Vendredi dernier, en fin de journée, la Fnac des Ternes, dans le 17e arrondissement de Paris, recevait Brian de Palma et Susan Lehman, sa compagne, pour une discussion autour de leur premier roman écrit à quatre mains, Les Serpents sont-ils nécessaires ?, un roman noir à l'esprit pulp qui se déroule dans l'univers de la politique.
De quoi parle le roman ?
Barton Brock est le directeur de campagne de Joe Crump, qui a pour adversaire le sénateur Lee Rogers dans l'Ohio. Les choses se présentent mal pour Crump ; il est incapable de faire jeu égal avec le charismatique Rogers, redoutable débateur. Une seule solution : compromettre Rogers qui a un talon d'Achille. Bien que marié à une femme fort respectable, il ne peut s'empêcher de sauter sur tous les jupons qui passent à sa portée. Côté jupon, Brock a trouvé ce qu'il faut en la personne d'une blonde renversante nommée Elizabeth De Carlo, serveuse au McDo local. Quoi de plus simple que de séduire le sénateur Rogers et de prendre une petite photo qui sera diffusée dans tous les médias et sur tous les réseaux sociaux ? Brillant. Sauf qu'Elizabeth a plus d'un tour dans son sac...
Ecriture à quatre mains
« On a écrit ce livre car ça nous amusait beaucoup, à la table du petit déjeuner, du dîner », raconte Brian De Palma. « Ça s'inspirait de plein d'idées de scripts que j'ai eues au cours des années. Je me trouvais à un moment un peu délicat, et l'écriture de ce livre a été une espèce de soulagement par rapport à ce qui était alors mon quotidien : discuter avec des responsables de studios très inquisiteurs car je travaillais sur un projet de film sur Joe Paterno et un autre coach impliqué dans des scandales sexuels. »
Au sujet de l'écriture à quatre mains, Susan Lehman explique : « Brian est un être des intrigues et des dialogues. C'est quelqu'un qui a un style d'écriture très visuel. Il a apporté les éléments qui ont constitué les piliers de l'histoire. Brian a donné la structure et petit à petit, on a échangé et on a comblé toute cette structure. » Elle ajoute : « La question de l'intériorité était quelque chose de nouveau pour Brian, avec laquelle il a beaucoup joué, car ça ne fait pas partie de la boîte à outil du cinéaste et ça lui permettait de mettre en évidence la multiplicité des points de vue, un peu à la manière du split screen. »
Le monde fabuleux des scandales politiques...
Dans ce roman, on retrouve un peu l'ambiance de campagne politique qui existait dans dans Blow Out, en 1981. « Je suis la politique, élection après élection. Il y a beaucoup d'histoires qui peuvent faire l'objet de très bons scénarios ou de très bons livres. Il y a eu ce scandale John Edwards lorsqu'il était candidat à la présidentielle. Ca m'a particulièrement intéressé, car Rielle Hunter [qui a eu une aventure avec lui, cela avait fait scandale à l'époque] produisait des webisodes qui permettaient d'entrevoir ce qui se passait réellement. Et quand je les ai regardés, j'avais vraiment l'impression qu'Edwards flirtait avec la jeune femme derrière la caméra. Et il se trouve que j'avais raison... »
A propos du personnage de Crump, candidat républicain un peu limité intellectuellement, dont on se dit qu'il ne peut inspiré que par Trump, Susan Lehman plaisante : « On a écrit le livre avant l'élection de Trump. Je crois qu'on est des prophètes ! »
... et sexuels
Le roman interroge également la place du sexe et du pouvoir sexuel des hommes sur les femmes, souvent plus jeunes. Au contraire de Blow Out, où le personnage féminin est représenté comme une victime, Elizabeth De Carlo, dans le roman, retourne la situation à son avantage.
« Elizabeth De Carlo se fait weinsteiniser, dans un sens, et elle résiste pour pouvoir se venger. Finalement, elle parvient à le faire d'une manière extrêmement inattendue et c'est vraiment jouissif je pense. Le scandale Weinstein est générateur d'idées pour moi. Au cours de ma carrière de réalisateur, j'ai pu voir de nombreux comédiens ou stars harceler leurs partenaires ou leurs assistantes. D'ailleurs, j'ai écrit un scénario très rapidement, car j'ai eu l'envie d'en fait un film d'horreur absolument terrifiant. »
Des références à Preston Sturges et à Alfred Hitchcock
Le titre du roman, Les Serpents sont-ils nécessaires ?, est un clin d’œil à un classique de la comédie hollywoodienne des années 1940, Un cœur pris au piège de Preston Sturges. « On regardait ce film, se souvient Brian De Palma. Le personnage d'Henry Fonda étudie les reptiles, il est passionné par ça. A un moment, il lit un livre qui pose la question suivante : les serpents sont-ils nécessaires ? J'ai trouvé que ça en disait long sur le personnage et ses obsessions ! »
Le cinéaste, dont les films manifestent en permanence son obsession pour le cinéma d'Alfred Hitchcock, fait référence à Vertigo dans le roman : « On m'a comparé si souvent à Hitchcock que c'en devenu une blague. Une blague d'assez bon goût, d'ailleurs ! Du coup je me suis dit que j'allais le citer à mon tour. Vous voulez du De Palma ? Vous allez avoir un peu de Hitchcock. Je trouvais intéressant d'intégrer dans le roman le tournage d'un film qui était l'adaptation du roman original de Boileau-Narcejac, D'entre les morts, qui a inspiré Vertigo. »
De Palma bientôt de retour au cinéma ?
En attendant de se mettre à la réalisation de son projet sur Weinstein ou de s'atteler à l'écriture un second roman avec Susan Lehman, Brian De Palma devrait bientôt sortir son dernier film, Domino, dont le tournage a été très difficile et sur lequel il est revenu brièvement :
« Le film était très mal financé. J'ai passé beaucoup de temps dans des chambres d'hôtel à attendre que l'argent pour qu'on puisse continuer à tourner arrive. J'ai passé 100 jours en Europe et on n'a pu tourner que 30 jours. Mais, je ne sais pas comment, on a quand même réussi à faire naître un film de cette situation complètement chaotique et j'espère que vous pourrez le voir bientôt. »
Les serpents sont-ils nécessaires ? de Brian de Palma et Susan Lehman, Ed. Rivages, 332 pages, 16 euros.
Retrouvez l'interview de Brian De Palma pour son film Passion :