ont aussi leur héros. Les Américains d’origine irlandaise trouvent leur représentant chez le détective McNulty, les Polonais et leurs descendants sont au cœur de la saison 2, les Grecs sont là aussi – même s’il s’agit d’une filière mafieuse. Mais aucune mafia n’est illustrée avec le mépris qu’on réserve aux antagonistes des films d’action. Elles ne sont qu’une couche supplémentaire et légitime dans le mille-feuilles social de Baltimore.
Aucun personnage féminin ne sert de faire-valoir à un héros masculin, s’il existe des héros dans cet univers teinté de gris. Car c’est dans son refus acharné du manichéisme que The Wire s’illustre le mieux. Aucun des intervenants de cette chronique ne restera irréprochable. Les gangsters les plus redoutables dissimulent souvent une éducation étonnante ou un sens aigu du respect et de la famille, comme les policiers incorruptibles passent à côté de l’essentiel quand ils rentrent chez eux.
Les différentes orientations sexuelles trouvent aussi leur porte-parole. Dans la police, la jeune détective Kima (Sonja Sohn) vit en couple avec une femme et pense à adopter un enfant. Quant à l’anarchiste le plus flamboyant et dur à cuire de la série, Omar Little (Michael K. Williams), il ne laisse dès sa première apparition planer aucun doute sur son homosexualité. De même pour les toxicomanes (Bubbles, le marginal incarné par Andre Royo) et les alcooliques (Jimmy McNulty) qui, dans The Wire, ne se limitent jamais à leur dépendance. Quant au grand manitou de la pègre, Proposition Joe (Robert F. Chew), il n’est jamais identifié ni défini par son obésité.
C’est aussi parce que chaque minorité a droit de cité dans l’enfer de Baltimore que ces personnages prennent vie et que le spectateur peut se reconnaître en eux. Certains d’entre eux peuvent aussi éviter tout profil psychologique, comme Marlo et ses bras droits Snoop (Felicia Pearson) et Chris Paltrow (Gbenga Akinnagbe) dont le passé, l’inimitié et les motivations ne sont jamais explorées. Parfois, le crime ne s’explique pas.
3 – Une mine de jeunes talents
Impossible de compter sur ses doigts le nombre de carrières propulsées par cette série. Si le nom le plus célèbre issu des épisodes de The Wire est probablement celui d’Idris Elba (Luther, Prometheus, Thor) qui interprète le gangster intello Stringer Bell, bien des bouilles célèbres ont fait leurs armes chez David Simon !
Le principal détective Jimmy McNulty, porté sur la bouteille et incapable de mener une vie de famille digne de ce nom, est interprété par Dominic West, bien connu des amateurs de séries comme des cinéphiles. On le retrouve en héros de The Affair sur la chaîne Showtime depuis 2015. Au cinéma, il faisait partie de la distribution de 300 de Zack Snyder, de Chicago (Oscar du meilleur film en 2003) et même de la récente Palme d’Or The Square.
Dans la peau de l’impitoyable Omar, qui profite du trafic de drogue pour dépouiller les gangsters en sifflotant, avec son fusil à pompe et son gilet pare-balles, Michael Kenneth Williams et sa célèbre balafre au milieu du visage trouve là le meilleur rôle de sa carrière. On le retrouvera dans la série Boardwalk Empire bien sûr, mais aussi dans la saga American Nightmare, dans Assassin’s Creed et dans 12 Years A Slave.
Aidan Gillen est mieux connu aujourd’hui sous le pseudonyme Littlefinger à travers son rôle ambivalent dans Game of Thrones, mais pour les fans de The Wire, il sera éternellement le visage du Maire Carcetti. Parmi ses autres rôles marquants, il s’est récemment illustré en méchant sur grand écran dans la franchise Le Labyrinthe.
Les connaisseurs de rap américain ne manqueront pas de noter la présence de Method Man au générique, ce membre du Wu-Tang Clan qui, comme certains de ses compères, s’est reconverti dans le jeu d’acteur. Il est Cheese, un des gangsters les plus ambitieux du clan Barksdale. Quant à Sonja Sohn qui interprète la détective Kima, difficile de n’être jamais tombé sur elle en suivant les séries venues d’outre-Atlantique. On la retrouve dans Cold Case, The Good Wife, Body of Proof, New York Unité Spéciale, The Originals, Luke Cage…
Chad Coleman, que certains accros à la série The Walking Dead connaissent mieux sous le nom de Tyreese, joue ici un ex-détenu qui cherche à se réinsérer en ouvrant un club de boxe pour les jeunes de son quartier. Parallèlement à son rôle de Lieutenant Cedric Daniels dans The Wire, Lance Reddick se faisait aussi connaître dans Lost, Les Disparus (il jouait Matthew Abaddon). On ne présente plus non plus Wendell Pierce, détective Bunk, partenaire de McNulty, qu’on retrouvera plus tard dans les séries Treme et Suits. Il fait aussi partie de la distribution de la série Jack Ryan, attendue pour 2019.
4 – Des scènes à se rediffuser en boucle
Avec son immense ambition politique et sociale, ses personnages complexes et ses enquêtes à rebondissements, The Wire possède à la perfection le savoir-faire d’une série à succès, captivant ses téléspectateurs sur plusieurs saisons jusqu’à son dénouement qui parvient à associer une ouverture aussi grande que possible et une dimension inéluctable. Mais ces atouts propres à ces récits qu’on aime suivre dans leur longueur ne doivent pas effrayer les fines bouches cinéphiles.
Au fil des cinq saisons, c’est un véritable déluge de séquences cultes qui surnagent et s’impriment dans la mémoire des spectateurs. Elles trouvent parfois leur place avant le générique d’introduction, comme ce fut aussi le cas pour les meilleurs moments de Breaking Bad. Comment oublier, par exemple, la scène où l’équipe de police chargée de l’écoute du clan Barksdale, tente en vain de faire passer un canapé dans l’embrasure d’une porte avant de se rendre compte que personne ne sait qui doit pousser et qui doit tirer ?
Dans la série des exercices de styles intéressants, McNulty et Bunk inspectent une scène de crime pendant cinq longues minutes et ne communiquent qu’en utilisant le mot "Fuck", et toutes ses déclinaisons. Bien sûr, The Wire n’a pas non plus attendu la popularité de Game of Thrones pour créer un suspense insoutenable autour de la mort de ses personnages, dont certaines n’ont rien à envier à la saga médiévale inspirée par les romans de George R.R. Martin.
Chaque apparition d’Omar Little, personnage unique en son genre, est l’occasion d’une nouvelle scène culte. Sa première descente dans les quartiers malfamés de Baltimore, entrainant la fuite des apprentis dealers en criant : "Omar arrive", campe son personnage sans foi ni loi en moins de deux minutes. Tout au long de la série, il ne sera pas non plus avare de répliques emblématiques telles que : "C’est ça le jeu, mec" ou "On vit un jour après l’autre, j’imagine".
Mais c’est sûrement le dernier plan du dernier épisode de la série qui offre une satisfaction sans pareille a ceux qui ont visionné les soixante épisodes de The Wire. Sans en dévoiler le contenu, on peut simplement dire qu’il résume toute la série : avec Baltimore en toile de fond, les destins se croisent inlassablement sans que l’état des choses ne change une fois pour toutes, sous le regard impuissant des forces de l’ordre.
5 – Vous ne nous croyez pas ? C’est le Président qui vous le dit !
Si The Wire est restée dans les mémoires des spécialistes de séries comme l’une des plus réussies de l’histoire de la télévision, d’autres opinions plus populaires s’accordent à le dire. En France, le magazine L’Express publiait déjà en décembre 2012 un article baptisé "Pourquoi The Wire est la meilleure série de tous les temps".
C’était déjà l’opinion que partageaient les journalistes Steve Johnson du Chicago Tribune en juin 2003 et James Poniewozik du Time en décembre 2006. Mais, sans aucun doute, le plus grand fan de la série, c’est l’ex-Président des Etats-Unis d’Amérique Barack Obama en personne, qui n’a pas hésité à renoncer à ses fonctions présidentielles le temps d’une interview avec le créateur de The Wire, David Simon.
Pour l’occasion, Obama passe de l’autre côté du miroir et devient le journaliste tandis que l’ancien membre de la rédaction du Baltimore Sun se met dans la chaise de l’invité.
L’intégrale de The Wire (Sur Ecoute) est disponible en DVD et Blu-ray chez HBO Studios.