Le Voyeur - Ressortie le 23 mai 2018
De Michael Powell avec Karlheinz Böhm, Moira Shearer, Anna Massey
De quoi ça parle ?
Mark Lewis est un jeune homme énigmatique et solitaire, passionné d'image jusqu'à l'obsession. Opérateur-caméra dans un studio de cinéma, il fait aussi des extras comme photographe de charme dans la boutique d'un marchand de journaux. Son appartement est un immense laboratoire rempli de matériels, d'appareils, de chimie. Là, il développe et visionne seul ses propres films à longueur de temps. La caméra toujours à portée de main, Mark Lewis dit tourner un documentaire mais il s'emploie en réalité à une démarche bien plus morbide: il traque la peur de la mort dans le visage de jeunes femmes…
Hitchcock vs. Powell
En 1960 sortent sur les écrans deux longs métrages mettant en scène un psychopathe, tous deux signés par des cinéastes anglais : Le Voyeur de Michael Powell et Psychose d'Alfred Hitchcock. Jamais le cinéma n'avait encore plongé aussi loin dans la psyché d'un tueur en série. Ces oeuvres vont marquer un tournant dans la carrière de leur auteur respectif mais d'une manière radicalement différente. Si Psychose est un immense succès commercial et critique, il n'en sera pas de même pour Le Voyeur...
En solo
Avant Le Voyeur, une grande partie de la carrière de Michael Powell est marquée par sa collaboration avec le cinéaste d'origine hongroise Emeric Pressburger. Une relation de travail qui débute en 1939 avec L'Espion noir et qui s'achève avec They're a Weird Mob en 1966. Ensemble, ils fondent la société Archers Film Productions et scénarisent et réalisent des chefs-d'oeuvre tels que Colonel Blimp, Le Narcisse noir, Les Chaussons Rouges ou encore Les Contes d'Hoffmann. En 1957, Archers Film met la clé sous la porte mais les deux hommes restent en bons termes (Pressburger scénarise en 1966 They're a Weird Mob mis en scène par Powell).
C'est donc en solo que Michael Powell signe Le Voyeur. Il porte à l'écran un script de Leo Marks, ancien cryptographe des services secrets britanniques, et dirige l'Autrichien Karlheinz Böhm -bien loin de la saga Sissi- dans le rôle d'un jeune homme introverti qui s'avère être un serial killer prenant plaisir à contempler la mise à mort de ses victimes.
Scandale
À sa sortie, Le Voyeur fait couler beaucoup d'encre. Des critiques jugent le film malsain, d'autres estiment qu'il faudrait l'interdire, voire en jeter les bobines dans les toilettes ! Lors de son exploitation en 1962 dans la célèbre 42ème rue à New York (ordinairement réservée aux films X et séries B, voire Z), le long métrage est projeté en noir et blanc dans une version tronquée.
La raison d'un tel accueil ? On accuse le film d'adopter le point de vue du tueur et de ne pas porter de jugement moral sur sa perversion. Pire, on considère qu'il s'agit d'une mise en abyme du cinéma, dans laquelle filmer revient à tuer (le "héros" cherche à fixer sur la pellicule la peur de ses victimes au moment de leur mort), renvoyant le spectateur à son statut de voyeur. Il s'agit également du premier film britannique "grand public" à afficher de la nudité féminine. Pour ne rien arranger, lors des séquences de flash-back, Powell incarne le père du tueur en série tandis que son propre fils interprète Mark Lewis enfant, le tout filmé dans la maison dans laquelle a grandi Powell. Une preuve supplémentaire de la perversion du réalisateur aux yeux de la presse.
Le film est retiré des écrans après quelques jours d'exploitation. Quatre mois plus tard, Psychose triomphe sur les écrans. La carrière de Powell ne s'en remettra pas. Il signe par la suite quelques productions mineures. Il faudra attendre la réhabilitation du film par un certain Martin Scorsese pour que Le Voyeur soit considéré à sa juste valeur. Le réalisateur italo-américain offrira d'ailleurs à Leo Marks, le scénariste du Voyeur, le rôle de Satan dans La dernière tentation du Christ. Par son esthétique et ses thématiques, Le Voyeur annonce non seulement le giallo (notamment ceux de Mario Bava et Dario Argento) mais aussi le cinéma de Brian De Palma et même... Frenzy d'Alfred Hitchcock.