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    Cannes 2018 - Plaire, aimer et courir vite : "J'essayais de renouer avec l'état de mes 20 ans", explique Christophe Honoré

    Onze ans après "Les Chansons d'amour", Christophe Honoré renoue avec la Compétition grâce à "Plaire, aimer et courir" vite, opus aux accents personnels porté par Vincent Lacoste et Pierre Deladonchamps, et dont le cinéaste nous a parlé.

    Révélé à Un Certain Regard en 2002, grâce à 17 fois Cécile CassardChristophe Honoré est un habitué de la Croisette. Mais Plaire, aimer et courir vite n'est que sa deuxième participation à la Compétition, onze ans après la présentation des Chansons d'amour. Deux longs métrages qui se répondent même si le dernier en date, centré sur la romance entre un jeune étudiant breton et un écrivain parisien condamné par la maladie, s'avère plus posé et réfléchi. Et plus personnel que ses opus précédents.

    AlloCiné : Il est presqu'étonnant de vous voir passer des deux adaptations qu'étaient "Métamorphoses" et "Les Malheurs de Sophie" à ce film, qui paraît nettement plus personnel. Est-ce en réaction au précédent que vous vous êtes lancé sur ce projet ?

    Christophe Honoré : Oui et c'est un peu pareil pour tous les cinéastes. Lorsque vous faites vos premier, deuxième et troisième film, ce sont souvent des sujets que vous portez depuis un moment. Puis il y a comme une organisation du travail - même si ça n'est pas très beau comme terme - et cette idée qu'il est important que les films se répondent ou s'opposent, offrent des perspectives de mise en scène différentes. Après Les Malheurs de Sophie, qui était un film d'époque avec des enfants âgés de 4 et 5 ans, j'avais déjà envie de retrouver de vrais acteurs.

    Enfin, des acteurs professionnels (rires) Capables d'apprendre un texte et que je puisse diriger. Je voulais également revenir à un style très contemporain et urbain, et ne plus me retrouver dans des parcs et châteaux. Et il y avait la volonté, le plaisir d'écrire un scénario où le récit à la première personne était presqu'une discipline que je m'imposais au moment où j'écrivais, c'est-à-dire ne surtout pas penser que j'allais fabriquer des émotions qui seraient un peu lointaines de moi. Je voulais pouvoir ressentir et revendiquer chaque scène.

    Et dans cette optique de "revendiquer chaque scène", peut-on dire que le film est autobiographique ?

    C'est ce que je trouve étrange au cinéma : vous pouvez être sur une intimité très forte mais, dès que vous vous retrouvez sur un tournage, la présence des acteurs, la mise en scène et le découpage vous éloignent de l'idée de l'autobiographie. Ou de l'autofiction telle que l'on peut l'entendre en littérature. Là j'avais l'impression qu'il fallait que je sois fidèle à ma mémoire, que le film se raconte au présent et non pas dans l'idée de nostalgie d'un cinéaste quadra qui regarde ses 20 ans. Je cherchais à retrouver une émotion qui est propre à une émotion de jeunesse. Presque comme un comédien, j'essayais de renouer avec l'état de mes 20 ans, quand je rêvais de faire du cinéma, et le genre de cinéma que j'aimais voir, ce qui me faisait aller dans les salles. Je voulais que les séquences répondent à ce désir-là.

    Les Films Pelléas

    C'est pour cette raison que la rencontre entre les deux personnages principaux a lieu dans une salle de cinéma.

    Tout à fait. Et c'était assez rigolo pour moi, car j'ai confronté deux versions successives de moi : je me souviens très bien quand, à 20 ans, j'ai découvert La Leçon de piano [devant lequel les deux héros se rencontrent, ndlr] d'une manière absolument idiote, et c'est d'ailleurs ce que le personnage de Pierre Deladonchamps dit à celui de Vincent Lacoste. Je trouvais que c'était un peu académique, que c'était un livre d'images, alors qu'aujourd'hui je le considère comme un immense film qui me touche énormément. Je trouvais marrant de mettre deux personnages face à La Leçon de piano : un qui pérore un peu et l'autre qui lui fait réaliser qu'il est complètement con s'il ne se rend pas compte de ce qu'il a sous les yeux.

    J'aimais cette idée. Ce n'est pas que les goûts changent, mais il y a des films qu'on a besoin d'aimer à 20 ans. Ou auxquels on veut s'opposer car ils ne correspondent pas à des goûts personnels. C'est juste qu'aller au cinéma et lire des livres quand on a 20 ans, c'est aussi se définir. Mais vous abandonnez cela au bout d'un moment, surtout lorsque vous êtes devenu cinéaste. A l'écran cela donne un hommage étrange à La Leçon de piano, mais c'était pour moi une manière forte de rendre cet hommage.

    Faut-il en déduire, pour cette raison, que vous n'auriez pas pu faire "Plaire, aimer et courir" vite il y a dix ou quinze ans ?

    Je pense que oui. Là je vois qu'on me parle des Chansons d'amour en me disant que ce film est dans le même esprit. Je comprends très bien pourquoi on me dit ça : c'est le même chef opérateur, Rémy Chevrin, on a travaillé dans des couleurs un peu identiques, il y a la déambulation dans Paris, une espèce d'attention donnée au langage amoureux. Mais en matière de mise en scène, ce sont deux films absolument différents. Je ne me serais jamais permis, dans Les Chansons d'amour, d'installer des séquences qui se déplient de la sorte sur la durée, et où la mise en scène est toujours comme attentive et à l'écoute de ce que les comédiens font avec le texte.

    Et c'est un film moins heurté que Les Chansons d'amour, qui prend son temps pour se raconter. Les Chansons d'amour était très resserré sur le trio, avec un changement lorsque Grégoire Leprince-Ringuet prenait la place de Clotilde Hesme, alors que les personnages secondaires sont importants ici. Ils viennent énormément nourrir les principaux.

    Il y a cette idée de mémoire accidentelle provoquée par des éléments inattendus

    Je n'aime pas beaucoup le terme que je vais employer, mais je pense que beaucoup vont parler de "film de la maturité"…

    Film de vieux même, vous pouvez le dire (rires)

    Il y a ce côté plus posé et apaisé que dans "Les Chansons d'amour", effectivement plus heurté.

    C'est aussi parce que Les Chansons d'amour s'est fait d'une manière absolument insensée : j'avais fait un petit film qui s'appelait Dans Paris et avait bien fonctionné, auprès de la presse comme du public, et je réfléchissais au suivant. Et Paulo Branco, le fameux [car au cœur d'un procès avec Terry Gilliam autour de Don Quichotte, ndlr], m'a incité à tourner au plus vite, alors que nous ne devions initialement faire que deux films ensemble. Face à son insistance, j'ai accepté en lui disant que je voulais faire une comédie musicale, ce qu'il a d'abord refusé. Je lui ai alors dit que je ne ferais rien, et il a fini par nous donner le feu vert.

    Les chansons d'Alex Beaupain existaient déjà, j'ai écrit le scénario très rapidement, on a tourné en février et nous étions à Cannes quelques mois plus tard. C'était un peu insensé. Nous avons tourné le film en trente jours, mais c'était un geste beaucoup plus spontané.

    On sent que "Plaire, aimer et courir vite" est plus réfléchi.

    Oui, c'est dans ce sens-là qu'on retrouve le côté mature ou vieux dont vous parlez (rires) Ce film est plus réfléchi car ça fait des années que je retarde le moment de m'y mettre, mais je sens qu'il a profité de ce temps de gestation.

    Les Films Pelléas

    Vous avez dit plutôt ne pas vouloir être dans un esprit de nostalgie par rapport à l'époque que vous recréez. C'est pourtant l'impression que l'on peut avoir lorsque vous mettez en scène le Paris du début des années 90, citez "Le Leçon de piano" et d'autres œuvres.

    Non, c'est très différent du fait de convoquer de sa mémoire. Car c'est ainsi que le film fonctionne : c'est plus inhabituel au cinéma qu'en littérature, mais il y a cette idée de mémoire accidentelle provoquée par des éléments inattendus. Ça peut être une chanson, un livre, une affiche, une manière de parler…, qui remet au présent un passé. Donc j'assume tout à fait ce travail sur la mémoire.

    La nostalgie, ce serait faire un film en disant que c'était l'âge d'or. Et je ne pense pas que l'on puisse le dire des années 90 en sortant du film. Je ne pense pas qu'il se complaise de manière sentimentale, ou de l'ordre du regret, dans l'idée que c'était mieux avant. Ça l'était car j'avais 20 ans, mais j'ai essayé de faire en sorte d'échapper à ce piège.

    Vous évitez le "C'était mieux avant" avec cette notion de mort omniprésente, et le film s'avère complémentaire de "120 battements par minute" en évoquant notamment le traitement des malades du SIDA. Considérez-vous votre film comme politique sur ce plan ?

    Il y a plein de manières différentes de l'être. On peut être politique dans l'idée du collectif, de parler au nom de quelqu'un, mais ça n'est pas ma manière de faire, ce qui ne veut absolument pas dire que je ne la respecte pas, bien au contraire. On peut aussi l'être en étant irrémédiablement subjectif et en ne prétendant représenter personne d'autre que soi, mais en ayant une discipline de sincérité qui fait que, finalement, on vise autre chose de la politique.

    C'est-à-dire que l'on espère offrir une image différente, inattendue du monde. J'essaye de le faire d'une manière douce et, je l'espère, pas solennelle. C'est davantage mon projet que de faire des films sociaux, que je peux admirer chez les autres mais que je ne me sens pas capable de faire.

    Construire une image où le bleu domine et règne en détruisant le reste des couleurs

    L'omniprésence de la couleur bleue, un peu froide, dans la photo vous sert-elle à souligner le fait que la mort plane constamment sur l'histoire ?

    C'est bizarre que vous associez le bleu à la mort, car c'est associé à la jeunesse pour moi. C'est pour cette raison que la période bleue, chez les peintres, est celle de l'apprentissage, et il y a dans le film l'idée de tableau d'un jeune provincial qui fait ses débuts dans la vie, ce qui est pour moi une part importante du récit. L'autre raison de cette omniprésence est qu'il est très difficile d'avoir des signes des années 90, qui ne sont pas faciles à représenter à l'écran. Si vous voulez faire un film dans les années 60, 70 ou 80, vous voyez très bien ce que vous allez faire.

    90 c'est compliqué, car c'est plus proche de nous déjà. Et c'est une période à la fois non révolue et déjà un peu engloutie, que l'on aurait gommée. Ma mémoire a gardé le souvenir du fait que les nuits étaient bleues. Quand vous vous baladez dans les rues aujourd'hui, tout est en sodium, orange. A l'époque, c'était des éclairages au mercure. J'ai ainsi souvenir d'avoir beaucoup traîné la nuit, et que les nuits étaient bleues donc je voulais qu'il en soit de même dans le film. Et c'est pour cela que nous avons commencé, avec mon chef opérateur, à construire une image où le bleu domine et règne presque, en détruisant le reste des couleurs.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Cannes le 10 mai 2018

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