Hirokazu Kore-eda était en compétition officielle cette année à Cannes pour présenter Une affaire de famille, chronique d'une famille défavorisée qui récolta la convoitée Palme d'or. Rencontre avec le cinéaste japonais par ailleurs réalisateur Tel père, tel fils et Third Murder, sorti cette année dans les salles.
AlloCiné : vous revenez à un sujet qui vous est cher, celui de la famille. Celle de votre film s'est un peu construite par le hasard, avez-vous voulu questionner la notion de famille dans la société d'aujourd'hui ?
Hirokazu Kore-eda : Mon intention initiale était plutôt de m'interroger sur ce qu'était une famille au-delà des liens du sang : dans quelle mesure on pouvait être une famille sans être lié par le sang et comment faire pour qu'elle fonctionne dans ces cas-là. Et depuis la projection du film [ici à Cannes] on me pose souvent la question de ce qu'est exactement la famille et je crois que ce n'est pas une question qui est dans le film mais qui nait à la sortie du film chez le spectateur, qui finit par se poser cette question-là en voyant ce qui se passe à l'écran.
Je suis peut-être allé un peu loin, mais j'ai eu le sentiment que chaque personnage de la famille représentait une situation (le travail en intérim, les petites retraites, le vol pour subsister), était-ce conscient ? Peut-être aussi que je me trompe complètement !
Je n'avais pas forcément l'intention que chaque personnage incarne un problème de société en particulier mas j'avais envie de décrire une famille qui est au bord du gouffre, sur le fil. Elle est toujours en danger et pourrait se retrouver dans les bas-fonds de la société mais qui, grâce à ces petites magouilles, arrive à garder la tête hors de l'eau. C'est pour cela que chaque personnage est relié à un des problèmes actuels de la société japonaise. J'avais envie de décrire cette famille qui n'est pas encore marginalisée et qui se bat pour ne pas l'être davantage.
Pour qui ne connaît pas les problèmes de société au Japon, pouvez-vous nous donner quelques éléments de la situation locale notamment concernant la précarité, sujet qui traverse votre film ?
Autrefois au Japon, la classe moyenne était très importante et aujourd'hui, elle se délite. Ce n'est pas une situation propre au Japon : le fossé se creuse entre les très riches et les très pauvres qui ont du mal à subsister en dépit du fait qu'ils travaillent. Parfois, ils peuvent toucher plus en allocations qu'en travaillant.
La maison de cette famille existe-t-elle réellement ou bien a-t-elle été construite pour le film ?
A votre avis ?
Je dirais vraie maison.
En fait, c'est un peu des deux. Lorsqu'on voit la maison de l'extérieur c'est une vraie maison, mais l'intérieur a été construit en décor. Sauf qu'il y a eu besoin de scènes montrant les enfants par exemple sortir de la maison par une porte donnant sur le jardin, là c'est un décor réel (...).
Comment avez-vous filmé dans cet espace si exiguë ?
Le fait de tourner en décors n'a pas empêché le chef opérateur de rencontrer des difficultés. Il a beaucoup travaillé à ce qu'il n'y ait pas de décalage entre la maison réelle et le décor en intérieur. Nous n'avions pas la possibilité d'enlever des cloisons, nous avons à peu près tourné dans l'espace conforme à ce qu'aurait été la maison.
Puisqu'on en parle, comment avez-vous travaillé avec votre directeur photo Ryuto Kondo et l'équipe lumière pour aussi bien parvenir à éclairer les visages dans ce film ?
Pour ce film-ci nous avons effectivement travaillé avec monsieur Kondo. C'est un film réaliste mais je cherchais aussi cet aspect poétique, donc nous voulions de la couleur afin qu'à travers l'image on puisse ressentir une chaleur et une richesse en dépit du fait que nous filmions une famille plutôt pauvre. Nous partagions cette conception et comme il est très talentueux, il a composé des cadres en me proposant de meilleurs découpages que ce que j'avais envisagé. J'ai donc pu me consacrer à la direction d'acteurs en lui faisant entièrement confiance : notre binôme a très bien fonctionné.