L'édition 2018 de Séries Mania, qui se tient cette année pour la première fois à Lille, bat son plein depuis vendredi et s'achèvera ce samedi 5 mai, lorsque le jury dévoilera son palmarès lors de la cérémonie de clôture. Un jury présidé cette année par Chris Brancato, scénariste et producteur américain à qui l'on doit notamment la série à succès de Netflix Narcos, qu'il a co-créée en 2015 avec Carlo Bernard et Doug Miro. Une série qu'il a quitté à l'issue de la première saison, mais qui a marqué sa carrière et sa vie, comme il nous l'a raconté.
Alors qu'il travaille actuellement activement sur son prochain projet, Godfather of Harlem, avec Forest Whitaker, dont la chaîne câblée américaine Epix a récemment commandé une première saison de 10 épisodes, Chris Brancato a répondu à nos questions et a accepté de passer en revue sa carrière, de ses débuts en tant que jeune scénariste sur Beverly Hills en 1992 à sa passion actuelle pour les récits historiques centrés sur de grands criminels.
AlloCiné : Comment est-ce que vous vous êtes retrouvé président du jury de cette édition 2018 de Séries Mania et qu'est-ce qui vous a attiré dans ce "rôle" nouveau pour vous ?
Chris Brancato : C'est mon agent en Californie qui m'a fait part de cette opportunité et m'a demandé si cela pouvait m'intéresser. Je suppose qu'il en avait discuté auparavant avec le festival. Je me suis évidemment senti très honoré et j'étais ravi de cette proposition. Et au même moment j'étais en plein dans une période de négociations pour ma nouvelle série, Godfather of Harlem, et les choses étaient compliquées, cela ne se passait pas très bien. Et je me suis dit que si je disais "non" à Séries Mania alors les négociations pour ma série n'aboutiraient pas et je serais vraiment très énervé de ne pas être allé en France. Alors qu'au contraire si j'acceptais la proposition du festival, les choses se passeraient bien pour ma série, et je serais face à plein de chamboulements positifs dans ma vie. J'ai joué la carte de la superstition en fait (rires).
Mais plus sérieusement, j'ai beaucoup de chance d'être président de ce jury. Je vois des séries formidables chaque jour, en provenance du monde entier. Et c'est assez génial d'être ici, à Lille, et de faire partie d'un festival aussi bien organisé. J'ai rarement vu ça dans ma carrière.
En tant que président du jury, mais aussi en tant que téléspectateur, qu'est-ce que vous recherchez avant tout dans une série ? Qu'est-ce qui, selon vous, fait une bonne série ?
C'est une très bonne question. Avant tout, je me pose la question suivante : est-ce que cette série m'emmène dans son univers et est-ce que je m'attache à ses personnages ? Et évidemment, ensuite, est-ce que j'ai envie de regarder l'épisode suivant ? Puis le suivant ? Pour moi c'est la notion de base la plus importante pour tout téléspectateur : est-ce que j'ai envie de voir la suite de cette série ? Et ensuite, en approfondissant, je vais m'intéresser à la pertinence ou non de la série dans son propos par rapport à notre époque, aux prestations incroyables des comédiens, et aux qualités de production. Mais la notion de qualité visuelle ou production très haut de gamme importe moins, pour moi, qu'une bonne histoire.
CBS Television
Vous avez débuté votre carrière de scénariste en 1992 sur la série Beverly Hills. Qu'est-ce que vous avez appris d'Aaron Spelling, le producteur de la série, qui était l'un des maîtres du petit écran à l'époque ?
Aaron Spelling est tout simplement la première personne à m'avoir donné ma chance, à m'avoir permis d'écrire mon premier épisode de série. Aaron a débuté lui aussi comme auteur et il savait extrêmement bien développer des histoires, des concepts de séries. Il avait dès le départ une vision très précise de ce qu'allait être telle ou telle série. C'était une forme de génie. Et Aaron était aussi un homme vraiment très gentil. Je crois qu'il a permis à 87 scénaristes de voir leur premier épisode produit et diffusé à la télévision. Ce n'est pas rien.
Au cours de la masterclass que vous avez donnée il y a quelques jours, vous avez révélé que c'était votre idée à l'époque de faire de Dylan et Kelly un couple dans Beverly Hills, alors que Dylan était avec Brenda. Avec le recul, vous êtes fier d'avoir eu l'idée de former ce couple devenu si iconique ? Et fier qu'ils aient fini ensemble à la toute fin de la série ?
Oh, vraiment ? Vous m'apprenez quelque chose, je ne savais même pas qu'ils finissaient ensemble à la fin (rires). Alors oui, disons que d'une certaine façon je suis fier d'avoir prédit cela des années avant que cela ne se produise ! Mais ce qui est marrant c'est que j'étais persuadé que les fans allaient adorer ce nouveau couple et finalement je crois que nous avons reçu près de 10 000 lettres de reproches, dans lesquelles les téléspectateurs de Beverly Hills nous disaient qu'ils détestaient Dylan et Kelly ensemble (rires).
Vous êtes entre autres connu pour être l'un des créateurs de la série Narcos. Considérez-vous que Narcos a réellement marqué un tournant dans votre carrière de scénariste et de producteur ?
Oui, bien sûr, et ce pour plusieurs raisons. Narcos est une série qu'Eric Newman et José Padilha avaient vendue à Netflix, et j'ai renoncé à un contrat bien plus lucratif sur un autre projet pour pouvoir les rejoindre dans cette aventure. Donc c'était vraiment un projet passion pour moi. Et cela m'a fait réaliser à quel point la passion pour une série est importante. Car si les personnes qui l'écrivent ou la produisent le font avec passion, alors je pense que ce sera beaucoup plus facile pour le public d'en tomber amoureux. Et puis avec Narcos nous avons également eu la chance de toucher le monde entier. J'ai été vraiment surpris de voir la réaction des gens en Europe, en Amérique. Je n'avais jamais vu ça auparavant.
Netflix
Pourquoi est-ce que vous avez décide de quitter vos fonctions sur la série au terme de la première saison ?
J'ai mis en place le premier chapitre de la série, consacré à Escobar, mais j'ai rapidement eu du mal à supporter le fait d'être loin de ma famille durant si longtemps. Mon fils est autiste, et j'avais besoin d'être plus souvent à la maison pour mes enfants et pour mon épouse. Je voulais créer des séries qui ne nécessitaient pas que je voyage autant que sur Narcos.
En quoi diriez-vous que le fait de créer une série pour Netflix diffère d'être le showrunner d'une série de network ou d'une chaîne du câble ?
C'était une expérience vraiment très différente. Par exemple, lorsque j'ai proposé à Netflix de tourner une partie de la série en espagnol, ils ont été immédiatement très réceptifs à cette idée. Tout comme ils ont tout de suite accepté que la soirée soit tournée en Colombie. Et c'est exactement le genre de choses qu'une grande chaîne américaine n'accepterait jamais, par crainte de faire fuir les téléspectateurs ou de les perdre. Netflix ne pense évidemment pas de cette manière. Leur but est de gagner des abonnés, tout comme HBO ou Showtime. Ils étaient donc très ouverts à toutes nos propositions. C'était génial.
Que pouvez-vous nous dire sur votre prochaine série, Godfather of Harlem, qui vient d'être commandée par Epix ?
Godfather of Harlem raconte l'histoire de la "collision" entre l'univers de la criminalité et le mouvement des droits civiques au début des année 1960 à Harlem. Forest Whitaker incarne Bumpy Johnson, un personnage au sujet duquel j'ai déjà écrit auparavant. Mais ce qui m'intéressait vraiment dans cette histoire c'est le fait qu'à l'époque une guerre des mafias intense se jouait entre les gangsters afro-américains de Harlem et les mafieux italo-américains de East Harlem. Donc dans le fond c'est vraiment une série de gangsters. Mais il fallait que je rende ça différent, car aujourd'hui nous avons tous vu des tas de films ou de séries centrés sur des gangsters. Et c'est là que Bumpy Johnson devient fascinant. Il était ami avec Malcolm X, avec Mohamed Ali, et probablement même avec Frank Sinatra. Toutes ces connexions me paraissaient passionnantes à explorer. Sans parler du lien entre criminalité et droits civiques, et les conséquences que cela a pu avoir. J'y ai vraiment vu la possibilité d'une bonne série.
SND
À travers Godfather of Harlem, est-ce qu'on peut supposer que votre démarche consistera également à parler du présent à travers le prisme du passé ?
Tout à fait. Prenez ces quelques exemples : il y a actuellement une crise des opioïdes aux États-Unis, et il y avait une terrible crise des opioïdes à Harlem à cette époque-là. Nous faisons également face aujourd'hui à un vrai problème de violences policières, qui touche principalement la communauté noire, mais pas seulement. Et ces problèmes existaient déjà à l'époque. On parlait déjà de scission raciale, de scission politique. Le pays était complètement divisé. Et ce que l'on souhaite faire avec Godfather of Harlem c'est parler de 1963 en saison 1, de 1964 en saison 2, de 1965 en saison 3, et ainsi de suite jusqu'à 1968. Pour montrer à quel point nous avons vu l'Amérique changer au cours de ces quelques années.
Lorsque le projet a été annoncé au mois d'octobre dernier, on parlait d'une série préquelle au film American Gangster. C'est toujours ainsi que vous êtes en train de la concevoir ?
Je crois que j'ai fait une erreur à l'époque en disant cela. En réalité, je n'ai pensé à American Gangster qu'après avoir développé la série. Lorsque je me suis dit "Oh, c'est vrai, Bumpy Johnson apparaît au début d'American Gangster". Il était la patron de Frank Lucas, son "Parrain". Et à partir de là il était simple de dire que c'est un prequel, pour clarifier les choses dans l'esprit des gens. Mais si vous voulez, c'est seulement une série préquelle dans le sens où l'on s'intéresse à un personnage qui n'était développé que durant les 15 premières minutes du film. Mais je trouve que l'histoire de Bumpy Johnson est sûrement encore plus intéressante que celle de Frank Lucas.
Vous disiez vouloir confier la musique de la série à Kendrick Lamar. Il a entendu votre appel et accepté la proposition ?
Vous savez, Kendrick Lamar est une artiste très occupé (rires). Mais pour le moment nous sommes en tout cas partis sur l'idée que la série contiendrait beaucoup de morceaux très contemporains. On a vraiment envie qu'il y ait une part d'authenticité, mais aussi une atmosphère très contemporaine. Et nous avons donc discuté avec beaucoup d'artistes et de chanteurs qui figurent parmi les plus géniaux et les plus doués de la génération actuelle. Et sans en dire trop, certains se sont montrés très intéressés.
Peut-être Frank Ocean ?
Peut-être (rires). Ce qui est sûr c'est qu'il y aura pas mal d'artistes très différents.
Après Narcos, est-ce qu'on peut donc définitivement dire que vous êtes fasciné par les criminels ?
Oui, je crois qu'on peut le dire (rires). J'ai toujours aimé les drames historiques. Pouvoir faire des recherches et apprendre des choses fascinantes sur une époque. Par exemple, pour Narcos, j'ai lu beaucoup de livres sur Escobar, sur le narcotrafic en Colombie, sur les mesures prises par les États-Unis en rapport avec ce narcotrafic. J'ai interrogé des personnes qui ont vécu ces événements au plus près. Et pour Godfather of Harlem, j'ai suivi le même genre de processus. J'ai discuté avec de vieux gangsters de Harlem, les "nouveaux Bumpy Johnson". C'était passionnant. Et puis je crois aussi que la part sombre de l'âme humaine m'intéresse vraiment. Je trouve ça assez fascinant.
United International Pictures (UIP)
Vous vous êtes aussi essayé à la science-fiction au cours de votre carrière, en créant la série First Wave ou en signant le scénario de La Mutante 2. C'est un genre vers lequel vous aimeriez revenir un jour ?
Je pense oui, mais il faudrait que je trouve vraiment la bonne idée qui me ferait revenir vers la SF. Pour le moment j'aime beaucoup ce que je fais avec le genre criminel. Mais la science-fiction reste un genre qui m'intéresse beaucoup, donc pourquoi pas, oui.
Pour finir, puisque vous êtes le président du jury d'un festival de séries, pouvez-vous nous dire quelles sont vos séries préférées, et celles que vous adorez en ce moment ?
Cela ne va pas trop vous surprendre je pense, mais Les Soprano est évidemment tout en haut de la liste de mes séries préférées. J'adore aussi Black Mirror, la série française Braquo, The Crown. De plus en plus de séries internationales en fait. Et quand j'étais gamin j'étais fasciné par La Quatrième Dimension. Je me souviens encore par coeur de certains épisodes.
