Ce mercredi sort en salles Jersey Affair, premier film du réalisateur Michael Pearce, originaire de Jersey. Il y tourne dans son pays natal l'histoire de Moll, jeune femme au trouble passé qui rencontre un homme dont elle tombe amoureuse, Pascal, suspecté de meurtres. Rencontre avec un jeune metteur en scène qui a supervisé son film de la première ligne de scénario au dernier ban de montage.
AlloCiné : J'ai vu que le personnage de Moll est piégée par sa famille et libérée par Pascal, qu'elle aime profondément. Était-ce cette opposition qui vous intéressait ?
Michael Pearce : Oui, on peut voir le film comme un récit d'évasion. Moll a plusieurs prisons que sont l'île, sa famille dysfonctionnelle et la culpabilité pour le crime qu'elle a commis. On peut donc dire que c'est une histoire d'émancipation. Peut-être que paradoxalement il lui faut un monstre pour se libérer ? Peut-être est-elle le monstre et l'utilise-t-elle pour se libérer ? Cela dépend de votre lecture du film.
Pour revenir à cette opposition, Jersey est un endroit très beau, on s'y sent en sécurité et en même temps il y a des histoires horribles [de meurtres inexpliqués]. C'est ce que j'ai toujours trouvé ça passionnant. Comme le fait qu'une famille puisse donner au monde l'apparence que tout va bien mais qui en coulisses est comme un environnement hostile. De la même façon, Moll est calme, innocente, mais plutôt compliquée. Quant à Pascal, il peut être son prince charmant ou le grand méchant loup. C'est sur ces contradictions que j'ai bâti ce conte de fées pour adulte, plus complexe qu'une simple histoire pour enfants (...).
J'imagine que pour un film tel que le vôtre, le casting est très vite étudié de près. Comment cela s'est-il passé pour vos deux comédiens principaux ?
Jessie [Buckley] a été une découverte pour moi. C'est son premier film. Elle a fait quelques séries avant, que je ne connaissais pas. (...) Nous étudiions des actrices connues qui étaient trop importantes pour accepter de jouer dans un premier film. Et au final, ce n'est pas ce qui m'intéressait. Peut-être que le public les auraient connues car elles avaient joué dans Game of Thrones, mais je ne savais pas si elles pourraient jouer vraiment. Dans mon film, qui est plus une étude de personnages qu'un film de genre, tout reposait sur la performance. Ma directrice de casting [Julie Harkin, NdlR] m'a soufflé le nom de Jessie et elle nous a épatés ! Et dès qu'elle a été choisie, j'ai changé d'optique pour Pascal. Au départ, nous cherchions quelqu'un de plus musclé comme Matthias Schoenaerts, qui aurait ajouté de la tension lors de leurs scènes en tête à tête. (...) Puis, ma directrice de casting m'a conseillé Johnny Flynn, c'est un musicien britannique, vous le connaissez ?
Pas sa musique, non.
Il était dans un film d'Olivier Assayas, Sils Maria. Je ne le voyais pas dans le rôle de Pascal, puis je suis allé le voir dans la pièce The Hangman dans laquelle il était incroyable. C'était un caméléon : charmant et charismatique puis menaçant puis comique, vulnérable... Et j'ai trouvé ça très intéressant pour le personnage de Pascal. Avec lui le spectateur allait ignorer s'il fallait croire ou non à ses bonnes intentions.(...)
Quelle était votre méthode de travail avec eux ? Etes-vous adeptes des longues répétitions ante-tournage ?
Nous n'avions pas beaucoup de temps de répéter. Je les ai emmené à Jersey, je les ai laissé passer du temps ensemble plus que faire des tonnes de répétition. Nous avons pris quelques jours pour étudier les scènes. Comme ils ont été choisi cinq mois avant le début du tournage, nous avons énormément parlé [durant cette période], soit par Skype s'ils tournaient soir nous nous voyions à Londres. Nous parlions des personnages, partagions des films, des photos, des images. Je leur avais donné une biographie de cinq à six pages sur leurs personnages, mes recherches sur la psychopathologie, je les ai fait rencontrer un thérapiste qui a aidé les victimes de psychopathes. (...) Et ainsi sur le plateau, nous nous focalisions sur les questions pratiques.
Vous semblez préparer beaucoup, y avait-il la place pour des propositions de leur part une fois en plein tournage ?
Il y avait beaucoup des scènes que je voulais vraiment avoir telle qu'écrites. (...) Mais il arrive que quelque chose ne marche pas sur place : une page du scénario qu'on juge inutile, des répliques que l'on coupe ou qu'on décide de raconter autrement. Donc je n'improvise pas grand-chose mais [pour Jersey Affair] j'avais cinq ou six scènes pour lesquelles je voulais spécifiquement de l'improvisation, je les avais très peu écrites, ce sont les scènes romantiques entre les deux héros. (...) Nous tournions chaque scène pendant dix minutes et gardions les moments vraiment authentiques (...).
Vous avez parlé de votre attraction pour l'île de Jersey, mais au-delà des histoires qui vous ont inspiré pour ce film, pourquoi avoir choisi cet endroit précisément pour votre premier long métrage ?
J'aime les films qui montre de nouveaux paysages, de nouvelles textures. Jersey est l'endroit que je connais le mieux au monde. (Il saisit son téléphone) Si l'île est mon téléphone, alors j'ai grandi là (il pose le doigt sur le bas de l'appareil) sur la pointe sud et je la connais bien. L'endroit où l'on grandit est celui où la nostalgie et les émotions sont les plus fortes : c'est le lieu des premières fois : premier baiser, première bagarre, votre premier amour. Et je n'avais jamais vu Jersey au cinéma avant ou utilisé comme ça.(...) Jersey est très proche de la France, les rues portent des noms français mais la culture y est britannique. Enfant, j'étais fasciné par les histoires de fantômes qui y sont nombreuses et les histoires de procès pour sorcellerie au XVIIème siècle...
Ça ferait un bon sujet de film !
Oui (rires) ! Le cinéma britannique est très sombre, il pleut tout le temps et c'est très bien : nous avons une culture littéraire gothique importante. (...) Mais je trouvais plus intéressant d'avoir une histoire horrifique psychologique mais se déroulant l'été. Nous ne nous reposons pas sur le climat pour créer la tension.
C'est le moment de parler de la direction photo du film, qui met clairement en valeur cet aspect.
Nous avons choisi d'embrasser ce paysage luxuriant. Nos deux films de références pour les couleurs de ce film étaient les histoires d'amour enfermées dans des polars : La balade sauvage et Sailor et Lula. Nous ne voulions pas nous enfermer dans des références, mais cela nous a donné confiance dans notre idée d'aller vers les couleurs. Pour ce qui est de l'esthétique, lorsque Moll est prisonnière de sa famille ou de la communauté, nous posions la caméra (...) et faisions des lents zooms ou des lents travellings avec un montage lent. Lorsqu'elle est avec Pascal, amoureuse, nous tournions caméra à l'épaule, majoritairement dehors ou, en cas de scène en intérieur, en lumière naturelle. Le montage est alors plus impressionniste (...).
Quel est pour vous l'après "Jersey Affair", sur quoi travaillez-vous ?
J'ai deux projets. Le premier se passe à New York, le scénario m'a été apporté. L'autre est un polar entre un père et son fils, qui se tournerait au Texas. Je réécris un scénario existant. Je trouve le processus d'écriture laborieux. L'idéal serait que je trouve mon scénariste fétiche. J'ai mon directeur photo, mon monteur, mon chef déco, il me reste à trouver mon auteur.