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    Cannes 2018 : Lars von Trier ou le retour du banni
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Banni du Festival de Cannes pendant sept ans, suite à la présentation de "Melancholia", Lars von Trier n'est plus persona non grata et a fait son retour sur la Croisette grâce à "The House That Jack Built". L'occasion de résumer les faits.

    JACOVIDES-BORDE-MOREAU / BESTIMAGE

    Mercredi 18 mai 2011 - Fin de matinée. Les journalistes cannois sortent de la projection de presse de Melancholia et beaucoup ont le mot "Palme" à la bouche. Certains en sont même persuadés : Lars von Trier va remporter le trophée suprême pour la seconde fois de sa carrière, onze ans après celui qui avait été remis à Dancer in the Dark par Luc Besson en 2000. Mais quelques heures plus tard, l'ambiance vire à la douche froide. Alors que son nouvel opus ne provoque pas la même polémique qu'Antichrist en 2009, le réalisateur s'en charge lui-même lors de la conférénce de presse.

    Interrogé sur son goût pour l'esthétique nazie, suite à des propos tenus peu de temps auparavant dans un journal danois, le cinéaste franchit la ligne jaune : "Je dis seulement que je comprends l'homme", déclare alors le cinéaste au sujet d'Adolf Hitler. "Il n'est pas vraiment un brave type, mais je comprends beaucoup de lui et je sympathise un peu avec lui." A ses côtés, Kirsten Dunst baisse les yeux, gênée, et le metteur en scène tente de rattraper le coup… avant de replonger : "Bien sûr je ne suis pas pour la Deuxième Guerre mondiale, je ne suis pas contre les Juifs. Je suis avec les Juifs bien sûr, mais pas trop, parce qu'Israël fait vraiment chier."

    DE PALME D'OR À PERSONA NON GRATA

    La provocation de trop de la part de cet habitué de l'exercice. Sommé de s'excuser par le Festival, il affirme être "ni antisémite, ni raciste, ni nazi", mais ça n'est pas suffisant : réuni en urgence, le conseil d'administration de Cannes emmené par Gilles Jacob le déclare "persona non grata" le 19 mai, avec effet immédiat. Il lui est par ailleurs demandé de ne pas aller chercher un éventuel trophée lors de la cérémonie du palmarès, où Melancholia remporte "juste" un Prix d'Interprétation pour Kirsten Dunst, que beaucoup voient comme un prix de consolation de la part du jury de Robert De Niro, alors que la Palme lui semblait promise.

    Replongé dans sa dépression, qu'il évoque régulièrement, Lars von Trier ne gamberge pas longtemps car son nouveau projet est annoncé peu de temps après. Il s'agit de Nymphomaniac, soit la vie sexuelle d'une femme, de 0 à 50 ans, découpée en huit chapîtres et envisagée en deux versions : une "soft" destinée aux spectateurs âgés de plus de 16 ans, et une classée X et techniquement complexe, puisque les têtes des acteurs (Charlotte Gainsbourg et Stacy Martin, alors inconnue, en tête) sont numériquement greffées sur des doublures pour les besoins des scènes explicites. Entre casting, rumeurs et désistements (celui de Nicole Kidman notamment), le long métrage fait frémir le public dès qu'il pointe le bout de son nez dans l'actualité.

    Alors que les premières photos sont dévoilées, il ne faut pas longtemps pour que les cinéphiles espèrent le pardon de Gilles Jacob et Thierry Frémaux, pour que Lars von Trier offre au Festival de Cannes 2013 une séance hot et sulfureuse. Il n'en est rien et le film sort dans nos salles en deux parties, le 1er et le 29 janvier 2014, avant de s'illustrer à Berlin où Shia LaBeouf vole la vedette à Lars von Trier en quittant la conférence de presse avec une citation d'Eric Cantona, avant d'arborer un sac en papier portant l'inscription "I am not famous anymore" ("Je ne suis plus célèbre") sur la tête sur le tapis rouge.

    Au regard des attentes suscitées, le box-office est très déçevant et la version longue et non-censurée rectifie un peu le tir. Et Lars von Trier décide alors de se tourner vers le petit écran, plus de vingt ans après L'Hôpital et ses fantômes, avec une série intitulée… The House That Jack Built. Soit l'histoire d'un serial killer découpée en huit parties dont le cinéaste décide finalement de tirer un long métrage, emmené par Matt Dillon, Bruno GanzRiley Keough et Uma Thurman, comme il l'annonce en février 2016. Et il n'en faut pas plus pour que le mot "Cannes" ne soit associé à son nom.

    Je ne pense pas pouvoir faire d'autres films après celui-là

    En mars 2017, le cinéaste laisse entendre que son retour sur la Croisette n'est pas impossible et que The House That Jack Built serait son dernier long métrage : "Je me sens trop mal. Je me sens tellement anxieux. Je crois que je deviens trop vieux pour ça", déclare-t-il alors. "Travailler sur un plateau et me démener avec des acteurs, même s'ils sont adorables, représente un sacré challenge. Je ne pense pas pouvoir faire d'autres films après celui-là." Et quel meilleur endroit que la Croisette, où ses œuvres présentées en Compétition ont remporté neuf prix pour faire ces adieux ?

    Le 12 avril 2018, lorsque Thierry Frémaux annonce la sélection du 71ème Festival de Cannes, The House That Jack Built se range aux côtés de The Brothers Sisters de Jacques Audiard et Ma vie avec John F. Donovan de Xavier Dolan parmi les grands absents. Sauf qu'il est confirmé que ces derniers ne seront pas de la partie, alors que le retour du premier est officialisé une semaine plus tard. Mais hors-compétition et sans conférence de presse, preuve que tout n'est pas pardonné dans le Sud de la France.

    Et c'est le lundi 14 mai 2018, à 22h30 et dans un Grand Théâtre Lumière chauffé à blanc, que l'enfant terrible renoue pour de bon avec la Croisette… et le goût de scandale, puisque The House That Jack Built enchante une partie du public et provoque des claquements de sièges et autres réactions épidermiques suite à une poignée de scènes choc dont le cinéaste a le secret, prouvant ainsi qu'il n'a pas perdu la main en matière de provocation. Un retour gagnant en attendant de renouer avec la Compétition, s'il devait décider que ce long métrage ne serait finalement pas son dernier ? Affaire à suivre, mais la flamme de cette histoire d'amour semble ravivée.

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