AlloCiné : Vous venez de sortir "Dead Men’s Trousers" en Grande-Bretagne qui est déjà numéro un là-bas, tandis que "L’Artiste au couteau" sort enfin en version française. Quel succès !
Irvine Welsh : C’est réjouissant à chaque fois, d’être numéro un des ventes. "L’Artiste au couteau" était allé jusqu’à la troisième place, donc je suis content d’être de retour en tête, bien sûr.
Pourquoi avoir choisi d’écrire un spin-off sur Begbie, spécifiquement ?
C’est le personnage le plus difficile à écrire. Renton, Sick Boy, Spud… je sais trop facilement ce qui pourrait leur arriver. Mais Begbie, je ne voyais pas très bien ce quel aurait été son avenir, hormis la taule ou la mort. Je me suis dit qu’il lui fallait un changement radical pour le rendre intéressant. A force de cogner sur les gens tout le temps et de provoquer le chaos, il y aurait forcément un contrecoup. Il fallait le faire repartir à zéro, d’une façon ou d’une autre. J’ai commencé à me demander ce qui pourrait le faire changer de vie et je me suis dit rien sauf l’amour et l’art. Eux seuls sont capables de provoquer des changements aussi radicaux. Je les ai donné tous les deux à Begbie, en le sortant de son environnement et en faisant de lui un artiste apprécié, évoluant dans un océan de bienveillance et dans un climat ensoleillé. Là, je me suis dit que c’était une bonne idée de le faire aller contre son instinct, tout en me demandant ce qu’il arriverait si, au fond de lui, il était resté un psychopathe ? Donc je l’ai gardé toujours aussi dangereux.
Vous vous êtes inspiré de quelqu’un en particulier ?
Non, mais ça arrive, parfois, dans la vraie vie. J’ai simplement profité des possibilités qu’offre la fiction pour donner à Begbie un nouveau tempérament, une nouvelle vie et lui faire prendre un virage majeur dans sa continuité. J’avais besoin de ça pour pouvoir écrire sur lui parce que c’est vraiment le plus difficile des quatre à raconter.
En gros, vous en avez fait un personnage diamétralement opposé !
Oui, mais seulement en surface. Il adopte ce personnage de façade pour mieux continuer à faire du tort aux gens, plus sournoisement, afin de s’épargner la prison.
Le livre ressemble à un film de vigilante, à la Get Carter…
Oui, ça ferait un film parfait ! (Rires) Un truc bien noir, bien dramatique…
Vous aviez l’intention de vous inspirer des récits comme Un justicier dans la ville ?
Oui, je savais que ça serait assez sombre, comme un film de vengeance. Je pensais plutôt à L'Homme tranquille qu’à Un justicier dans la ville. Ou au Train sifflera trois fois, pour le personnage principal déterminé à aller au bout de sa démarche. La première fois qu’on découvre que Begbie est toujours taré, c'est quand il plante quelqu’un avec une aiguille. Ça revient plus loin dans le récit quand il s’en prend à un jeune gars. On retrouve le psychopathe. Et puis ça finit en boucherie avec un type qui fut son patron, autrefois. Il est beaucoup plus à l’aise avec sa propre violence.
Il frappe de manière beaucoup plus chirurgicale.
Oui ! Et c’est ce qu’il fait le mieux. Le reste du temps, il essaie simplement d’avoir l’air d’un type qui se maîtrise.
On ne peut éviter de le rapprocher de vous, ne serait-ce qu'un peu, puisque tout comme lui, vous vous êtes expatrié aux États-Unis. Vous vous identifiez un peu à Begbie ?
Pas vraiment. Moi, j’adore toujours l’Écosse et j’aime y retourner, comme en Grande-Bretagne. Lui, il adore la Californie et déteste l’Écosse. Et c’est plus intéressant pour moi de créer ce personnage qui a changé d’avis et déteste ses origines, alors qu’il les a toujours revendiquées jusque-là. Dans "L’Artiste au couteau", il vient juste pour les funérailles de son fils ainé, mais il n’a qu’une idée en tête, c’est de rentrer en Californie. Et son ego en prend un coup en découvrant qu’il a laissé un vide dans son pays d’origine et que des gens ont pris sa place. Même si ce n’est plus ce qu’il recherche, ça l’énerve de voir qu’on l’a remplacé. C’est là que son tempérament psychotique refait surface.
Vous avez parlé avec Robert Carlyle, qui jouait Begbie au cinéma, de votre envie d’en faire un film ?
Bien sûr, qu’on en a parlé et il serait content d’être de la partie, mais je ne crois pas qu’un film sur Begbie en particulier intéresserait Danny Boyle . Ce serait mieux d’en tirer un petit scénario, d’aller chercher un jeune réalisateur inconnu et d’en faire un film à petit budget.
On fait le point sur Begbie parce qu’il lui arrive quelque chose de sensationnel et ensuite on rapatrie les trois autres dans l’histoire pour poursuivre l’aventure.
Vous venez de sortir une nouvelle suite à cette histoire en Grande-Bretagne, "Dead Men’s Trousers" ("Le Pantalon du macchabée"). On dirait même un livre en deux parties, avec une intro centrée sur Begbie et une suite plus collective.
Oui, d’abord on fait le point sur Begbie parce qu’il lui arrive quelque chose de sensationnel et ensuite on rapatrie les trois autres dans l’histoire pour poursuivre l’aventure. Ce nouveau livre est plus marrant et calme que les autres. La drogue est un élément moins essentiel que dans les autres, évidemment. Mais tous les quatre vont quand même s’attirer des ennuis en mouillant dans des affaires étranges, et le tout reste motivé par la vengeance, le remboursement des dettes et la rédemption. Je me suis beaucoup amusé à l’écrire et à réunir mes personnages.
On ne voit que très peu les autres dans "L’Artiste au couteau" et on les retrouve dans "Dead Men’s Trousers", d’où cette idée d’un récit en deux parties.
D’autant que, pour la première fois, ils sont dans la continuité l’un de l’autre. Donc ce spin-off sur Begbie peut aussi se voir comme un prequel à "Dead Man’s Trousers", la continuité de l’histoire des quatre héros de "Trainspotting".
Ça ne va jamais s’arrêter, cette histoire, en fait ?
Non ! (Rires) Je crois que j’ai fait le tour du sujet, maintenant. Je n’en sais rien, en plus. Je n’arrête pas de dire ça mais dès que j’ai une idée, je m’y recolle. Ce sont des personnages intéressants. Mais à la fin de ce nouveau livre, un des quatre va mourir. Donc ils ne seront plus jamais tous les quatre.
Ce n’est pas une blague ? Il y en a vraiment un qui meurt ?
C’est promis.
Qui sait, puisque vous vieillissez au même rythme que vos personnages, la vie vous donnera peut-être de nouvelles raisons de les faire vivre.
Tout ça n’est pas conscient. Comme je le dis souvent, c’est toujours le sujet qui vous choisit, plutôt que l'inverse.
Evidemment, je suis très impatient de savoir ce que vous avez pensé de T2 Trainspotting, sorti l’an passé.
J’ai vraiment trouvé ça super. John Hodge nous a sorti un scénario magnifique et Danny Boyle a été parfait, comme toujours. Les acteurs sont incroyables avec une mention spéciale pour Ewen Bremner qui a piqué la vedette aux autres. C’est lui qui est le plus touchant, dans le film. C’est une suite parfaite et très émouvante au premier film. Et puis ça m’a permis de retrouver John Hodge et Danny Boyle, de passer à nouveau un peu de temps avec eux, avec les acteurs, de leur parler de leurs personnages… Je pense même que les revoir ensemble m’a inspiré "Dead Man’s Trousers".
C’est drôle de penser qu’à présent, Trainspotting au cinéma est devenu quelque chose de très différent de votre saga littéraire. Les deux ne racontent plus la même chose.
Oui, c’était obligé, parce qu’on n’a pas tourné la suite, "Porno", quand il le fallait. Les acteurs avaient quinze ans de trop et le porno n’est plus un sujet aussi transgressif qu’il l’était en 2003. Dans mon livre, les personnages sont encore jeunes alors que les acteurs ont la cinquantaine, maintenant. C’est ce qui les a fait se détourner de mes livres. Mais il y a quand même beaucoup d’éléments de Trainspotting qu’on retrouve dans le film. Quand on y pense, d’ailleurs, la trame est à peu près la même : Sick Boy et Begbie cherchent à se venger de Renton. Ils construisent un bordel au lieu de tourner un film, comme dans mon livre. Ce n’est pas un gros changement : ils sont tout de même dans l’industrie du sexe. La structure reste la même avec ces jeux de manipulations.
"Skagboys" : les héros de Trainspotting débarquent en librairie dans un prequelA aucun moment, en voyant le film, vous ne vous êtes dit que les personnages que vous aviez créés n’étaient pas ceux-là ?
Non. Ce sont toujours bien eux, même si on leur demande de faire d’autres choses. Les acteurs, d’ailleurs, ont une très grande maîtrise de leurs personnages. Ils les connaissent aussi bien que moi. Faut pas être trop difficile non plus, d’ailleurs. Le cinéma et la littérature ce n’est pas la même chose. On ne cherche pas dans un film la transposition littérale d’un livre, on veut que ça respire et que ça trouve sa propre identité cinématographique. C’est plutôt un travail de remake que de transposition. D’ailleurs, j’ai déjà écrit des romans qui ont été adaptés au cinéma. Quand c’est fait littéralement, c’est moins excitant, on connaît déjà! J’attends d’une adaptation de l’audace, des idées neuves et inspirantes pour redécouvrir mon récit vu d’un autre angle.
Bizarrement, les films sont beaucoup plus proustiens que vos romans, alors que je vous croyais embarqué dans la rédaction d’une version écossaise de "La Recherche du temps perdu" !
L’élément nostalgique a été amené dans ce projet par Danny Boyle. Il voulait montrer dans son film comment les choses changent, comme les gens – et comme le public. Moi, je ne pense pas trop comme ça. Mais c’est normal : quand on construit un projet cinématographique, on est obligé de réfléchir au public qui sera intéressé. Dans le milieu littéraire, sauf si on travaille dans un genre précis, traditionnellement, on n’a pas à se préoccuper de l’argent dépensé. On écrit simplement un livre. Il suffit de se ménager et de travailler. En bossant pour le cinéma et la télévision, j’ai découvert qu’on est obligé de penser autrement. Mais dans l'édition, on peut écrire sans se soucier du succès.
En novembre 2016, vous avez annoncé qu’il y avait un projet d’adaptation de la saga Trainspotting en série. Où en est-on ?
J’aimerais beaucoup. Ça fait longtemps qu’on en parle. J’en ai parlé à Danny Boyle pour voir s’il était chaud. Il préfère s’en tenir à son adaptation cinématographique. Je vais en parler à John Hodge. D’ailleurs, c’est toujours Andrew MacDonald, le producteur des deux films, qui détient mes droits d’adaptation. Mais j’ai une idée pour que la série ait sa propre identité. Il faudrait repartir à zéro avec une autre équipe et d’autres acteurs, et avancer vite. Là, j’ai pris un an pour voyager un peu et écrire un nouveau roman. Je travaille aussi sur des films et des séries. Il faut que je me libère de cette charge de travail si je veux me consacrer à une série adaptée de Trainspotting.
Dommage : Danny Boyle vient de nous dévoiler sa série Trust. Il s’y connaît, maintenant, en séries !
Oui, mais c’est un projet original. Il a déjà fait l’adaptation de Trainspotting au cinéma. Il ne va pas la refaire à la télévision ! Ce ne serait pas intéressant, pour lui. A la limite, il pourrait continuer ses films, mais en faire un troisième serait compliqué, maintenant. En plus, les numéros trois, c’est toujours l’épisode de trop, comme pour Le Parrain. (Rires) Vous savez, on a essayé de faire "Porno" pendant des années et ça n’a pas marché. Et là, d’un coup, ça s’est fait. On s’est retrouvé ensemble à Edinbourg, on a passé un peu de temps tous ensemble et on s’est dit qu’on allait voir si ça fonctionnait. Et comme par magie, ça s’est fait. Donc on ne sait jamais ce qui peut arriver. Mais bon : Danny Boyle et John Hodge sont tous les deux très occupés. Moi aussi, d’ailleurs. Quand la sauce prend, on le sait très vite : les producteurs sont intéressés et le projet prend forme rapidement. Moi, je préfère les petits films plus confidentiels, plus simples à mettre en place que ces gros mastodontes.
Les mecs qui détiennent les droits de Spring Breakers nous ont demandé si on voulait faire la suite. Ça nous branchait, mais uniquement si on pouvait le faire complétement différemment.
Et votre suite à Spring Breakers que nous avions annoncée il y a quelques années ? Avez-vous avancé ?
A l’époque, c’était pour un ami cinéaste qui s’appelle Jonas Åkerlund. Il a fait Spun avec Mickey Rourke ainsi que Small Apartments. Jonas et moi, on cherche depuis longtemps un moyen de travailler ensemble. Les mecs qui détiennent les droits de Spring Breakers nous ont demandé si on voulait faire la suite. Ça nous branchait, mais uniquement si on pouvait le faire complétement différemment. On voulait mettre notre patte dessus et le premier film ne nous intéressait pas trop. Je l’aime bien, mais on avait fait le tour du sujet. Mais les gens qui produisaient le projet ont fait London Fields en parallèle qui a été un désastre. Je ne sais même pas si le film va sortir un jour : tout le monde s’est engueulé depuis le dernier Festival de Toronto. Tout ça a gelé notre projet. D’autant que Jonas et moi travaillons sur d’autres choses, maintenant. C’était surtout pour travailler avec lui que je m’étais attelé à cette suite de Spring Breakers.
Vous avez déjà réalisé un film vous-même en 2008. Ça vous intéresserait de vous y remettre ?
Good Arrows, pour la télé ! C’était marrant, mais je préfère m’en tenir à des courts métrages ou à des clips. On arrive sur le plateau, on a la pèche, on bosse comme un fou pendant trois ou quatre jours… Quand on me dit que je vais devoir tourner pendant quatre semaines, je me dis : "oh, putain…" (Rires). La première et la dernière semaine, ça va. Mais les deux du milieu, c’est un enfer. Je ne sais même pas comment les gens font. Quand je regarde Danny Boyle faire, je ne comprends pas. Il ne change même pas d’habitude. Alors que moi, quatre jours suffisent à me mettre sur les rotules. C’est un peu comme aller à Las Vegas. On s’éclate deux jours, mais le troisième est toujours de trop.
Donc vous ne vous y remettrez pas ?
Si on me file un super projet avec un scénario en or et plein de pognon, je m’y intéresserai forcément. Mais je ne demande rien et même si le cas se présente, je ne sauterai pas sur l’occasion. C’est dommage, d’ailleurs, parce que j'y suis beaucoup mieux préparé maintenant que je ne l’étais à l’époque.
Vous nous préparez des choses pour le grand ou le petit écran ?
Dean Cavanagh et moi, on a bossé sur le scénario d’un biopic sur le producteur de musique Alan McGee qui devrait se tourner cet été. On n’est pas loin d’avoir réuni les fonds. C’est Ewen Bremner qui jouera McGee. On a aussi un film de braquage féministe dans les tuyaux qui n’est pas loin d’être financé et devrait se tourner au printemps prochain.
La dernière fois que nous vous avions rencontré, vous nous aviez dit que Fitzcaraldo était votre film favori. Avez-vous une série à nous recommander ?
Comme tout le monde j’adore Peaky Blinders, qui se passe à Birmingham. Les personnages sont formidables. C’est la fusion entre les problèmes de l’époque victorienne et ceux d’aujourd’hui. C’est vraiment très bien fichu.
On vous a vu en 2016 dans le clip des Four Lions pour la chanson "We Are England". Êtes-vous toujours proche du monde de la musique ?
J’ai recommencé à faire le DJ récemment et je me balade de festival en festival. On vient d’enregistrer une chanson qu’on va sortir le 21 avril 2018, pour l’anniversaire d’Iggy Pop. On fera un petit événement à Miami. Ça va être sympa.
Vous touchez vraiment à tout !
Comme disait David Bowie : "Il faut se transformer en vacarme."
Il y a d’autres poètes qui ont le malheur de ne pas avoir une guitare.
Vous êtes toujours fâché contre Bob Dylan et son Prix Nobel ? Vous aviez posté des tweets hilarants quand il l’a eu.
Franchement, j’étais même plutôt plus content pour lui qu’il ne l’était lui-même. Il n’est même pas allé chercher son prix. Il a l’air de s’en foutre complètement. Il mérite des prix, évidemment, c’est un musicien génial. On dit de lui que c’est un grand poète… Je me dis simplement qu’il y a d’autres poètes qui ont le malheur de ne pas avoir une guitare.
On aurait pu croire, à travers ces tweets, que vous étiez déçu de ne pas l’avoir cette année !
Mais non ! (Rires) Je ne suis pas un mec à prix. À ma connaissance, on ne m’en a jamais décerné. Dans ma façon d’être et dans tout ce qui m’intéresse, je ne suis pas le genre. Cela dit, je prends ce qu’on me donne !
Une question-piège pour finir. Beaucoup de vos livres sont connectés, même ceux qui ne font pas partie de la saga "Trainspotting". On y retrouve des personnages qui font des apparitions ici et là. Pouvez-vous nous résumer comment le tout fonctionne ?
En plus, j’ai écrit plusieurs romans entre "Trainspotting" et "Porno", jamais publiés et qui ne le seront probablement jamais. Si j’ai besoin d’argent, un jour, peut-être. Ce n’est pas pressé. Vous pouvez vous contenter de commencer par "Skagboys" et de lire les autres dans leur ordre de parution. Il y a une nouvelle sur Begbie que j’ai publiée en 2013. Il faudrait que je fasse une frise chronologique pour qu’on s’y retrouve, à la Marvel. Même moi, je ne m’en souviens plus. Je suis paumé là-dedans. Je m’immerge dans ce que j’écris à l’instant T et j’oublie le reste. J’ai perdu le fil, il faut que je relise mes livres. (Rires)
L'équipe de Trainspotting vous dévoile la suite du film culte : T2 Trainspotting