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ATTENTION - À travers les propos qu'il retranscrit, cet article contient des spoilers sur la saison 2 de Westworld, et notamment son final, diffusé ce dimanche sur HBO et en simultané sur OCS en France. Nous vous conseillons donc de passer votre chemin si vous ne l'avez pas encore vu, pour mieux revenir ensuite. Ceux qui sont à jour ont, quant à eux, rendez-vous après le teaser de l'épisode en question.
À l'écran, Westworld a été créé par deux associés : Robert Ford (Anthony Hopkins) et Arnold Weber (Jeffrey Wright). De l'autre côté, c'est à Jonathan Nolan et Lisa Joy que l'on doit ce parc qui nous fascine sur HBO et OCS depuis octobre 2016. Il ne faut pas observer ce couple bien longtemps pour retrouver ce qui fait l'équilibre de la série, lui étant davantage focalisé sur l'aspect cérébral quand elle apporte ce côté émotionnel. Et c'est dans le cadre de la projection, en avant-première, de l'excellent final de la saison 2, qu'ils ont évoqué différents sujets à notre micro : d'abord le temps d'une table ronde avec la seule Lisa Joy, puis en duo à l'issue de l'épisode.
AUX ORIGINES DE LA SÉRIE
Jonathan Nolan : L'intelligence artificielle est effectivement au cœur de plusieurs de mes projets, comme Person of Interest ou Interstellar, dont mes personnages préférés étaient les robots. Et cela faisait quelque chose comme vingt ans que J.J. Abrams essayait de faire naître une nouvelle version de Westworld quand il est venu nous voir. Au fil des discussions, nous nous sommes rendus compte que la série nous permettrait de parler de tous ces sujets qui nous intéressent en matière d'intelligence artificielle, de conscience et de nature humaine. Ce sont des choses qui m'ont toujours fasciné, au même titre que la mémoire, la morale…, tout ce dont nous sommes faits.
Et l'idée d'adopter le point de vue de créatures faites à notre image me paraissait irrésistible. Nous ne savons pas ce que sera l'intelligence artificielle dans trente, cinquante ou soixante-dix ans, donc nous pouvons encore spéculer sur le sujet. C'est comme ceux qui inventent des histoires autour de voyages dans l'espace. Il reste encore quelques années pour spéculer avant de devoir arrêter d'écrire dessus (rires)
PASSER LA SECONDE
Jonathan Nolan : Nous avions commencé à travailler avec les scénaristes avant que la saison 1 ne soit diffusée. Nous ne savions donc pas ce qui allait plaire aux gens mais ça nous a aidés car cela permettait que Westworld reste notre chose. Dès le départ nous savions que nous voulions aboutir à l’arrivée des hôtes dans le monde réel, donc le défi a été de trouver l’histoire la plus percutante à raconter en partant de la fin.
Dès le début, nous avons dit que la série parlerait de l’émergence d’une nouvelle forme de vie. Ça n’est pas quelque chose de court. - Jonathan Nolan
DU LABYRINTHE AU PUZZLE
Jonathan Nolan : Mon premier film [Memento, ndlr] était raconté à l’envers, donc je m'y connais question complexité… (rires)
Lisa Joy : Il y a eu beaucoup de discussions et nous étions très excités à l’idée de travailler sur cette saison 2. Il y a beaucoup de complexité, avec cette structure en puzzle, et nous avons beaucoup joué sur la notion de chronologie. Et dès le début avec Bernard [Jeffrey Wright], quand on se demande ce qu’il s’est passé. Mais ce qui me motive n’est pas tant l’aspect puzzle, que je trouve amusant, que de voir ce que les personnages vont faire maintenant qu’ils sont lâchés dans la nature. Je voulais voir ce que Maeve [Thandie Newton] allait devenir et sa quête pour tenter de sauver sa fille.
Et ce à quoi Dolores allait ressembler en tant que leader d’une armée. Nous l’avons connue comme la fille d’à côté et, avec le pouvoir qu’elle a acquis, il y a beaucoup de conflits, de faux pas, de doutes. Il fallait l’évoquer de façon organique. Et je ne parle même pas de Jeffrey [Wright], qui est brillant dans la peau de cette homme qui relie les univers entre eux et dont la loyauté est testée. J’avais hâte de revenir vers nos fantastiques acteurs et jouer avec eux.
COMMENT GÉRER LE MYSTÈRE...
Jonathan Nolan : C’est compliqué (rires) Nous avons voulu adopter une structure un peu plus épisodique ici. Dans la saison 1, nous faisons en sorte d’aborder les histoires de chacun à chaque épisode. Mais cette fois-ci, nous cherchions à avoir une poignée d’épisodes capables de tenir seuls, pour nous permettre de creuser davantage certains personnages avec lesquels nous n’avions pas passé beaucoup de temps auparavant. La structure paraissait claire dans nos têtes, car c’est une structure de film noir : nous commençons par la fin et nous retournons au début.
Bernard est d’ailleurs un personnage classique de film noir car il a oublié quelque chose d’important - et il se trouve que c'est Anthony Hopkins. Nous nous intéressons énormément à la façon dont une conscience artificielle fonctionnerait : comment elle percevrait et comprendrait le temps, la mémoire. Nous voulons que la série repose sur ces créatures et, dès le début, nous avons dit qu’elle parlerait de l’émergence d’une nouvelle forme de vie. Ça n’est pas quelque chose de court.
... ET ÉVITER LES SPOILERS
Lisa Joy : Nous avons la chance d’avoir des acteurs et une équipe technique formidables, qui protègent l’histoire. Ils savent ce avec quoi ils travaillent et veulent que le public puisse profiter de l’expérience au maximum.
Jonathan Nolan : Et puis nous ne leur disons pas tout (rires) Pour la saison 1, nous avons dû expliquer à Jeffrey son histoire dès le pilote, car il allait être amené à jouer deux personnages différents et qu’il était notamment lié à la question de la vraie identité de Dolores [Evan Rachel Wood]. Quand il est revenu pour la saison 2, nous lui avons précisé que nous ne lui dirions rien (rires)
QUAND LISA JOY PASSE DERRIÈRE LA CAMÉRA
Jonathan Nolan mis le premier et le dernier épisode de la saison 1 en scène. Lisa Joy a fait de même avec le quatrième de cette deuxième saison : "L'Énigme du Sphinx", qui évoque brillamment le passé de l'Homme en Noir, joué par Ed Harris, et notamment sa relation avec son beau-père James Delos (Peter Mullan), propriétaire du parc.
Jonathan Nolan : Je ne devrais pas devoir choisir mon épisode préféré. Mais mon épisode préféré est celui de ma femme. Il est très joliment réalisé et interprété, très convaincant et, après avoir expliqué ce à quoi sert le parc pendant 14 épisodes, et nous avons réussi à dériver avec un épisode aussi solide que celui-ci.
Lisa Joy : Je voulais vraiment réaliser [un épisode] cette saison. Mais j'ai eu notre deuxième enfant. J'étais déjà très enceinte alors que nous écrivions encore les épisodes, et je me rappelle avoir dit à Jonathan que ce serait impossible et irresponsable pour moi de passer derrière la caméra. Mais il m'a répondu qu'il ne me laissait pas le choix et que, comme je l'avais soutenu lorsque nous avons eu notre premier enfant, c'était à son tour de me rendre la pareille. C'était une façon aussi adorable que généreuse de me soutenir, et il a tenu parole : pas seulement en écrivant avec Gina Atwater le script merveilleux que j'ai pu mettre en scène, mais aussi en changeant bien plus de couches que moi (rires)
La série joue avec les archétypes, et il nous a fallu faire de même pour lui donner vie - Lisa Joy
J'ai commencé la pré-production deux semaines après avoir accouché, et il était présent pour chaque étape. C'était pour moi la seule façon de pouvoir le faire. La série joue avec les archétypes, et il nous a fallu faire de même pour lui donner vie. L'expérience de pouvoir partager tous ces aspects a immensément renforcé nos liens, et s'est révélée épanouissante pour chacun de nous deux, tant sur le plan créatif que personnel. Et comme le récit de l'épisode marquait un nouveau départ, il nous a fallu établir un nouveau look et même un design sonore un peu différent.
Nous n'avions pas un monde nouveau comme Shogun World, mais notre monde constituait une nouveauté, car c'était celui des personnages. J'ai aimé ce travail consistant à retranscrire des thèmes en images. Et faire adopter au public le point de vue de Delos, surtout dans le plan d'ouverture [un plan-séquence d'1min30 dans un appartement qui se révèle être celui du personnage joué par Peter Mullan, ndlr], lorsque nous ne savons pas vraiment où nous sommes. Je voulais reproduire l'expérience qui est celle des hôtes dans le pilote. Et c'est d'autant plus drôle que c'est Jonathan qui l'avait dirigé et moi j'ai réalisé celui-ci, il y a un effet-miroir. J'ai adopté une mise en scène très mécanique, comme dans une expérience contrôlée et calculée, ce que le récit décrit.
Et puisque l'on parle de mise en scène et que l'on se congratule, Lisa Joy y est aussi allée de son compliment.
Lisa Joy : J’aime cette scène dans le final, filmée par Jonathan, du face-à-face entre Delos et Logan, ce moment qui a hanté le premier pour toujours. Elle est déchirante et j’aime la performance de Ben Barnes que nous avions connu en playboy dans la série, car nous voyons ici la peine qui l’habite sous cette apparence. Et cette scène nous permet de montrer en Delos un homme hanté par ses démons, de le rendre plus vulnérable. Ce sont ce genre de choses qui rendent la série meilleure à mes yeux.
CRÉER UN LANGAGE VISUEL COHÉRENT
Jonathan Nolan : Nous avons commencé à travailler sur la série avec Paul Cameron, qui est un fantastique chef opérateur et a été suivi par d’autres très bons collaborateurs à ce poste, comme Darran Tiernan ou John Grillo. Le défi amusant, pour eux et nous, a été de maintenir le look déjà établi sur le show tout en visitant de nouveaux mondes comme le Shogun World, grâce auquel nous avons voulu rendre hommage à Kurosawa. Nous avons revu certains de ses films pour y déceler des éléments, des ratios d’image avec lesquels nous pourrions jouer. Mais Kurosawa a fait des allers-retours entre la couleur et le noir & blanc et des formats d’image, donc il n’y avait pas vraiment de signature et nous avons dû trouver la nôtre, en filmant ces scènes sur pellicule par exemple.
Nous avons travaillé avec beaucoup de personnes talentueuses pour respecter le style de la série tout en donnant à ce monde une identité qui lui est propre. Et pour ce qui est du format anamorphique pour distinguer les chronologies, eh bien c’était juste une excuse pour utiliser l’anamorphique. L’usage de cette lentille nous permettait notamment de donner une autre texture à ces scènes et, ainsi, de suggérer que quelque chose ne tournait pas rond.
QUAND LES CHANSONS S'INVITENT À WESTWORLD
Lisa Joy : La personne en charge de superviser les chansons s'appelle Sean O'Mara, et c'est en réalité un pseudonyme de Jonathan, qui a une signification personnelle pour lui. Il choisit beaucoup des chansons que l'on entend dans la série. J'ai choisi celles de mon épisode mais il a fait la grande majorité du travail dans ce secteur. Et il travaille avec Ramin Djawadi, qui est un génie. Et incroyablement beau (rires) C'est un collaborateur très généreux avec lequel nous avons réussi ce concept de prendre des chansons contemporaines pour les placer dans un cadre où elle paraissent ne pas être familières au début. C'est comme projeter les téléspectateurs dans nos esprits.
La musique est quelque chose d'intéressant car elle provoque une réaction émotionnelle sans représentation visuelle. C'est une oeuvre d'art et il suffit de se rappeler d'une partie d'un morceau pour que cela fasse effet. C'est comme une machine à remonter le temps car elle vous renvoie à un moment de votre vie, à des émotions que vous avez ressenties et aux gens avec qui vous les avez ressenties. Et dans une série qui parle de temps et du fait d'être transporté dans un lieu que vous ne comprenez pas, la musique produit cet effet. Même si vous n'entendez pas les paroles, car nous cherchions à jouer avec la figure du piano.
Lorsque nous avons commencé à travailler sur la série, nous cherchions quelle pourrait être l'image de Westworld, et nous nous sommes arrêtés sur ce piano, car elle représente parfaitement ce que nous voulions explorer. C'est une machine qui fonctionne littéralement avec un code, ces petits trous percés dans du papier qui ressemblent à une matrice, et d'où naît de l'art, de la beauté, qui génèrent ensuite une émotion, une connexion personnelle. Quelle meilleure image pour les hôtes que celle de l'intelligence artificielle qui a du sens ?
Jonathan Nolan : Mon moment musical préféré est la reprise [de la chanson "C.R.E.A.M."] du Wu Tang Clan dans l’épisode 5 de cette saison.
SAISIR LE PUBLIC PAR LES TRIPES
Lisa Joy : Mon premier amour, en matière d’écriture et de littérature, c’est la poésie. Et lire quelque chose comme "La Terre Vaine" ["The Waste Land" en VO] de T.S. Eliot peut d’ailleurs aider pour comprendre la notion d’illusion (rires) Mais il y a un niveau d’engagement sur le plan émotionnel, comme au cinéma et dans les séries. Sans même avoir besoin d’analyser les péripéties et la pellicule, vous pouvez très bien apprécier ce que dégage Maeve.
Le cœur de cette saison, pour moi, est défini par plusieurs histoires : Maeve aime sa fille et c’est ce qui la pousse à descendre du train [vers le monde réel] et à faire ce sacrifice ; il y a aussi l’amour d’Akecheta [Zahn McClarnon] pour sa femme et le parcours, proche de celui d’Orphée dans la mythologie, qu’il va suivre ; ou la relation intéressante entre Dolores et Teddy [James Marsden], qui se définissent petit-à-petit alors que la première est à la tête d’une armée. Nous avons un couple qui grandit et change ensemble, et la façon dont ils renforcent ce lien entre eux.
Jonathan Nolan : Ce qui est vaguement semi-autobiographique (rires) Ça parle de la façon dont tu m’as re-programmé (rires)
FANS DE THÉORIES ?
Jonathan Nolan : Lisa ne lit pas les théories sur les forums. Moi un peu, ne serait-ce que pour voir si les choses ont été comprises. Et parce que c’est amusant. La partie la plus amusante de notre travail sur la série est le soutien du public et la façon dont ils se plongent dedans et réfléchissent. Et nous avons fait une série telle que nous aimerions la regarder, ce qui explique qu’il y ait toutes ces couches dans le récit, toute cette complexité, comme dans les films que j’aime voir. A l’époque, Memento me paraissait d’ailleurs être un élément de réponse à ce sujet. Je pense qu’il n’est pas possible de deviner ce que les gens peuvent aimer, il faut juste que ce soit le plus satisfaisant possible pour vous.
Nous avons fait une série telle que nous aimerions la regarder - Jonathan Nolan
À L'ÉCOUTE DES CRITIQUES ?
Lisa Joy : Je ne les lis pas mais je sais ce qu'il se dit. Je ne reste pas coupée du monde. Et je savais qu'il y aurait des choses difficiles cette saison, que certains auraient du mal avec le nouveau rôle de Dolores dans le parc notamment. Mais ça n'est pas une surprise, je savais qu'il y aurait des obstacles, tout comme j'entendais des gens dire qu'ils n'aimaient pas Lee [Simon Quarterman], et je me disais qu'ils n'avaient qu'à s'accrocher car ils allaient finir par l'adorer et se soucier de lui avec un autre arc narratif. La fiction repose beaucoup sur le fait de laisser l'histoire se raconter à son rythme. Et la meilleure façon pour celle-ci de pouvoir résonner aussi profondément, est de prendre le risque de s'aliéner le public par moments.
Vos choix dans la vie ne satisfont pas toujours les gens et, si c'est le cas, c'est que vous faites sans doute quelque chose de travers (rires) L'histoire de Dolores était pour moi l'examen d'une femme traumatisée par son passé et qui cherche maintenant à riposter. Pas seulement pour elle-même mais pour son espèce entière. En faisant cela, elle dépasse son statut d'individu : elle doit s'occuper d'un groupe de gens et prend ici un rôle de leader. De leader militaire même. Un rôle auquel il est, par nécessité, difficile de s'attacher par moments, car ces gens doivent prendre des décisions difficiles.
Comment suivre un général en guerre si celui pleure pour une histoire de coeur ? Il faut du stoïcisme, et je savais que ce serait difficile pour certains. Il est facile d'avoir de l'empathie pour un personnage que vous aimez et voyez au plus mal. Là vous êtes de son côté, vous êtes contents que Dolores tire sur les hommes et les renverse. Mais ces plaisirs violents ont des fins violentes, et cela ne s'applique pas qu'aux humains. Si elle tire sur les hommes et les renverse, la soif de sang de chacun est satisfaite, le public applaudit. Moi je voulais aller plus loin et montrer que ça n'était pas la fin de l'histoire. Elle est toujours prisonnière dans le parc (rires) Elle doit faire plus que cela, se détourner de quelques-uns de ses idéaux pour survivre. Dans la même position que la sienne, je ne peux pas dire que je n'aurais pas fait les mêmes choix. Dès lors qu'il y a de la violence, et c'est le cas partout depuis la nuit des temps, votre victoire sera forcément compromise.
LES GRANDS THÈMES DE LA SAISON 2
Lisa Joy : Il y a la notion d’immortalité, et la question du libre arbitre dans la nature humaine, qui sont des extensions de ce que nous avons mis en place dans la saison 1, où nous nous intéressions aux hôtes et à leurs comportements respectifs. Ici, nous dressons des parallèles entre eux et les humains, qui découvrent qu’ils sont étudiés et observés, et qu’ils peuvent aussi être réduits à quelque chose d’élémentaire. Mais nous découvrons parfois qu’il y a des façons simples et belles de se construire, de belles choses primaires comme l’instinct maternel ou paternel, qui prouvent que nos racines ne sont pas si mauvaises.
Jonathan Nolan : Le libre arbitre est l’un des grands thèmes de cette saison 2. Et nous nous sommes documentés dessus, en lisant un article qui a conditionné une partie de ce final et selon lequel le libre arbitre est une illusion. Lorsque vous devez choisir entre deux boutons par exemple, quelque chose d’autre prend la décision pour vous dans la milliseconde qui précède votre choix. C’est comme dans la générique des Simpson, avec Maggie et son faux volant : ça c’est notre conscience, qui pense qu’elle a les commandes, alors que c’est en réalité Marge, donc notre inconscient. C'est d'ailleurs pour cette raison que le dernier épisode s'appelle "The Passenger" ["Le Passager" en VF], car il y a quelqu'un d'autre au volant.
LA PLACE CENTRALE DU WESTERN
Comme dans le film de Michael Crichton, dont la série est tirée, Westworld accorde une place de choix au western. Et ce, comme un spectateur le souligne, même si le genre n'est pas aussi fort qu'à l'époque, à l'heure où les super-héros dominent dans les salles obscures.
Jonathan Nolan : J'espère que cette mode des super-héros va bientôt s'arrêter, même s'il y a eu de très bons films. Le western a eu une belle durée de vie, des années 30 aux années 60, je ne sais pas s'il en sera de même pour les super-héros, même s'ils s'illustrent aujourd'hui au cinéma et à la télévision. Ayant contribué plusieurs fois au genre [la trilogie Dark Knight et le scénario de Man of Steel, ndlr], je ne suis pas certain qu'il vieillisse bien car les films peuvent vite être datés : il y a quand même quelque chose d'étrange dans cette idée de voir un type en collant casser la figure à d'autres gens.
Le western est un genre plus solide mais ce qu'il y avait de plus terrifiant lorsque nous préparions la série, c'est que la moitié tournait autour d'un genre mort. Mais c'était déjà le cas à l'époque du film de Michael Crichton, en 1972-1973 : le western était clairement sur le déclin. Heureusement pour nous, le western est très consistant et simple, et il a donné naissance à beaucoup de grands films. J'ai grandi avec les films de Sergio Leone notamment, et le western est fascinant quand on est enfant. Mais il n'a pas la structure sous-jacente de Westworld, qui nous fascine, à savoir cette étude du Bien et du Mal, du libre arbitre, avec ces personnages qui veulent créer un système éthique à partir de leur monde. Et peut-être que nous n'en avons pas terminé avec le western.
"Mondwest", le film par lequel tout a commencé :
QUELS THÈMES POUR L'AVENIR ?
Lisa Joy : Cette série parle de l'émergence d'une forme de vie, et de ce qu'il se passe à partir de là. Nous nous servons de ce point de départ pour examiner la nature humaine et au fur et à mesure que Dolores et (elle marque une légère pause, comme si elle venait de manquer de faire une révélation) les hôtes vont continuer à faire ces choix et étendre leur univers en s'infiltrant dans notre monde, des thèmes vont naître de cette situation. Nous avons volontairement fait en sorte que la sympathie du public se déplace [vis-à-vis des personnages]. Il n'y a plus cette idée binaire, du Bien contre le Mal, du chapeau blanc contre le chapeau noir. Nous plongeons de plus en plus profondément au cœur des personnages et vous découvrez des nuances de gris chez chacun, car les circonstances révèlent divers aspects des protagonistes. Nous allons continuer sur cette lancée de façon plus large.
Jonathan Nolan : Parmi les choses qui nous stimulent le plus, sur le plan thématique du moins, il y a les possibilités que chaque saison nous offre. Et nous verrons ce qu'il se passe dans les trente prochaines années [du récit]. Car après avoir développé nos thèmes dans un monde artificiel, nous voici face à un défi amusant et terrifiant qui est de construire le monde réel du récit, et ce que Dolores et les autres vont y trouver.
L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
Lisa Joy : Les gens ont tendance à minimiser la menace que représente l'intelligence artificielle et des séries comme la nôtre tendent à lui rendre service. Si vous pensez que la menace ne peut que prendre la forme d'Evan Rachel Wood avec un pistolet, vous avez raison de ne pas avoir peur, car ça n'est pas ainsi qu'elle se développera. La version plus inquiétante est celle que Delos construit dans la saison 2, à savoir une machine qui regroupe des données humaines, afin de pouvoir prédire nos mouvements. Et il ne faut pas chercher trop loin pour visualiser cela. Il suffit de se connecter sur Amazon ou Google, et voir que l'ordinateur sait ce dont j'ai besoin avant que je ne le formule, qu'il emmagasine des données me concernant.
En tant que telles, les données sont inoffensives, jusqu'à ce que vous puissiez les rassembler et commencer à organiser la réalité de façon sélective pour les individus, en les mettant dans des silos de plus en plus grands et profonds. C'est la fin des vraies conversations, des réfléxions et connexions profondes, ce que je trouve franchement terrifiant. L'ironie du moment est que les informations sont très clivantes, surtout aux États-Unis actuellement, avec cette notion de "fake news". Mais si vous ne pouvez pas vous mettre d'accord sur la réalité, comment pouvez-vous progresser ? Écrire de la fiction devient alors un travail particulièrement étrange : je ne prétends pas aborder la réalité car j'écris une histoire, mais celle-ci a du sens pour moi.
Je suis émue rien qu'en y repensant, et c'est sans doute le jet lag qui fait cela, mais nous avons une histoire cette saison, dans laquelle Maeve fait tout ce qu'elle peut pour retrouver sa fille. Et je n'ai pas dormi de la nuit car j'ai lu des histoires terribles sur des parents en quête de liberté mais séparés de leurs enfants. Je ne peux pas imaginer un destin plus atroce que celui-ci.
DÉJÀ UNE FIN EN TÊTE ?
Lisa Joy : Lorsque nous écrivions le pilote, nous avons eu une idée de fin pour la série. Et jusqu'ici nous n'avons pas dévié de cette possibilité. Une partie de cette saison fonctionnait comme un récit édifiant, une mise en garde contre l'orgueil démesuré, et nous ne voulons pas avoir les yeux plus gros que le ventre. Nous n'essayons de deviner combien de saisons nous allons faire mais il y a des moments auxquels nous voulons arriver, et j'espère que nous y parviendrons dans le temps qui nous sera imparti.
ET CETTE SCÈNE POST-GÉNÉRIQUE DU FINAL ALORS ?
Si vous êtes restés jusqu'à la fin du générique, vous savez que l'Homme en Noir est en réalité un hôte. Mais dans un parc laissé à l'abandon, ce qui soulève bon nombre de questions auxquelles Lisa Joy et Jonathan Nolan ont accepté de répondre. En partie.
Lisa Joy : C'est définitivement un aperçu de quelque chose que nous allons explorer plus tard. Ce qui nous intéresse vraiment dans cette histoire d'intelligence artificielle, c'est le côté moral. Mais nous en parlons de façon épique, sur le plan de l'échelle comme du temps. La fin de cet épisode donne une indication sur l'ampleur que nous cherchons à atteindre.
"WESTWORLD" IS THE NEW "LOST" ?
Lisa Joy : Du côté de Lost et de Damon Lindelof, il y a cette idée de la "Mystery Box" qu'il ne faut pas trop ouvrir et disséquer car c'est davantage un générateur d'idées. C'est une façon à la fois fascinante et engageante de raconter une histoire. Mais de notre côté, nous avons plutôt envie de démanteler la "Mystery Box", l'étudier sous toutes les coutures, en réassembler ses parties comme s'il s'agissait de Lego, voir ce que cela donne. Dans chaque saison, nous essayons de nous pencher sur les questions que nous posons. Nous avons une réponse pour chaque question, et nous essayons d'en vendre plus, à l'image de la scène post-générique avec l'Homme en Noir qui indique ce vers quoi nous voulons aller.
Jonathan Nolan : Lost était une série fantastique et l'une des raisons qui m'ont donné envie de travailler avec J.J. à la télévision. C'était magnifiquement fait, spectaculaire et avec de grands épisodes, le récit était fascinant. Mais nous abordons davantage Westworld comme une franchise de films, chaque saison répondant à des questions tout en en posant d'autres auxquelles nous répondrons dans la suivante. Nous ne voulons pas que cela dure éternellement.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Londres le 19 juin 2018