AlloCiné : Comment est née l'histoire du "Voyage de Lila" ?
Marcela Rincón González : Michel Ende est l'un de mes écrivains préférés et un jour en lisant un de ses livres, je suis tombé sur une de ses réflexions : qu'arrive-t-il au personnage d'un livre quand personne ne le lit ? Et je voyais parallèlement avec un brin de nostalgie comment les écrans captaient de plus en plus l'attention des enfants. J'ai alors commencé à penser à Lila et à ce que cela pourrait donner de tomber dans l'oubli.
Que pouvez-vous nous dire de votre approche graphique du monde de Lila, clairement inspiré des livres pop-up ?
Puisque le livre de Lila est un livre pop-up, nous voulions que sa représentation dans le film ait clairement ce style et que, par sa forme, sa couleur et sa composition, cela soit différent du reste du film. Une des choses que je voulais dire à travers cette histoire, c'est que la magie est autour de nous. C'est pourquoi dans le monde de Lila nous voyons différents espaces naturels de la Colombie qui sont spéciaux pour elle et avec lesquels elle a une relation très profonde.
Le reste du film a un traitement graphique différent, entre le monde réel et le monde de l'oubli. Comment avez-vous abordé ces univers ?
Chacun des mondes du film a des symbologies différentes et c'est pourquoi nous menons diverses explorations avec l'intention de l'exprimer clairement. La jungle, par exemple, qui parle de la mémoire du monde, est exubérante, ses formes sont courbes, elle est colorée et elle a beaucoup de brillance qui parle de magie. Soit le contraire de l'oubli, qui est un lieu de mort, presque monochrome, très plat dans le désert et industriel dans la forteresse. Il y a d'autre part Cali comme un intermédiaire de formes, de couleurs et de proportions qui agit comme un pont entre les mondes magiques.
Quelles ont été vos inspirations pour le monde de l'oubli et le maître de l'oubli ?
Dès le début, ce lieu a généré en moi de nombreuses métaphores, en pensant à la Vallée des Promesses Oubliées ou à la Mer des Souvenirs, par exemple très provocante. Nous sommes arrivés au désert en contraste avec la jungle, nous avons étudié le désert de Tatacoa et ses formations rocheuses ainsi que le travail de certains artistes tels qu'Enrique Alcatena et Shaun Tan. Le maître de l'oubli est né après une longue exploration où nous avons traversé de nombreuses idées pour atteindre une sorte de moine. Les vautours ont toujours été choisis pour parler des animaux charognards : ces personnages ont une finition très différente des autres, avec des bords irréguliers et une animation un peu plus rustique.
A l'image des contes de fées, le film peut faire peur à certains enfants dans les scènes avec ces oiseaux ou dans le monde de l'oubli. C'est important de retrouver ce sentiment dans une histoire pour enfants ? Comment trouver le bon équilibre et le bon niveau de peur ?
Je crois que dans les histoires pour les enfants, il est important d'aborder tout ce qui est inhérent à la vie, la peur, l'émotion, la tristesse, la joie... Toutes les émotions sont importantes. Dans le cas du Voyage de Lila, il y a des moments de grande intensité que l'histoire pose et qui génère de la peur chez certains très jeunes enfants : cependant j'ai toujours pensé que le film était pour les enfants de plus de 6 ans, avec qui j'avais la possibilité de faire des projections différentes pour vérifier qu'il y a eu une réponse positive.
Que souhaitez-vous que les enfants et les parents retiennent de ce film ?
Je pense que la chose la plus importante pour un auteur est que son travail atteigne le coeur du public, c'est ce qui me semble le plus beau. La première en Colombie était très excitante parce que beaucoup de gens se sentaient très touchés par différents aspects du film. Beaucoup d'enfants, par exemple, après avoir vu le film, sont venus chez eux chercher leurs livres pour ne pas tomber dans l'oubli, d'autres sont allés écouter les guaduales ... Cela me rend très heureuse.
Quel livre pour enfant à marqué votre vie ?
L'Histoire sans fin, Momo et en général tout le travail de Michel Ende ont marqué ma vie. Il y a aussi Le Petit Prince et le travail de l'auteur colombien Jairo Anibal Niño.
Votre film, comme le "Coco" de Pixar récemment, traite du souvenir et du fait que l'oubli est la vraie mort. C'est une notion importante dans la culture latino-américaine ?
C'est assez drôle que vous posiez la question. Le Voyage de Lila est un film qui a pris huit ans pour être concrétisé dans tout son processus. Et juste quand il se terminait, j'ai commencé à voir d'autres films traitant de sujets similaires. Et c'est une vraie coïncidence qu'il y ait eu ce besoin en Amérique latine de valoriser la mémoire et surtout d'apprendre des erreurs du passé.