- C’est Irvine Welsh qui vous le dit
Skagboys, c’est avant ou après Trainspotting?
Irvine Welsh : Trainspotting, c’est la vie de ces garçons qui essaient de se sortir de l’addiction. Skagboys raconte comment ils y sont tombés et ce qui leur est arrivé socialement et personnellement.
Les héros, ils lui viennent comment?
Je travaille beaucoup mes personnages. Je ne me suis pas contenté de jeter sur le papier les quidams qui m’entouraient en me disant : "Untel c’est Begbie, untel c’est Sick Boy…". Le comportement des gens m’intéresse bien plus que les individus. C’est comme ça que je crée mes personnages : en repérant des comportements plutôt que des individus.
La misère sociale, ça l’inspire?
Après la Seconde Guerre mondiale, les problèmes sociaux se sont multipliés. Ce qu’on appelle le réalisme social, c’est surtout un moyen pour des cinéastes bourgeois de rejeter la faute sur des politiciens et un gouvernement qui n’y pouvaient rien. Mes personnages, eux, se disent que peu importe la gravité de la situation, c’est formidable d’être jeune. Leur énergie et leur enthousiasme, c’est ça qui tisse les liens entre eux… C’est cette célébration de la jeunesse que je voulais retranscrire, malgré l’adversité, malgré la douleur. Pour moi, le mérite est dans cette forme de résistance.
Le film adapté de Porno sera fidèle au livre?
C’est une adaptation centrée sur le livre, mais avec beaucoup de surprises. J’ai écrit Porno il y a quatorze ans, et l’industrie pornographique a beaucoup changé depuis. Le film sera plus contemporain, puisqu’il se passera de nos jours. C’est avant tout le travail de John [Hodge, le scénariste, ndlr]. Nous y avons tous contribué, mais mon nom ne sera pas sur le scénario.
Les jeunes héros, comment les typer?
C’est un travail subtil, qui exige que les personnages aient chacun leur propre voix. En plus, la plupart du temps, on écrit beaucoup plus que ce qu’on utilise, justement pour leur donner encore davantage de profondeur. Il faut que les personnages soient repérables très vite, grâce à leur façon de s’exprimer : Spud n’arrête pas de faire des remarques, Begbie est super direct, Sick Boy est prétentieux, Renton est plus abstrait… C’est comme ça qu’on arrive vite à les distinguer.
Et si on n’a pas lu Trainspotting ni Porno?
Même si on retrouve les familles qu’on découvre dans Trainspotting, ce livre fonctionne très bien tout seul, comme un épisode à part.
Traduction, trahison, oui ou non?
Il faut admettre qu’on soit dépossédé de son livre lorsqu’il sort en français, en espagnol, en russe… Les gens y injectent un peu de leur propre culture et le voient avec leurs yeux. Pour moi, dès qu’on publie un livre, il ne vous appartient plus, de toute façon.
- Avant le grand film, un grand livre
Si Trainspotting est aux cinéphiles du monde entier le film-culte des années 1990, emporté par le souffle de la culture brit pop qui déverse sa musique sur les ondes européennes, c’est sous la plume de l’écrivain écossais Irvine Welsh que l’aventure commence. Inspiré par sa propre jeunesse, cet ancien agent immobilier, musicien, junkie, consultant, étudiant sur le tard, a attendu la trentaine pour entendre en lui l’appel impérieux de l’écriture.
Sorti en 1993, son roman Trainspotting connaît un succès retentissant. Il raconte sur un rythme haletant les péripéties d’une bande de jeunes hommes qui, rejetant la société de consommation et atteints d’une dépression qui semble presque héritée de celle que traverse toute l’Ecosse, vivent défoncés, dépendants tantôt à la drogue, dure ou douce, à l’alcool ou à la violence urbaine. Les succès – critique et public – amènent Irvine Welsh à adapter son roman-fleuve en pièce de théâtre, avec Ewen Bremner (le fameux Spud du film) alors dans le rôle de Mark Renton.
- Quand Danny Boyle s’en mêle
Danny Boyle et ses compères John Hodge (scénariste) et Andrew MacDonald (producteur) récupèrent ensuite les droits du livre. Il faut couper des chapitres entiers, fusionner des personnages et trouver une génération de comédiens capables d’incarner ces jeunes losers flamboyants, un peu punk, un peu anars, avant tout dépressifs et désœuvrés. C’est ainsi qu’Ewan McGregor, Robert Carlyle, Jonny Lee Miller et Ewen Bremner décrochent les rôles de leur vie dans un film qui sera vu par des millions de spectateurs dans le monde. Sur la toile comme sur le papier, le ton est résolument neuf, se démarquant du réalisme social britannique incarné par Ken Loach ou Mike Leigh.
Un phénomène est né. Voilà qui encourage Irvine Welsh à écrire une suite en 2003, intitulée Porno, aussi longue et dense que le premier roman. Dès 2005, Danny Boyle, John Hodge et Andrew MacDonald essayent de l’adapter, en vain jusqu'en 2016, avec le retour des comédiens d’origine.
Entre temps, Irvine Welsh a déjà eu le temps d’écrire Skagboys (2012), un troisième tome qui se déroule quelques années avant Trainspotting, et deux nouvelles centrées sur le personnage de Begbie (Robert Carlyle dans le film) : Reheated Cabbage (2009) et The Blade Artist (2016). Difficile, d’ailleurs, de dissocier le personnage de l’acteur, même pour l’auteur qui avoue devoir se retrancher dans son univers et se relire pour oublier l’adaptation cinématographique: elle a tendance à coloniser sa propre représentation de ses personnages.
- Boyle est-il la tasse de thé de Welsh ?
Avec Trainspotting, Irvine Welsh est à la source d’un véritable phénomène littéraire et cinématographique qu’il considère encore aujourd’hui comme une grande chance et une bénédiction. Cependant, quand on lui rappelle que le British Film Institute a classé le long métrage de Danny Boyle dixième meilleur film britannique de tous les temps, il trouve ça un brin excessif. Son cinéma à lui est plus insolite : il a récemment aimé El Club de Pablo Larraín et s’il ne devait rester qu’un seul film sur Terre, il survivrait sans problème avec Fitzcaraldo. Mais la perspective d’une suite à Trainspotting l’enthousiasme quand même toujours.
- Skagboys, enfin en français
Skagboys, qui pourrait se traduire par "Les Camés", raconte les vertes années de ces jeunes Écossais qui tentent de survivre à leur époque marquée par le thatchérisme, l’émergence du trafic d’héroïne dans les quartiers sensibles et l’apparition du SIDA. Mark Renton lâche ses études et sa petite amie pour se réfugier dans la dépendance après la mort de son frère handicapé. Spud connaît tôt le chômage et ne parvient pas à s’adapter aux évolutions technologiques de la fin du XXème siècle. Sick Boy s’improvise maquereau à la première occasion et Begbie, qui a juré de ne jamais toucher à la drogue dure, dévale la pente glissante de la violence et de la psychose. "Skagboys" était également un des premiers mots du roman Trainspotting.
Le livre est paru en anglais en 2012. Le travail de traduction est colossal, puisque l’auteur n’écrit jamais moins de 600 pages par roman, et qu’il emploie le plus souvent le "Bad Scots", une façon littéraire de transcrire l’anglais tel que les Écossais le prononcent – ou le transforment. Chapeau à l’orfèvre, Diniz Galhos, auteur de la traduction. Pour se compliquer encore plus la tâche, chaque livre est écrit de plusieurs points de vue différents. On passe donc du point de vue de Renton à celui de Begbie en faisant un détour chez Spud ou Sick Boy, ou parfois par une narration neutre, à la troisième personne.
Skaboys, d'Irvine Welsh. Traduit de l’anglais par Diniz Galhos.
Le Diable Vauvert, 768 pages, 25€.
- Et en bonus…
Irvine Welsh nous a confié avec malice qu’il serait de retour dans son petit rôle de Mickey Forrester, qui lui a permis de faire une courte apparition dans la première adaptation au cinéma de son œuvre !
Pour tout savoir sur Trainspotting, regardez notre épisode de Merci Qui ?